Les dictatures sanglantes des créanciers : Michael Hudson

Michael Hudson : « Dette, rente et prédation néolibérale », textes choisis et commentés par Thibault Mirabel, Christophe Petit, traduction de Thibault Mirabel, Christophe Petit, révisée par Alain Caillé, 2021, édition Le Bord de l’eau.

Le prêt à intérêt et la monnaie ont vu le jour dans les temples et les palais de l’Antiquité mésopotamienne et égyptienne.

A l’époque, pour éviter, quand les débiteurs ne pouvaient pas rembourser, le transfert de propriété des débiteurs aux créanciers, les privations irréversibles de droits des débiteurs, le servage définitif des débiteurs au profit de quelques créanciers s’enrichissant et risquant de concurrencer le pouvoir du palais, c’est-à-dire pour préserver une population propriétaire de la terre qui fournit au palais des impôts et une main-d’œuvre pour la corvée et le service militaire, les palais décidaient régulièrement d’une annulation des dettes, ce qu’on appelle des jubilés de la dette.

L’objectif économique, politique et idéologique des jubilés de la dette est de rétablir la solvabilité de l’ensemble de la population, de libérer les entreprises de divers impôts et droits de douane, de créer une société juste et équitable. Il s’agit de fournir aux citoyens le niveau minimal de ressources pour être autosuffisants. L’accumulation de richesse par les créanciers est permise aussi longtemps qu’elle ne perturbe pas le fonctionnement normal de la société.

Au septième siècle avant J.-C., les dirigeants populistes grecs appelés tyrans ont ouvert la voie au décollage économique en annulant les dettes et en redistribuant les terres monopolisées par l’aristocratie. La demande d’un jubilé de la dette était si populaire qu’un général grec du quatrième siècle avant J.-C. conseille aux attaquants des villes d’attirer la population à leurs côtés en promettant d’annuler les dettes, et aux défenseurs de s’assurer de la loyauté de leur population en faisant la même offre. Les villes qui s’abstenaient d’annuler les dettes étaient conquises ou tombaient dans la servitude, l’esclavage et le servage généralisés.

Après avoir réussi à renverser les rois et les tyrans populistes, les créanciers et leurs oligarchies accusent les défenseurs des intérêts des débiteurs (des défenseurs qui veulent annuler les dettes et redistribuer les terres monopolisées par les créanciers) d’être des « tyrans » ou de chercher à conquérir le trône royal, comme les créanciers l’on fait à Rome pour les frères Gracchus ou pour Jules César, avant de les assassiner.

Les créanciers défendent leurs intérêts avec violence. Les rois de Sparte sont tués pour avoir tenté d’annuler des dettes et d’annuler la monopolisation de la terre au troisième siècle avant J.-C. La contre-révolution antidémocratique parrainée par les créanciers à Rome a conduit à la polarisation économique, à la crise fiscale, au déclin économique et, les possibilités de pillage disparaissant, l’économie impériale a sombré dans l’âge des ténèbres et la conquête par des peuples extérieurs (les barbares). L’oligarchie des rentiers, qui détruit l’économie intérieure, ne peut survivre économiquement que par le pillage des pays extérieurs. Il a fallu plusieurs siècles avant que ne survienne le décollage commercial de l’Europe occidentale (toujours dans le cadre d’une dictature des créanciers qui ne peut être sauvée que par les pillages), grâce au financement des Croisés qui ont pillé Constantinople en 1204 et grâce à la découverte des Amériques qui a entraîné un pillage massif d’or et d’argent permettant d’alimenter le commerce et de payer les armées et les marines.

Jésus a été accusé faussement de chercher à conquérir le trône royal pour faire appliquer son programme d’annulation de la dette et d’annulation de la monopolisation de la terre au détriment des créanciers, et il a été crucifié par les créanciers (par la suite, alors que l’annulation de la dette était devenue politiquement impossible sous un empire romain qui soutenait militairement les privilèges des créanciers, le christianisme a transformé l’idéal d’une amnistie de la dette en visée eschatologique d’un autre monde).

 Le pouvoir de Rome favorable aux créanciers nous a légué les bases modernes du droit qui ont survécu au Moyen Âge pour conduire la civilisation occidentale une fois de plus dans l’impasse de la dette.

Le capitalisme industriel a renversé en 1789 le pouvoir des créanciers, c’est-à-dire le pouvoir de la noblesse. Ce capitalisme industriel a compris que la majorité de la population serait favorable à l’annulation des dettes et à l’annulation de la monopolisation des terres par la noblesse et le clergé et qu’il fallait donc, pour réussir à renverser le pouvoir des créanciers, substituer la démocratie (la République) à l’oligarchie des créanciers (la monarchie de Louis XVI).

Ce capitalisme industriel révolutionnaire qui conduisait à une forme de socialisme a vécu la contre-révolution sanglante des créanciers, les assassinats de révolutionnaires, l’intelligence avec l’ennemi, la remise en cause des acquis de la Révolution. Marx et Veblen sont, entre autres, dans la tradition du capitalisme industriel révolutionnaire. En parcourant l’histoire, on pourrait ajouter que les créanciers et leurs représentants politiques organisent des restrictions des libertés et des monopolisations de l’information, des assassinats et des tentatives d’assassinat (Jaurès, Lénine, Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht, etc.), des guerres sanglantes d’agression, des guerres économiques (sanctions économiques, blocus, cordons sanitaires, lois extraterritoriales, monopolisation du système monétaire et financier international, utilisation abusive de la dette, etc.), des coups d’État (la bande à Kroutchev assassine le groupe Staline en 1953, et prend le pouvoir – en doublant les salaires des membres du Parti, en permettant leur corruption par le développement du secteur privé –, etc.), des révolutions colorées, des financements et aides plus ou moins hypocrites de groupes et États terroristes (fascistes, nazis, islamistes, ultranationalistes, etc.).

Actuellement, des marxistes autoproclamés ne voient chez Marx que sa lutte contre les capitalistes industriels, au point d’avoir abandonné les textes de Marx sur la lutte prolétaire contre les propriétaires terriens et les banquiers usuraires. Ces marxistes autoproclamés ont tendance à ne voir que la lutte des classes, l’exploitation industrielle du travail, et à traiter l’épargne seulement comme une accumulation de profits industriels. Ils ne prennent pas suffisamment en compte la nécessité de la taxation des revenus non gagnés des rentiers et la nécessité de maintenir les ressources naturelles et les monopoles dans le domaine public. Ces marxistes autoproclamés ne voient pas l’importance de l’écart entre la valeur comptable et la valeur boursière des entreprises. Ces « marxistes » ne comprennent pas à quel point l’augmentation des frais généraux financiers mène à la faillite des entreprises, à la désindustrialisation du pays, à la fin de l’indépendance agricole et industrielle du pays. Ils ne voient pas suffisamment ce phénomène essentiel de l’économie réelle, à savoir que les profits d’une entreprise servent actuellement surtout à acheter ses propres actions, à verser les dividendes et à emprunter pour se rembourser, non à investir.

Actuellement, les dettes à intérêt composé et les crédits bancaires tendent à dépasser la capacité de paiement de l’économie. Il en résulte une déflation par la dette, une vague de saisies immobilières, un asservissement à la dette et des privatisations qui transfèrent le domaine public à des extracteurs de rente privée. L’augmentation du service de la dette détourne des dépenses en biens et services, ce qui contracte l’économie et donc les investissements et les nouvelles embauches. Le krach financier force l’économie à choisir entre l’amortissement des dettes à l’échelle de ce qui peut être payé (ou à une forme d’annulation des dettes à l’échelle de l’économie), ou à laisser les créanciers procéder à des saisies, à transférer la propriété des biens des débiteurs défaillants à la couche financière supérieure de l’économie, tout en plongeant l’économie dans une dépression. Dans la crise fiscale qui s’ensuit, le secteur financier force les États à renoncer aux biens publics (privatisations).

Il n’est pas vrai que la privatisation est plus efficace que la propriété et la gestion publiques. L’investissement public dans les infrastructures est le principal levier de formation de capital industriel. L’État, au lieu de réaliser un profit sur cet investissement, subventionne les prix pratiqués pour les services d’infrastructure de base afin de rendre l’économie plus compétitive : il aide le secteur privé à fonctionner de manière plus rentable. Les routes et autres transports de base, la poste et les communications, la recherche et le développement, la santé publique et l’éducation sont des monopoles que l’État a longtemps gardés dans le domaine public. Leur privatisation augmente les intérêts, les rentes, les salaires et les primes des dirigeants. Le rôle de l’investissement public n’est pas pris en compte : la formation de capital par l’État n’est pas considérée par les statistiques comme un actif.

Les marginalistes, qui considèrent le consommateur plutôt que le producteur/employeur comme le point central du système économique, les économistes « autrichiens », qui abordent l’économie du point de vue de la psychologie individuelle, attribuant les écarts de richesse à l’impatience des consommateurs qui n’ont pas réussi à épargner et à s’enrichir, et l’économie mathématique pseudo-scientifique ont pour effet de détourner l’attention de ce qui est le plus important, à savoir la forme de l’évolution sociale, les tensions qu’elle tend à développer, l’éventail des réponses politiques démocratiques ou oligarchiques à cette évolution. L’environnement institutionnel et politique est considéré comme acquis. C’est la science économique du statu quo, délestée de l’attention portée à la richesse, à la façon dont elle est acquise et à la manière dont sa distribution affecte l’évolution des relations sociales. Les économies sont supposées réagir automatiquement aux perturbations et parvenir à un nouvel équilibre sans intervention étatique ni changement radical de politique. Les théories montrant des disparités grandissantes en termes de revenu et de richesse sont invalidées par principe.

Actuellement le secteur de la finance, de l’assurance et de l’immobilier extrait les intérêts et les rentes de l’économie de production et de consommation : les financiers et les rentiers monopolisent les fruits de la croissance économique sous forme de ce qu’on peut appeler un impôt privé, laissant la vraie économie se débattre dans l’austérité. De plus, les monopoles privatisent les infrastructures publiques, c’est-à-dire les actifs fournis par la nature sans coût (la terre, l’eau, les mines, l’espace, les communications), les actifs relatifs à la pharmacie, au transport, à la connaissance ou à la création monétaire et à la création de crédit, en les transformant en propriété privée avec le droit de percevoir une rente, ce qui maximise les coûts de l’économie.

Les dettes et les crédits dépassent rapidement la capacité de paiement de l’économie, d’où des saisies immobilières et des transferts de propriété, des privatisations qui empêchent l’État de rendre l’économie plus compétitive, une augmentation du service de la dette qui détourne des dépenses en biens et services, qui contracte l’économie, les investissements et les embauches.

Sur le plan international, la perversité de la dette s’exprime par le financement des dépenses militaires américaines par l’ensemble des pays de la planète et par le refus des États-Unis d’un développement autonome des autres pays.

 En 1971, en ce qui concerne le financement des dépenses militaires américaines par les autres pays de la planète, la décision de suspendre la convertibilité du dollar américain en or ne laisse pour base des réserves mondiales que la dette du Trésor américain. Le déficit de la balance des paiements des États-Unis, imputable aux dépenses militaires du complexe militaro-industriel, des bases militaires étrangères et des interventions militaires étrangères, injecte des dollars à l’étranger. Ces dollars finissent entre les mains des banques centrales des pays autres que les États-Unis, des banques centrales qui les recyclent aux États-Unis en achetant des titres du Trésor américain, qui à leur tour financent le déficit budgétaire intérieur des États-Unis. Les États-Unis autofinancent leur déficit à l’infini, selon un système de Ponzi. Le déficit de la balance des paiements finance le déficit du budget intérieur. Le système financier international oblige les pays étrangers à financer les dépenses militaires américaines. Les États-Unis se comportent en passager clandestin, ce qui peut conduire à une scission géopolitique sur le plan financier.

En ce qui concerne la volonté des États-Unis de ne pas accepter un développement autonome des autres pays, les prêts des pays du tiers-monde ont été contractés pour subventionner la dépendance au commerce et non pour restructurer les économies afin de leur permettre de payer. Les programmes d’austérité d’ajustement structurel aggravent la situation de la dette en augmentant les taux d’intérêt et les impôts sur le travail, en réduisant les retraites et les dépenses de sécurité sociale et en vendant les infrastructures publiques aux monopoleurs à la recherche de rentes, un type d’ajustement qui renouvelle la guerre des classes à l’échelle internationale.

Pour chacun des pays, il semble ne rester de choix qu’entre une planification centralisée par une bureaucratie d’État ou une planification encore plus centralisée par la bureaucratie financière de Wall Street. Le juste milieu d’une économie mixte publique/privée est oublié et dénoncé comme « socialiste » (pourtant, toutes les économies prospères de l’histoire ont été des économies mixtes).

La crise mondiale actuelle met cependant de nombreux pays devant un dilemme et la nécessité de prendre une décision : choisir de payer les créanciers ou choisir de défendre la survie de leur population.

Il faut absolument, pour les pays et les institutions qui ont décidé de lutter pour la survie de leur population, que les prêts consentis sans une analyse raisonnable pour s’assurer qu’ils peuvent être remboursés dans le cours normal des affaires soient réputés avoir été consentis frauduleusement.

Les entreprises qui se sont défendues contre les raiders dans les années 1980 ont invoqué le principe du transfert frauduleux pour prétendre que les obligations de pacotille et les prêts bancaires finançant les rachats ne pouvaient être payés qu’en découpant l’entreprise, en réduisant ses plans de retraite ou en mettant fin à son investissement à long terme.

 Pour la dette publique, le principe directeur serait que les détenteurs d’obligations devraient être perdants si la seule façon de les payer est d’imposer l’austérité, le chômage et l’émigration forcée ou de vendre le domaine public. Aucune nation ne devrait être obligée de payer ses créanciers avant de satisfaire ses propres besoins de survie économique. La question est de savoir si la société sauve les économies endettées ou les créanciers. Les banquiers crient au désordre, mais cette solution est moins radicale que de transformer l’économie en une terre en friche criblée de dettes. Il est plus radical et inhumain de laisser la déflation par la dette aggraver l’austérité pendant que les banques saisissent les biens, que de laisser les États protéger les débiteurs, dont les rangs constituent la grande majorité de la population et des entreprises. Le réalisme et le maintien de marchés viables exige que l’on reconnaisse qu’en fin de compte la plupart des dettes ne peuvent être payées.

Si l’accumulation de la dette se poursuit, l’économie ne peut pas éviter une crise de la dette qui s’aggravera de façon exponentielle, car elle suit le vecteur exponentiel d’un schéma de Ponzi.

Première partie. Michael Hudson met en place plusieurs affirmations.

Il faut prêter aux pays du tiers-monde dans le seul but qu’ils atteignent une plus grande autosuffisance alimentaire.

La finance, l’industrie et les ressources naturelles forment système.

 Le système financier se développe plus rapidement que l’économie sous-jacente, la surchargeant de dettes.

La valorisation de la rente foncière (plus l’épargne augmente, plus les prêts pour les achats immobiliers augmentent, etc.) n’apparaît pas dans les cours d’économie.

Dans la balance des paiements, la charge de la dette est de plus en plus importante.

Les dépenses militaires constituent le déficit de la balance des paiements des États-Unis.

La théorie du commerce international prétend faussement que n’importe quel pays peut payer n’importe quel montant de dettes en diminuant les salaires.

La théorie monétaire ne s’intéresse pas au prix des actifs immobiliers, des actions et des obligations.

La théorie économique dominante, contrairement à ce qu’elle prétend, polarise les économies.

Depuis plusieurs années, les dépenses militaires des États-Unis sont payées par tous les États du monde.

Les prêts aux pays du tiers-monde accentuent la guerre des classes à l’international.

Historiquement, il y avait des annulations régulières de dettes, annulations imposées aux créanciers.

Deuxième partie. La science économique est une science frauduleuse.

La science économique exclut de son étude l’histoire de la pensée économique et le pouvoir de nuisance de la dette.

Cette science économique remplace l’économie mixte par une planification ultra-centralisée.

Cette science économique considère que la finance et les secteurs rentiers ne font pas partie de l’économie.

La science économique frauduleuse et ses experts, premièrement, détournent l’attention des faits (elle ne parle pas de la richesse et des propriétaires de cette richesse, elle ne parle pas des revenus) et deuxièmement, détournent l’attention de la théorie, des définitions de base, des catégories conceptuelles.

Pour cette science économique frauduleuse, la monnaie ne serait pas créée pour acheter ou parier sur l’immobilier, les actions et les obligations, mais seulement pour acheter et épargner, et, pour elle, la charge de la dette ne serait pas un problème.

La science économique frauduleuse sert la vision du monde totalitaire des banquiers, des rentiers, des spéculateurs financiers et des commerçants, non la vision du monde qui veut développer l’industrie et l’agriculture.

Dans l’économie du statu quo en quoi consiste la science économique frauduleuse, le consommateur, plutôt que le producteur/employeur ou l’environnement institutionnel et politique, est au centre.

Reflétant la science économique frauduleuse, les statistiques officielles confondent activités productives (générant de la richesse réelle, du produit national) et activités non productives (paiements de transfert, frais généraux). Les prêts immobiliers, les mines et les combustibles, la banque et la finance sont considérés comme ne générant fiscalement aucun bénéfice, et l’inflation des prix des actifs et les gains en capital n’apparaissent pas, alors que les gains immobiliers et les cours boursiers sont des moyens essentiels de construire la richesse.

 Reflétant toujours la science économique frauduleuse, le PNB regroupe les salariés comme les rentiers : peu importe que la richesse provienne d’une extraction de la rente, de gains financiers, de salaires ou de bénéfices sur des investissements directs.

La science économique frauduleuse affirme comme un théorème que l’épargne serait bonne parce qu’investie dans la production et la consommation, mais, si on regarde la réalité, peu d’épargne et de crédit prennent la forme d’une formation de capital matériel : l’épargne est essentiellement utilisée pour le transfert de propriété des actifs et de la richesse, le transfert de propriété de biens immobiliers, d’actions et d’obligations, pour des prêts en vue de transactions financières, pour des créances sur des actifs patrimoniaux, obligations, prêts hypothécaires et emprunts bancaires.

La science économique frauduleuse ne veut pas reconnaître dans ses statistiques l’inflation des prix des actifs, qui est alimentée par la croissance de la dette.

Les statistiques de la science économique frauduleuse omettent la rente économique, la rente foncière, les gains en capital (prix des actifs), la fraude et la criminalité.

Dans les statistiques de la science économique frauduleuse, la propriété foncière et immobilière, la banque et les monopoles de l’économie industrielle sont amalgamés.

La politique économique que met en place cette science économique frauduleuse fait de telle façon que les intérêts soient déductibles des impôts et que les immeubles soient fiscalement dépréciés pour les propriétaires non occupants.

La science économique frauduleuse multiplie ainsi les mythes économiques.

Il faut reconnaître la réalité : le secteur de la finance, de l’assurance et de l’immobilier extrait les intérêts et les rentes de l’économie de production et de consommation : les financiers et les rentiers monopolisent les fruits de la croissance économique sous forme de ce qu’on peut appeler un impôt privé, laissant la vraie économie se débattre dans l’austérité. De plus, les monopoles privatisent les infrastructures publiques, c’est-à-dire les actifs fournis par la nature sans coût (la terre, l’eau, les mines, l’espace, les communications), les actifs relatifs à la pharmacie, au transport, à la connaissance ou à la création monétaire et à la création de crédit, en les transformant en propriété privée avec le droit de percevoir une rente, ce qui maximise les coûts de l’économie.

Le capitalisme financier rationalise son emprise prédatrice sur l’économie. Les dettes et les crédits dépassent rapidement la capacité de paiement de l’économie, d’où des saisies immobilières et des transferts de propriété, des privatisations qui empêchent l’État de rendre l’économie plus compétitive (la formation de capital par l’État n’est pas considérée par les statistiques officielles comme un actif), une augmentation du service de la dette qui détourne des dépenses en biens et services, qui contracte l’économie, les investissements et les embauches.

Troisième partie. Les réformes indispensables.

Premièrement, il faut effacer les dettes qui entravent la reprise économique.

Deuxièmement, il faut imposer les rentes économiques pour éviter qu’elles ne soient capitalisées avec les intérêts payés.

Troisièmement, il faut supprimer la déductibilité fiscale des intérêts.

Quatrièmement, il faut offrir la possibilité de choisir une banque publique.

Cinquièmement, il faut faire financer les déficits publics par les banques centrales et non par les impôts.

Sixièmement, il faut maintenir les monopoles naturels dans le domaine public pour empêcher l’extraction de rentes.

Septièmement, il faut décourager les prêts irresponsables grâce au principe de transfert frauduleux.

Quatrième partie. Les dettes et les annulations de dettes dans l’économie ancienne.

Les économies anciennes fonctionnent à crédit, à cause du délai entre l’achat de la plantation, de la nourriture ou de la bière et la vente de la récolte : le règlement de l’achat de la plantation ou de la nourriture se fait au moment de la vente de la récolte.

 Le palais et le temple créent de la monnaie pour acheter à l’extérieur et fixer la valeur les matériaux non disponibles sur le marché intérieur, pour fixer les prix administrés, pour collecter les rentes foncières, les impôts et les taxes, pour payer les dettes, pour employer des fonctionnaires, des paysans, des éleveurs, des artisans et la main-d’œuvre pour la construction des bâtiments publics, pour établir des budgets prévisionnels, comptabiliser les excédents et les déficits, mesurer les flux de nourriture et de matières premières, établir les comptes de gestion des terres, des troupeaux, des brasseries, des boulangeries, de l’industrie artisanale, des transports, des services rituels.

 Le mois lunaire est remplacé par un mois normalisé de 30 jours, ce qui fait 60 rations par mois pour la main-d’œuvre. Le taux d’intérêt est fixé à un soixantième par mois, ce qui double le principal en cinq ans (60 jours). Les équivalences des prix officiels sont fixées. Les annulations de dettes sont fréquentes.

L’annulation des dettes par le jubilé, la redistribution des terres monopolisées par l’aristocratie (et accessoirement les pillages, des pillages qui ne font que retarder la déchéance économique et sociale) permettent le décollage économique.

Les créanciers, contre-révolutionnaires constitués en oligarchie, assassinent les débiteurs qui veulent annuler la dette et la monopolisation de la terre. Jésus est assassiné par les créanciers romains pour avoir voulu l’annulation des dettes. Le christianisme projette l’annulation des dettes, interdite dans ce monde des créanciers romains, dans l’autre monde. Le monde des créanciers romains nous a laissé le droit romain.

Cinquième partie. Le capitalisme financier, ce nouveau féodalisme, n’est pas suffisamment pris en compte par les marxistes comme par les institutionnalistes.

Les marxistes autoproclamés ne voient chez Marx que sa lutte contre les capitalistes industriels, au point d’avoir abandonné les textes de Marx sur la lutte prolétaire contre les propriétaires terriens et les banquiers usuraires. Ces marxistes autoproclamés ont tendance à privilégier la lutte des classes, l’exploitation industrielle du travail et l’impérialisme, et à traiter l’épargne seulement comme une accumulation de profits industriels. Ils ne prennent pas suffisamment en compte la nécessité de la taxation des revenus non gagnés des rentiers et la nécessité de maintenir les ressources naturelles et les monopoles dans le domaine public. Ces marxistes autoproclamés ne voient pas l’écart entre la valeur comptable et la valeur boursière, ne comprenant pas que l’augmentation des frais généraux financiers mène à la faillite des entreprises, ne voyant pas que les profits d’une entreprise servent à acheter ses propres actions, à verser les dividendes et à emprunter pour se rembourser, non à investir.

 Les marxistes autoproclamés et les institutionnalistes comme Veblen doivent reconnaître que, actuellement, le secteur financier, premièrement, absorbe la majeure partie des revenus extraits par les secteurs de l’assurance et de l’immobilier, ainsi que par les grands monopoles, et, deuxièmement, privatise tous azimuts.

Première partie. Biographie intellectuelle de l’auteur.

Prêter aux pays du tiers-monde pour une plus grande autosuffisance alimentaire.

Michael pense s’installer comme éditeur lorsque Lukacs lui attribue les droits en langue anglaise sur ses écrits et, en 1962, à la mort de la veuve de Trotsky, son exécuteur testamentaire lui confie les droits sur les écrits et les archives de Trotsky.

 Il rencontre par hasard Terence McCarthy, économiste à Général Électric, qui propose de créer une Banque mondiale pour le développement économique par des prêts en monnaie nationale pour la réforme agraire et une plus grande autosuffisance alimentaire au lieu des cultures d’exportation.

La finance, l’industrie et les ressources naturelles forment système, et le système financier se développe plus rapidement que l’économie sous-jacente, la surchargeant de dettes.

 Les crises financières surviennent en automne lorsque les récoltes sont exportées, les sécheresses périodiques entraînant de mauvaises récoltes et des pertes pour le système bancaire, ce qui oblige les banques à demander le remboursement des emprunts : la finance, les ressources naturelles et l’industrie forment les éléments d’un système interconnecté. Les mathématiques de l’intérêt composé conduisent inévitablement les économies à une crise de la dette, car le système financier se développe plus rapidement que l’économie sous-jacente, la surchargeant de dettes si bien que les crises deviennent de plus en plus graves, les économies explosant en raison des ruptures dans les chaînes de paiement.

La valorisation de la rente foncière (plus l’épargne augmente, plus les prêts pour les achats immobiliers augmentent, etc.) n’apparaît pas dans les cours d’économie.

A l’université de New York, la dynamique de la dette et la manière dont les prêts bancaires gonflent les prix de la terre, la comptabilité du revenu national, ou la part croissante absorbée par l’extraction de la rente dans les secteurs de la finance, des assurances et de l’immobilier ne sont pas étudiées, des tendances qui pourraient déboucher sur une bulle financière. Embauché en même temps dans une banque, Michael décrit comment l’épargne accumule des intérêts et est convertie en de nouveaux prêts hypothécaires, avec, dans la hausse de l’épargne, un pic tous les trois mois, quand les dividendes trimestriels sont crédités. L’épargne accumulée est prêtée aux acheteurs de biens immobiliers, ce qui contribue à augmenter le prix des logements, dotant la classe moyenne d’un patrimoine de valeur croissante. Plus les banques prêtent, plus les prix des biens immobiliers achetés à crédit augmentent, et plus les prix montent, plus les banques sont enclines à prêter. Le processus ne fonctionne que tant que les revenus augmentent : peu de gens aperçoivent que la plus grande partie de la croissance des revenus sert à payer le logement ; ils ont le sentiment d’épargner et de s’enrichir en payant pour un investissement dont la valeur s’accroît. Mais les bulles finissent par éclater, car elles sont financées par une dette qui croit exponentiellement. Le service de la dette hypothécaire absorbe de plus en plus la valeur locative de l’immobilier. Le revenu des propriétaires augmente à mesure que les nouveaux acheteurs contractent davantage de dettes pour acheter des biens immobiliers dont les prix augmentent. La hausse de l’épargne et des prix du logement financée par l’endettement permet de comprendre comment les richesses virtuelles gonflent. Bien que l’actif le plus important de l’économie soit immobilier, l’analyse de la valorisation de la rente foncière n’apparaît pas dans les cours d’économie suivis par Michael.

Dans la balance des paiements, la charge de la dette est de plus en plus importante.

Michael devient spécialiste de la balance des paiements. Pour prévoir l’évolution de la balance des paiements de l’Argentine, du Brésil ou du Chili, on mesure les recettes d’exportation et les recettes en devises, recettes pouvant être versées au titre du service de la dette pour les emprunts contractés auprès des banques américaines. Comme les prêteurs hypothécaires considèrent les revenus locatifs comme un flux devant être converti en paiement d’intérêts, les banques internationales considèrent les recettes en devises des pays étrangers comme des revenus potentiels à convertir en prêts qui rapportent des intérêts, ce qui permet de rendre l’ensemble du surplus économique dépendant du paiement du service de la dette. Mais les pays sont vite saturés de prêts, et il n’existe plus de flux en devises fortes à extraire en tant qu’intérêts sur de nouveaux emprunts ou émissions d’obligations : en fait il y a une fuite de capitaux. Ces pays ne peuvent payer ce qu’ils doivent que si leur banque ou le FMI leur prête l’argent nécessaire pour faire face au flux croissant des charges d’intérêt : les prêts aux États sont reconduits dans les années 1970. Leurs dettes extérieures se sont accrues avec des taux d’intérêt composé, c’est-à-dire selon une croissance exponentielle jetant les bases du krach de 1982 au Mexique, qui annonce qu’il ne peut plus payer. Les prêts aux gouvernements des pays du tiers-monde préfigurent la bulle immobilière qui explose en 2008, sauf que les dettes du tiers-monde sont amorties dans les années 1980 par des obligations, contrairement aux dettes hypothécaires.

Dans l’étude de la balance des paiements de l’industrie pétrolière américaine, Michael comprend le contraste entre les statistiques économiques et la réalité. Ces entreprises pétrolières évitent de payer des impôts sur le revenu, que ce soit dans les pays producteurs ou les pays consommateurs, en donnant l’illusion de ne réaliser aucun profit. Chaque dollar dépensé par l’industrie pétrolière à l’étranger est restitué à l’économie américaine en seulement 18 mois.

Les dépenses militaires constituent le déficit de la balance des paiements des États-Unis.

Dans l’étude du problème du dollar, Michael montre que les facteurs les plus importants pour déterminer les taux de change ne sont ni les échanges commerciaux, ni les investissements directs, mais le flux de capitaux spéculatifs (les trafiquants de drogue, les fonctionnaires qui détournent les recettes d’exportation). Les États-Unis cherchent à constituer un refuge pour leurs recettes, en tant que moyen de compenser les dégâts occasionnés par les dépenses militaires sur la balance des paiements. Le déficit des États-Unis dans les années 1960 provient totalement des dépenses militaires, le secteur privé – le commerce extérieur et les investissements – étant en équilibre et l’aide étrangère dégageant un excédent.

La théorie du commerce international prétend que n’importe quel pays peut payer n’importe quel montant de dettes en diminuant les salaires.

A l’université, Michael découvre que les navires de guerre et les dépenses militaires n’apparaissent pas dans la théorie du commerce international, pas plus que la fuite de capitaux, la contrebande ou les prises de transferts fictifs en vue d’évasion fiscale, ce qui aboutit à la conclusion que tout pays peut payer n’importe quel montant de dette, simplement en diminuant les salaires par des réformes du marché du travail et des programmes d’austérité et par des dévaluations.

La théorie monétaire ne s’intéresse pas au prix des actifs immobiliers, des actions et des obligations.

Michael découvre que la théorie monétaire académique ne relie l’offre de monnaie qu’au prix des produits de base et des salaires, et non aux prix des actifs immobiliers, des actions et des obligations. L’argent et le crédit seraient prêtés aux entreprises pour investir dans les biens d’équipement et pour créer de l’emploi, et non pour acheter de l’immobilier, des actions et des obligations. On ne parle pas du service de la dette qui doit être payée sur ce crédit, en détournant les dépenses des biens de consommation et des biens d’équipement.

La théorie économique dominante polarise les économies.

Michael découvre que l’économie mondiale se polarise au lieu de converger ou de s’homogénéiser. L’intérêt des porteurs d’obligations est uniquement de dégager le plus d’argent possible le plus rapidement possible sans se préoccuper de la dévastation sociale qu’ils provoquent, et ils ont réussi à faire passer l’idée que les nations et les individus ont l’obligation morale de payer leur dette, d’agir pour le compte de créanciers au lieu de leur population.

A gauche, on considère que le travail salarié est la principale forme d’exploitation, et on ne prête pas d’attention aux intérêts, à l’endettement ou à l’extraction de rente.

Les dépenses militaires des États-Unis sont payées par tous les États.

En 1972, Michael explique pourquoi la décision de suspendre la convertibilité du dollar américain en or en 1971 ne laisse pour base des réserves mondiales que la dette du Trésor américain. Le déficit de la balance des paiements imputable aux dépenses militaires étrangères injecte des dollars à l’étranger. Ceux-ci finissent entre les mains de banques centrales qui les recyclent aux États-Unis en achetant des titres du Trésor, qui à leur tour financent le déficit budgétaire intérieur. Les États-Unis autofinancent leur déficit à l’infini. Le déficit de la balance des paiements finance le déficit du budget intérieur. Le système financier international oblige les pays étrangers à financer des dépenses militaires américaines. Les États-Unis se comportent en passager clandestin. En 1979, Michael prédit que la domination unilatérale des États-Unis va conduire à une scission géopolitique sur le plan financier.

Les prêts aux pays du tiers-monde accentuent la guerre des classes à l’international.

Aux Nations unies, Michael découvre que les prêts des pays du tiers-monde ont été contractés pour subventionner la dépendance au commerce et non pour restructurer les économies afin de leur permettre de payer. Les programmes d’austérité d’ajustement structurel aggravent la situation de la dette en augmentant les taux d’intérêt et les impôts sur le travail, en réduisant les retraites et les dépenses de sécurité sociale et en vendant les infrastructures publiques aux monopoleurs à la recherche de rentes, un type d’ajustement qui renouvelle la guerre des classes à l’échelle internationale.

Les créanciers annulaient régulièrement les dettes.

En 1984, Michael montre que le prêt à intérêt a vu le jour dans les temples et les palais, et non pas entre individus. Les dettes sont dues à des grandes institutions publiques. Pour éviter les perturbations de l’économie, pour éviter la polarisation des dettes et la dévitalisation des économies, pour éviter le chômage et le transfert de propriété des débiteurs aux créanciers, il y avait une annulation des dettes régulière (jubilé). Les principaux créanciers sont donc des institutions et non des particuliers agissant seuls. Le taux d’intérêt, non basé sur la productivité, est fixé à l’avance.

Deuxième partie. La science économique est une science frauduleuse.

L’économie exclut l’histoire de la pensée économique et le pouvoir de nuisance de la dette.

Le pouvoir de nuisance de la dette est clairement reconnu au dix-huitième et au dix-neuvième siècle. Les économistes pro-créanciers excluent l’histoire de la pensée économique des programmes d’économie. La censure pro-créanciers, pro-austérité (c’est-à-dire anti-travail) et antiétatique (sauf pour insister sur la nécessité d’un renflouement des plus grandes banques et des épargnants par les contribuables) influe les politiques publiques, les universités et les médias en diffusant une vision erronée du fonctionnement réel de l’économie : la plupart des gens voient donc la réalité telle qu’elle est déformée par les 1%, une parodie de la réalité.

L’économie mixte est remplacée par une planification ultra-centralisée.

Il ne reste plus de choix qu’entre une planification centralisée par une bureaucratie d’État ou une planification encore plus centralisée par la bureaucratie financière de Wall Street. Le juste milieu d’une économie mixte publique/privée est oublié et dénoncé comme « socialiste ». Pourtant, toutes les économies prospères de l’histoire ont été des économies mixtes.

La finance et les secteurs rentiers ne font pas partie de l’économie.

La montée en puissance de l’épargne et de la dette est politisée en vue de contrôler les États. L’ampleur de la dette tend à augmenter jusqu’à ce qu’un krach financier, une guerre ou une décision politique de réduction de la dette surviennent. Cela concerne aussi les économies réalisées du côté actif du bilan, principalement détenu par les 1% (la plus grande partie de cette épargne est transformée en prêts qui deviennent les dettes des 99%). Dans le secteur privé, les actionnaires activistes et les racheteurs d’entreprise (raiders) poussent à une financiarisation de l’industrie qui diminue l’investissement et l’emploi au lieu de les promouvoir. Le crédit est de plus en plus prédateur et permet de moins en moins aux débiteurs particuliers, aux entreprises et aux États de gagner l’argent qui permettrait de les rembourser. C’est une structure favorisant les revenus de prédation (la rente économique) et les gains spéculatifs plutôt que les bénéfices réalisés en employant des salariés pour produire des biens et des services. Cette structure de domination rentière étouffe les économies et renverse les démocraties pour créer des oligarchies financières. La stratégie consiste à dire que la finance et les autres secteurs rentiers font partie de l’économie, qu’ils ne sont pas des passagers clandestins.

La science économique frauduleuse et ses experts détournent l’attention des faits (la richesse et ses propriétaires, les revenus) et de la théorie (des définitions de base, les catégories conceptuelles).

La science économique est frauduleuse, considérant une discipline comme scientifique si les hypothèses sont logiquement cohérentes, pas nécessairement réalistes. Son astuce, c’est de créer une hypothèse alternative pour détourner l’attention des faits (les faits pertinents sont les statistiques qui retracent l’évolution de la richesse et des revenus, et qui répondent à des questions telles que : qui est propriétaire de cette richesse ? Comment est-elle obtenue ? Qui finit par devoir combien à qui ?) et de la loi (la loi est représentée par la théorie, les définitions de base et les catégories conceptuelles).

Les experts, réclamés par les politiciens et les médias de masse, sont bardés de médailles pour donner l’apparence de respectabilité à des arguments tels que ceux qui insistent sur la nécessité de réduire les impôts des riches ou sur la nécessité pour les États de déréglementer et de céder le domaine public à des prédateurs de rentes. Les experts détournent l’attention des réalités statistiques. Lorsque les faits ne sont pas en faveur de l’austérité, de la déréglementation et de l’inversion de la fiscalité progressive, les rédacteurs de manuels économiques prétendent que la réalité n’est pas un critère de validité économique : le principal critère d’excellence théorique de la discipline est la cohérence interne des hypothèses. On parle de théorie du commerce international « pure », comme si la réalité était une impureté gâchant la beauté de la logique abstraite. Il s’agit de détourner l’attention du monde réel vers un monde fictif.

Un tel expert dira : « Si ni les prémices ni les conclusions ne correspondent à la réalité, cela montre que la théorie n’est pas très utile, mais cela ne l’invalide pas. Dans toute théorie pure, toutes les propositions sont tautologiques, en ce sens que les résultats sont implicitement présents dans les hypothèses retenues ».

La monnaie ne serait pas créée pour acheter ou parier sur l’immobilier, les actions et les obligations, mais seulement pour acheter et épargner. La charge de la dette ne serait pas un problème.

Dans cette folie, il faut convaincre les lecteurs de suspendre leur incrédulité face aux hypothèses proposées, il faut que les lecteurs croient que la monnaie est soit dépensée pour acheter la production de biens et services courants, soit épargnée, mais non créée sous forme de crédits destinés à acheter ou à parier sur l’immobilier, les actions et les obligations, il faut que les lecteurs croient qu’il n’y a pas de bulle financière, qu’il n’y a pas de fraude hypothécaire ni de délit d’initié (et donc pas besoin d’assouplissement quantitatif), il faut que les lecteurs croient que le niveau des dettes ne tend pas à dépasser le niveau des moyens de paiement et que toute perturbation de l’équilibre économique sera compensée par des réponses automatiques stabilisantes, il faut que les lecteurs croient que la charge de la dette n’est pas un problème grave (toutes les dettes peuvent être payées sans perturber les taux de change ou sans transférer des actifs aux créanciers).

La science économique sert la vision du monde totalitaire des banquiers, des rentiers, des spéculateurs financiers et des commerçants, non celle qui veut développer l’industrie et l’agriculture.

Il faut se demander quel intérêts sont servis lorsque les économistes prétendent que leurs hypothèses n’ont aucun rapport avec la réalité, mais procèdent ensuite à des recommandations politiques. Les faits ne s’organisent qu’à partir d’un point de vue, d’une théorie. Les conclusions pratiques sont nécessairement fondées sur des valeurs axiologiques qui leur servent de prémisses. La science économique moderne n’a pas d’épaisseur épistémologique suffisante pour évaluer ces prémisses, pour percevoir à quel point la théorisation de la discipline est façonnée par des intérêts étroits qui servent la vision du monde des banquiers, des rentiers, des spéculateurs financiers et des commerçants, et non la vision du monde des pays qui cherchent à développer leur industrie et leur agriculture. La théorisation économique est le produit d’un intérêt particulier et d’un plaidoyer politique. La théorie économique est une apologie en faveur des partisans de telle ou telle politique économique.

Aujourd’hui, la vision du monde monétariste est un système rhétorique servant les intérêts financiers mondiaux qui dominent l’économie réelle par une impitoyable censure idéologique pour maintenir le fardeau financier de la dette, ce qui rend obligatoire la privatisation et le démantèlement des secteurs publics. Plus la théorie est libertarienne, plus la pédagogie économique tend à devenir autoritaire, précisément parce que son raisonnement repose sur des fondements spécieux. Le consensus est établi non par la raison, mais en sortant de la scène tous ceux qui désapprouvent.

Dans l’économie du statu quo, le consommateur, plutôt que le producteur/employeur ou l’environnement institutionnel et politique, est au centre.

Les marginalistes opèrent une rupture en considérant le consommateur plutôt que le producteur/employeur comme le point central du système économique. Les Autrichiens ont abordé l’économie du point de vue de la psychologie individuelle, attribuant les écarts de richesse à l’impatience des consommateurs qui n’ont pas réussi à épargner et à s’enrichir. Comme dans le cas de l’économie mathématique d’aujourd’hui, l’effet a été de détourner l’attention de ce qui est le plus important. La forme de l’évolution sociale, les tensions qu’elle tend à développer et l’éventail des réponses politiques démocratiques ou oligarchiques sont des problèmes qui sont évacués. L’environnement institutionnel et politique est considéré comme acquis. C’est la science économique du statu quo, délestée de l’attention portée à la richesse, à la façon dont elle est acquise et à la manière dont sa distribution affecte l’évolution des relations sociales. Les économies sont supposées réagir automatiquement aux perturbations et parvenir à un nouvel équilibre sans intervention étatique ni changement radical de politique. Les théories montrant des disparités grandissantes en termes de revenu et de richesse sont invalidées par principe.

Les statistiques confondent activités productives (générant de la richesse réelle, du produit national) et activités non productives (paiements de transfert, frais généraux). Les prêts immobiliers, les mines et les combustibles, la banque et la finance génèreraient fiscalement aucun bénéfice, l’inflation des prix des actifs et les gains en capital n’apparaissent pas, alors que les gains immobiliers et les cours boursiers sont des moyens essentiels de construire la richesse. Le PNB regroupe les salariés comme les rentiers : peu importe la richesse proviennent d’une extraction de la rente, de gains financiers, de salaires ou de bénéfices sur des investissements directs. L’épargne serait bonne parce qu’investie dans la production et la consommation, mais peu d’épargne et de crédit prennent la forme d’une formation de capital matériel : l’épargne est essentiellement utilisée pour le transfert de propriété des actifs et de la richesse, le transfert de propriété de biens immobiliers, d’actions et d’obligations, pour des prêts en vue de transactions financières, pour des créances sur des actifs patrimoniaux, obligations, prêts hypothécaires et emprunts bancaires. L’inflation des prix des actifs est alimentée par la croissance de la dette.

Cet ensemble de catégories statistiques constitue une structure conceptuelle de fonctionnement du monde. Il n’est pas possible de montrer où les économies génèrent de la richesse sans diviser leurs activités en catégories d’activités productives et non productives : il faut distinguer une activité générant de la richesse réelle de ce qui constitue des frais généraux ou de simples paiements de transfert.

Les comptabilités nationales actuelles décrivent toutes les activités comme productives. La prévention du crime, les traitements médicaux, les coûts de dépollution de l’environnement ou le bien-être sont pourtant assimilables à des frais généraux. La production et la vente des cigarettes sont considérées comme contribuant au produit national, de même que le traitement médical des fumeurs. La prévention du crime est prise en compte, mais pas les actes criminels.

 Ces statistiques ne reflètent pas la manière principale dont les secteurs les plus importants – prêts immobiliers, mines et combustibles, banque et finance – tirent leur rentabilité économique, comme si ces secteurs fonctionnaient sans générer de bénéfices, sans plus-value, alors que les gains immobiliers et les cours boursiers sont devenus le moyen par lequel la plupart des propriétaires, des investisseurs et des 1% construisent leur richesse. L’inflation des prix des actifs n’apparaît pas, les gains en capital sont exclus (et ce qui n’est pas mesuré a moins de chance d’être taxé).

Le PNB regroupe tous les ménages, des salariés aux rentiers, du 1% aux 99%. L’augmentation des revenus de chacun est censée améliorer le sort des autres, comme si c’était sans importance de savoir pour qui cette richesse s’accroît, si elle provient d’une extraction de la rente, de gains financiers, de salaires ou de bénéfices sur des nouveaux investissements directs.

L’hypothèse implicite est que l’épargne (et le nouveau crédit bancaire) est investie de manière productive et pas seulement prêtée pour créer de nouvelles dettes. Les créanciers sont supposés investir leurs revenus dans une production en expansion, et non pour simplement transférer la propriété des actifs et de la richesse. Toute augmentation de l’épargne est considérée comme bonne, sans se soucier de savoir si elle peut être prêtée en vue de transactions purement financières au lieu d’être investie pour accroître la production et la consommation.

En pratique, la plus grande partie de l’épargne et des nouveaux prêts bancaires trouvent leur contrepartie dans les créances financières sur des actifs patrimoniaux – obligations, prêts hypothécaires et emprunts bancaires – visant à transférer la propriété de biens immobiliers, d’actions et d’obligations. L’effet est d’augmenter leurs prix à crédit. Peu d’épargnes et de crédits prennent la forme d’une formation de capital matériel. Avec les statistiques actuelles, les percepteurs d’impôts sont mal informés sur le montant des gains pouvant être taxés.

Les statistiques omettent la rente économique, la rente foncière, les gains en capital (prix des actifs), la fraude et la criminalité. La propriété foncière et immobilière, la banque et les monopoles de l’économie industrielle sont amalgamés. Les intérêts sont déductibles des impôts et les immeubles sont fiscalement dépréciés pour les propriétaires non occupants. Le secteur de la finance, de l’assurance et de l’immobilier extrait les intérêts et les rentes de l’économie de production et de consommation : les financiers et les rentiers monopolisent les fruits de la croissance économique sous forme d’un impôt privé, laissant la vraie économie se débattre dans l’austérité. Les monopoles privatisent les infrastructures publiques, c’est-à-dire les actifs fournis par la nature sans coût (la terre, l’eau, les mines, l’espace, les communications), les actifs relatifs à la pharmacie, au transport, à la connaissance ou à la création monétaire et à la création de crédit, en les transformant en propriété privée avec le droit de percevoir une rente, ce qui maximise les coûts de l’économie.

La comptabilité exclut les gains en capital (prix des actifs) alors qu’avec les rentes tirées du reste de l’économie, les gains en capital constituent le principal moyen de conquérir des fortunes (de nombreux pays qualifie la richesse financière d’invisible : ce qui n’est pas mesuré est invisible, non représenté, non imposé). En amalgamant la propriété foncière et immobilière, la banque et les monopoles de l’économie industrielle, on oublie que la rente économique est une activité d’extraction et que, même si l’immobilier ne génère pas de bénéfices imposables, la hausse des prix de l’immobilier est l’objectif de la plupart des investissements immobiliers, en surfant sur la vague d’inflation du prix des actifs alimentés par la dette. Les fortunes sont construites non en épargnant sur ce qu’on a « gagné », mais en gonflant financièrement le prix des actifs. Les statistiques n’indiquent ni les gains en capital ni la rente foncière et les autres formes de rente économique. Les intérêts, déductibles des impôts, la dépréciation des immeubles pour les propriétaires non occupants et les amortissements permettent d’afficher des pertes comptables.

La productivité est définie comme le gain réalisé par individu, en ignorant la distinction entre revenu de production et revenu de prédation, entre revenu et production. Dans le secteur privé, l’économie de production et de consommation est enrobée par une économie financière et immobilière qui extrait des recettes sans jouer un rôle directement productif. Le secteur de la finance, de l’assurance et de l’immobilier extrait les intérêts et les rentes de l’économie de production et de consommation, s’appropriant de la richesse et non créant un « produit ». Le revenu de prédation n’est pas intégré à la base d’imposition. Les intérêts financiers et les intérêts des rentiers monopolisent les fruits de la croissance économique, laissant la vraie économie se débattre dans l’austérité.

Les charges payées au secteur de la finance, de l’assurance et de l’immobilier sont comptabilisées dans le PIB et non comme des transferts d’argent prélevés sur ce que l’économie produit et gagne, comme si les revenus de prédation n’existaient pas.

La rente économique est un surplus non gagné, un impôt privé : les monopoles privatisent les infrastructures publiques (la terre, l’eau, les droits miniers, les droits aériens, les communications, le secteur de la radio et de la télévision, c’est-à-dire des actifs fournis par la nature sans coût) dans le but d’en tirer une rente. L’appropriation de ces actifs est le résultat d’une loi privée (un privilège) les transformant en propriété privée avec le droit de percevoir une rente. Les titulaires de brevets pharmaceutiques, de brevets de voies de transport, de technologies de l’information et les détenteurs de droits d’auteur extraient des rentes similaires à ceux des péages, leur droit de propriété refusant l’accès aux besoins de base et aux technologies clés : ces propriétaires agissent comme les propriétaires d’un domaine de la connaissance scientifique. L’État qui verse des intérêts aux détenteurs d’obligations au lieu de créer sa propre monnaie paye un tribut, une rente, pour avoir renoncé à la fonction de création monétaire. L’acheteur d’une maison qui paye des intérêts hypothécaires au banquier pour un crédit a le même effet qu’une taxe (les banques veulent monopoliser le privilège de la création de crédit et bloquer les initiatives bancaires publiques : le secteur de la finance, de l’assurance et de l’immobilier cherche à gouverner de fait l’économie et à privatiser le domaine public). La nature essentiellement publique des privilèges légaux d’extraction d’une rente est ce qui en fait une sorte d’impôt privé. Les rentiers prélèvent des frais pour l’accès à des biens assignés par l’État. Contrairement à l’investissement dans les infrastructures publiques, qui vise à minimiser les coûts des services publics de base comme les soins de santé et la création d’argent, la privatisation des infrastructures publiques, des droits de brevets, des connaissances scientifiques et des ressources naturelles pour l’extraction de rentes visent à maximiser la structure des coûts de l’économie afin d’en tirer davantage pour le secteur de la rente et pour la classe des rentiers. Ces charges ne reflètent aucun coût de main-d’œuvre ou d’entreprise réel (à l’exception du coût des avocats, des lobbyistes et de l’influence politique apparentée) et ne sont pas en pas de nature à générer des profits industriels. Tous les pays devraient avoir accès aux découvertes scientifiques, car la technologie est un bien universel et commun de la civilisation : la plupart des privilèges de monopole et certains droits de brevets pour des innovations fondamentales ne devraient pas bénéficier d’une protection juridique en vertu du droit international (par exemple les produits pharmaceutiques de base, la science et la technologie).

L’investissement dans les infrastructures publiques est un facteur de production. Son rôle est de faire baisser le coût de la vie et des affaires dans l’économie, en fournissant des transports, des communications, des soins de santé et d’autres services au prix coûtant, sur une base subventionnée ou gratuite. L’investissement public dans ces monopoles naturels les maintient hors de portée des acteurs de la privatisation, des extracteurs de rentes et des financiers.

Il ne faut pas limiter l’analyse à la production et à la demande en cours de biens et de services (PIB) : on laisse ainsi de côté des rentes immobilières, financières et autres qui façonnent la répartition des revenus et des richesses. Il n’est pas vrai que toute activité qui rapporte de l’argent fait partie du marché : c’est légitimer l’activité prédatrice et ses gains financiarisés au profit des 1%. Il n’est pas vrai que toutes les réformes sont des distorsions du marché.

Les plus-values doivent être soumises à l’impôt sur le revenu et aux cotisations pour financer la sécurité sociale. Les gains sur le prix des actifs sont l’objectif principal des investisseurs du secteur de la finance, de l’assurance et de l’immobilier, et pourtant on ne trouve dans les statistiques aucunes mesure sur l’augmentation du prix des actifs des terrains, des actions et autres titres financiers. L’augmentation du prix des actifs ne résulte pas tant des efforts du propriétaire que, premièrement, des investissements publics dans les infrastructures qui augmentent la valeur du site où se trouvent les biens immobiliers, deuxièmement, de la prospérité nationale qui augmente la demande pour les logements et les stocks et troisièmement, des politiques de crédit qui sont facilitées par la banque centrale (assouplissement quantitatif) pour faire baisser les taux d’intérêt et augmenter le prix des obligations. Ces gains issus de l’augmentation du prix des actifs, ces moyens d’enrichissement, bénéficient d’un régime de favoritisme fiscal par rapport aux revenus salariaux et aux bénéfices industriels tirés de la formation de capital matériel, ce qui fait des 1% une classe essentiellement rentière, enrichie par des subventions publiques alors que les impôts sont réduits sur les gains financiers et immobiliers qu’ils obtiennent en empruntant.

Le capitalisme financier rationalise son emprise prédatrice sur l’économie. Les dettes et les crédits dépassent rapidement la capacité de paiement de l’économie, d’où des saisies immobilières et des transferts de propriété, des privatisations qui empêchent l’État de rendre l’économie plus compétitive (la formation de capital par l’État n’est pas considérée comme un actif), une augmentation du service de la dette qui détourne des dépenses en biens et services, qui contracte l’économie, les investissements et les embauches.

Les dettes à intérêt composé et les crédits bancaires tendent à dépasser la capacité de paiement de l’économie. Il en résulte une déflation par la dette, une vague de saisies immobilières, un asservissement à la dette et des privatisations qui transfèrent le domaine public à des extracteurs de rente privée. L’augmentation du service de la dette détourne des dépenses en biens et services, ce qui contracte l’économie et donc les investissements et les nouvelles embauches. Le krach financier force l’économie à choisir entre l’amortissement des dettes à l’échelle de ce qui peut être payé (ou à une forme d’annulation des dettes à l’échelle de l’économie), ou à laisser les créanciers procéder à des saisies, à transférer la propriété des biens des débiteurs défaillants à la couche financière supérieure de l’économie, tout en plongeant l’économie dans une dépression. Dans la crise fiscale qui s’ensuit, le secteur financier force les États à renoncer aux biens publics (privatisations).

Il n’est pas vrai que la privatisation est plus efficace que la propriété et la gestion publiques. L’investissement public dans les infrastructures est le principal levier de formation de capital. L’État, au lieu de réaliser un profit sur cet investissement, subventionne les prix pratiqués pour les services d’infrastructure de base afin de rendre l’économie plus compétitive : il aide le secteur privé à fonctionner de manière plus rentable. Les routes et autres transports de base, la poste et les communications, la recherche et le développement, la santé publique et l’éducation sont des monopoles que l’État a longtemps gardés dans le domaine public. Leur privatisation augmente les intérêts, les rentes, les salaires et les primes des dirigeants. Le rôle de l’investissement public n’est pas pris en compte : la formation de capital par l’État n’est pas considérée par les statistiques comme un actif.

Les mythes économiques prospèrent.

Le capitalisme salarial, le capitalisme des fonds de pension et de la sécurité sociale favorisent les paiements de transfert au secteur financier. Plutôt que de sauver l’économie, on sauve les banques, qui ont pourtant fait des prêts imprudents et frauduleux. On prône la réduction des dépenses publiques et la réduction des déficits budgétaires. Tous les biens et services devraient être payés par leurs utilisateurs. La déréglementation du secteur financier permet de développer la fraude.

Troisième partie. Les réformes indispensables.

Premièrement, il faut effacer les dettes qui entravent la reprise économique.

En 2008, les observateurs ont insisté pour que les dettes soient réduites à la capacité de remboursement, ce qui aurait permis d’éviter les saisies massives qui ont mis des millions de maisons sur le marché à des prix de banqueroute. Les banques se sont opposées à ces dépréciations des dettes à la capacité de remboursement des emprunteurs parce que cela leur aurait imposé des pertes ainsi qu’aux détenteurs d’obligations et autres acteurs financiers. La Réserve fédérale a créé suffisamment de réserves monétaires pour que les banques puissent compenser leurs pertes, mais rien pour renflouer des propriétaires. Les banques frauduleuses n’ont pas été poursuivies pour les fraudes hypothécaires et les fraudes à la souscription. Le Trésor n’a pas voulu qu’on utilise les réserves restantes de la banque pour couvrir les réclamations des déposants assurés – par opposition aux actionnaires, aux obligataires et aux contreparties non assurées (qui auraient pu se voir attribuer la propriété des actions de ce qui reste). Les banquiers refusent toute restructuration même partielle de la dette, préférant la décomposition financière, l’austérité chronique, l’appauvrissement, la déflation qui ronge la demande des consommateurs et les investissements des entreprises, ce qui rend encore plus difficile le remboursement du fardeau de la dette : effacer les ardoises aurait aidé les banques à devenir des services publics, et cela aurait facilité la mise en place de la taxation des rentes.

Deuxièmement, il faut imposer les rentes économiques pour éviter qu’elles ne soient capitalisées avec les intérêts payés.

Pour éviter qu’une financiarisation se produise après une restructuration de la dette, il faut focaliser la politique fiscale sur l’extraction de rentes et des plus-values en capital, sinon les banques et les marchés financiers continueront de créer du crédit, pour prélever une rente foncière sur l’immobilier, une rente sur les ressources naturelles pour les secteurs pétroliers et miniers, et une rente de monopole sur les infrastructures du domaine public privatisé.

L’immobilier demeure le plus gros actif dans presque toutes les économies. Environ 80 pour cent des nouveaux crédits bancaires prennent la forme de prêts hypothécaires, dont l’effet principal est d’augmenter les prix de l’immobilier, hausse des prix qui sert d’appât empoisonné pour les acheteurs de maisons (et aussi pour les actionnaires activistes du marché boursier) qui espèrent s’enrichir avec des gains en « capital » à effet de levier qui augmentent leur valeur nette sur papier.

L’augmentation des impôts fonciers, c’est autant qui n’est pas disponible pour être capitalisé dans le crédit bancaire et c’est diminuer le prix du logement.

La taxation de la rente foncière, de la rente des ressources naturelles et de la rente de monopole, premièrement, maintient les prix de l’immobilier à un bas niveau (c’est autant qui n’est pas capitalisé dans les prêts bancaires), deuxièmement, diminue les impôts sur les salaires, les bénéfices et les ventes, ce qui libère la main-d’œuvre et l’industrie, qui allège les budgets familiaux, troisièmement, diminue les crédits qui sont un coût de transfert de propriété pour les affecter à la production réelle et à la productivité.

Une économie criblée de dettes et soumise à des taux d’imposition bas, dans laquelle les fortunes sont basées sur l’exploitation des rentes et sur des créances financières sur la nation qui paye les intérêts, l’amortissement et les frais (vision financière de l’économie, avec une économie de bulle qui suppose l’endettement et la taxation du travail et des consommateurs – plutôt que la rente économique), est plus coûteuses qu’une économie qui fonde son système fiscal sur la rente foncière, la rente des ressources naturelles et la réglementation des prix monopolistiques (vision industrielle de l’économie).

 Si l’État perçoit les rentes foncières, les propriétaires fonciers seront en défaut de paiement vis-à-vis des banques ou se verront obligés de céder leurs propriétés, et lorsque les banques ne recevront pas ce qu’elles avaient prévu, beaucoup verront leurs réserves anéanties, ce qui décimera les actionnaires et obligataires. Pour taxer les rentes il faut donc procéder à une prise de contrôle public de ces banques « en difficulté ». C’est ou bien la transformation de l’économie en un système de Ponzi rentier, soit subordonner le système bancaire et fiscal au financement de la croissance : la réforme doit être générale et non fragmentaire. Il est difficile de ne pas nationaliser les banques.

Troisièmement, il faut supprimer la déductibilité fiscale des intérêts.

L’intérêt n’est pas un coût d’exploitation lorsqu’il est payé pour transférer les droits de propriété à des propriétés ou entreprises existantes. Déduire de l’impôt les intérêts payés sur ces transactions permet aux 1% de prélever davantage sur l’industrie, l’immobilier et le commerce, favorise les raids financiers sur les entreprises industrielles en payant plus aux obligataires qu’aux actionnaires (en leur versant des sommes qui autrement seraient déclarées comme bénéfice imposable), encourage non l’investissement en actions mais l’effet de levier de la dette, en particulier pour les rachats par emprunt qui ajoutent des frais d’intérêt aux coûts d’exploitation de l’entreprise, augmente le coût de la vie, dans la mesure où elle transfère le fardeau fiscal sur le revenu salarial et les achats des consommateurs, laisse plus de rentes immobilières après impôt et de flux de trésorerie libre à même d’être capitalisé dans des prêts plus importants qui augmentent le prix des actifs pour de nouveaux acheteurs à crédit (les intérêts non imposés finissent par être versés aux banquiers et aux obligataires).

Quatrièmement, il faut offrir la possibilité de choisir une banque publique.

Une banque publique offre des comptes de dépôt et de chèques, des prêts et des cartes de crédit à des taux reflétant le coût réel de ces services (ou même à des taux subventionnés au lieu des intérêts, des frais et pénalités actuels), et il est peu probable que les services bancaires publics accordent du crédit pour les prises de contrôle d’entreprises, le démembrement d’actifs et l’endettement. Il faut séparer les banques de dépôt et les banques d’investissement : les grandes banques peuvent tenir l’État en otage et le forcer à les renflouer lorsque la croissance des créances financières fait éclater une nouvelle crise de solvabilité. De plus, il est plus facile pour les États d’annuler les dettes qu’ils ont envers eux-mêmes que les dettes qu’ils ont envers des créanciers privés.

Cinquièmement, il faut faire financer les déficits publics par les banques centrales et non par les impôts.

La monnaie a toujours été une création publique. Le papier-monnaie est une forme de dette publique. L’État l’a créé comme une sorte de reconnaissance de dette lorsqu’il est utilisé pour payer pour des biens et des services. C’est ainsi que les États fournissent de la monnaie aux économies. Les détenteurs de cette monnaie sont en position de créanciers du reste de l’économie et ils payent avec ce crédit (qui reçoit de la valeur parce que l’État accepte de le recevoir en paiement des impôts). La dette publique – y compris la masse monétaire – existe parce que l’État accumule les dettes siècle après siècle. Le déficit crée la base monétaire de l’économie, qui augmente proportionnellement à l’augmentation de la dette publique. Les dettes publiques n’ont pas à être remboursées, sans quoi la masse monétaire disparaîtrait. Le rôle des banques centrales est de créer électroniquement de la monnaie à dépenser dans l’économie pour stimuler la croissance économique sans entraîner de dette portant intérêt envers les banques commerciales et les détenteurs d’obligations. Les banques centrales ont été fondées pour financer les déficits. Les élites financières s’opposent au financement des déficits par la banque centrale, préférant tenir les gouvernements en laisse, avec des banques centrales qui créent de la monnaie pour renflouer les banques et non l’économie. L’assouplissement quantitatif ne permet pas de financer de nouveaux investissements industriels, de réparer des ponts, des routes et d’autres infrastructures en mauvais état, ni de maintenir des emplois : son objectif est d’améliorer les bilans des banques en soutenant les prix des hypothèques immobilières. Il s’agit donc de sauver les banques et non l’économie. Le renchérissement des prix des actifs rend l’achat d’une maison plus coûteux pour les familles, ce qui réduit leur pouvoir d’achat pour les biens et services. L’État a abandonné la création de crédit aux banques commerciales. La différence entre la création de monnaie publique et le crédit bancaire est que l’objectif public est de promouvoir la croissance économique et non l’inflation des prix des actifs. Pour assurer la prospérité nationale, il faut investir de l’argent dans l’économie – par exemple, pour de nouveaux investissements dans les immobilisations, les soins de santé et les pensions de retraite.

Sixièmement, il faut maintenir les monopoles naturels dans le domaine public pour empêcher l’extraction de rentes.

La privatisation implique la financiarisation, ce qui ajoute les frais d’intérêt, les dividendes et les salaires exorbitants des gestionnaires au prix d’équilibre demandé – sans parler de l’utilisation des profits ou des rentes pour le rachat d’actions en vue de créer des gains en capital pour les gestionnaires et propriétaires. Les privatiseurs facturent un prix aussi élevé que le marché le supportera. Cette marge est une rente de monopole. C’est pour éviter cette exploitation par les prix que les infrastructures vitales étaient traditionnellement gardées dans le domaine public. À moins de renationaliser les terres, les ressources naturelles et les monopoles dans le domaine public, le remède est une taxe sur les rentes, soutenue par une taxe sur les profits excessifs et l’enrichissement sans cause.

Septièmement, il faut décourager les prêts irresponsables grâce au principe de transfert frauduleux.

Les prêts consentis sans une analyse raisonnable pour s’assurer qu’ils peuvent être remboursés dans le cours normal des affaires seraient réputés avoir été consentis frauduleusement. Les entreprises qui se sont défendues contre les raders dans les années 1980 ont invoqué le principe du transfert frauduleux pour prétendre que les obligations de pacotille et les prêts bancaires finançant les rachats ne pouvaient être payés qu’en découpant l’entreprise, en réduisant ses plans de retraite ou en mettant fin à son investissement à long terme. Pour la dette publique, le principe directeur serait que les détenteurs d’obligations devraient être perdants si la seule façon de les payer est d’imposer l’austérité, le chômage et l’émigration forcée ou de vendre le domaine public. Aucune nation ne devrait être obligée de payer ses créanciers avant de satisfaire ses propres besoins de survie économique. La question est de savoir si la société sauve les économies endettées ou les créanciers. Les banquiers crient au désordre, mais cette solution est moins radicale que de transformer l’économie en une terre en friche criblée de dettes. Il est plus radical de laisser la déflation par la dette aggraver l’austérité pendant que les banques saisissent les biens, que de laisser les États protéger les débiteurs, dont les rangs constituent la grande majorité de la population et des entreprises. Le réalisme et le maintien de marchés viables exige que l’on reconnaisse qu’en fin de compte la plupart des dettes ne peuvent être payées.

Si l’accumulation de la dette se poursuit, l’économie ne peut pas éviter une crise de la dette qui s’aggravera de façon exponentielle, car elle suit le vecteur exponentiel d’un schéma de Ponzi.

Quatrième partie. Les dettes et les annulations de dettes dans l’économie ancienne.

Les économies anciennes fonctionnent à crédit, à cause du délai entre l’achat de la plantation ou de la bière et la vente de la récolte : le règlement de l’achat de la plantation ou de la bière se fait au moment de la vente de la récolte. Le palais et le temple créent de la monnaie pour acheter à l’extérieur et fixer la valeur les matériaux non disponibles sur le marché intérieur, pour fixer les prix administrés, pour collecter les rentes foncières, les impôts et les taxes, pour payer les dettes, pour employer des fonctionnaires, des paysans, des éleveurs, des artisans et la main-d’œuvre pour la construction des bâtiments publics, pour établir des budgets prévisionnels, comptabiliser les excédents et les déficits, mesurer les flux de nourriture et de matières premières, établir les comptes de gestion des terres, des troupeaux, des brasseries, des boulangeries, de l’industrie artisanale, des transports, des services rituels. Le mois lunaire est remplacé par un mois normalisé de 30 jours, ce qui fait 60 rations par mois pour la main-d’œuvre. Le taux d’intérêt est fixé à un soixantième par mois, ce qui double le principal en cinq ans (60 jours). Les équivalences des prix officiels sont fixées. Les annulations de dettes sont fréquentes.

Les économies du néolithique et de l’âge de bronze fonctionnent à crédit : en raison du délai entre la plantation et la récolte, les paiements ne sont pas effectués au moment de l’achat.

Pour payer le tavernier, on reconnaît l’existence d’une dette qui sera réglée au moment de la récolte, et, au moment de cette récolte, le tavernier rembourse au palais ce que celui-ci lui avait avancé.

Les comptables du palais et du temple développent la monnaie comme un outil pour la planification et l’allocation des ressources, pour les transactions avec le reste de l’économie en vue de collecter les rentes foncières, pour fixer la valeur des envois commerciaux, payés en argent à la fin de chaque cycle de navigation ou de caravane.

Les dettes monétaires et les moyens de paiement permettent au palais et au temple de gérer une économie essentiellement agraire qui a besoin d’un commerce extérieur pour obtenir les métaux, de la pierre et d’autres matériaux non disponibles sur le marché intérieur. Ces institutions emploient des artisans, nourris par les récoltes cultivées sur les terres des palais ou des temples ou sur les terres des métayers payant des loyers ou des droits, fournis en laine par les troupeaux des temples et des palais et gérés par des entrepreneurs ou appartenant à des tiers. La construction des bâtiments publics implique d’approvisionner la main-d’œuvre en nourriture, en bière, en cérémonie et en outil.

Afin d’établir les budgets prévisionnels et de comptabiliser les excédents ou les déficits, on mesure ces flux, on présente au palais les comptes de gestion des terres cultivées, des troupeaux, de la brasserie, de la cuisson du pain, de la production des objets artisanaux destinés aux institutions et au commerce local ou à longue distance. Les produits sont confiés à des commerçants pour obtenir de l’argent, du cuivre et d’autres matières premières. La gestion des terres, des fonctions publiques et des entreprises professionnelles est confiée à des entrepreneurs en échange d’un revenu stipulé, sous la forme d’un forfait basé sur le rendement normal des entrepreneurs privés.

L’échelle à laquelle les grandes institutions opèrent nécessite une planification pour programmer et suivre le flux de nourriture et de matières premières dans les champs et les ateliers.

Le premier besoin de ces institutions est d’attribuer des valeurs normalisées aux principaux produits, avec des prix administrés, établis en chiffres ronds pour faciliter le calcul et la tenue des comptes. Les céréales sont adoptées comme unité de compte pour calculer ces valeurs, co-mesurer le temps de travail et le rendement des terres, en vue de l’allocation des ressources concernant la sphère agricole et artisanale, et comme moyen de paiement.

Le deuxième besoin de ces institutions est d’organiser les moyens de paiement des impôts et des taxes pour financer les fonctionnaires et les entreprises commerciales. L’argent sert de monnaie de compte et de moyen de paiement pour le commerce et les entreprises commerciales. Un système bimonétaire permet de payer le palais et les temples, et d’évaluer les marchandises et les fonctions. L’acceptation du grain et de l’argent pour le règlement des dettes officielles catalyse leur utilisation comme monnaie dans toute l’économie. Les grains de céréales et l’argent sont des points de référence pour mesurer les transactions au sein des institutions comme avec le reste de l’économie, concernant les céréales, le textile, la bière, le transport par bateau et la réalisation des services rituels. Le cuivre, la laine l’huile de sésame se voient attribuer des valeurs dans une grille de prix global, et ces produits apparaissent convertibles avec les grains, avec l’argent ou entre eux. Les prix des produits sont administratifs, ne reflétant pas l’abondance ou la pénurie, l’évolution du marché, la demande et l’offre des produits. On exprime les revenus et les dépenses, les frais, les impôts et les dettes dues aux institutions. Le grain et l’argent sont mesurés ou pesés dans des unités standardisées.

Pour faciliter le calcul de l’allocation interne des ressources au sein des institutions, pour allouer les ressources sur une base mensuelle régulière, les mois lunaire de durée variable sont remplacés par des mois normalisés de 30 jours. Chaque unité mensuelle de céréales est mesurée en unités volumétriques divisées en 60, pour être consommées comme ration de la main-d’œuvre deux fois par jour pendant chaque mois. Les rations alimentaires sont traduites en temps de travail pour chaque catégorie de main-d’œuvre – homme, femme et enfants. On calcule les rations nécessaires pour produire des textiles ou des briques, construire des bâtiments publics ou creuser des canaux pendant une période donnée. Cet argent et cette monnaie de grains servent de coefficient de prix par lequel les institutions évaluent les produits de leur main-d’œuvre et de l’artisanat qu’ils expédient aux marchands.

Le taux d’intérêt des avances commerciales libellées en argent est fixé de la manière sexagésimale la plus simple : un soixantième par mois, ce qui double le principal en cinq ans (60 mois). Ce taux normalisé est adopté par l’ensemble de l’économie.

Les valeurs monétaires doivent être stables afin que les producteurs puissent planifier à l’avance et minimiser le risque de perturbation des prix, et donc la capacité à payer les dettes. Les équivalences de prix officielles servent donc de complément à la politique fiscale tout en évitant l’instabilité. Tout citoyen qui doit de l’orge ou de l’argent à un marchand ou à un collecteur du palais peut payer en marchandise de valeur équivalente figurant sur la grille des prix officielle. Cette règle est importante pour les entrepreneurs agricoles et les gestionnaires de troupeaux qui empruntent, mais surtout, cette stabilisation du taux de change céréales/argent donne à un débiteur pauvre (un petit agriculteur ou un locataire) une protection et une aide juridique, ce qui est renforcé par la règle suivant laquelle un créancier qui prend plus perd tout ce qu’il a donné, c’est-à-dire sa créance initiale. Les débiteurs ne sont donc pas lésés au moment de la récolte, lorsque, en dehors des institutions, les paiements sont dus et que le prix des céréales est plus bas par rapport à l’argent. La garantie de change du palais permet aux cultivateurs qui doivent des droits, des taxes et d’autres dettes libellées en argent de payer en orge sans avoir à la vendre contre de l’argent. Une dette « en argent » signifie que le taux d’intérêt est de 20 pour cent. Si les créanciers veulent réellement de l’argent, ils doivent convertir leur grain à un prix de marché bas au moment de la récolte, lorsque les récoltes sont abondantes. Les livraisons aux collecteurs du palais sont stabilisées, ce qui permet de minimiser l’effet des fluctuations de prix en dehors du secteur palatial. Cependant les prix varient pour les transactions n’impliquant pas les grandes institutions : le prix des céréales augmente en cas de mauvaise récolte, de sécheresse ou d’inondation, des changements qui sont le résultat d’une rareté due à des causes naturelles et non à un phénomène monétaire. Une pénurie d’argent est évitée dans de tels cas par des restaurations de l’ordre royal annulant les dettes agraires lorsque les circonstances les rendent impayables. Les compteurs sont mis à zéro lors de l’accession d’un nouveau souverain. Aucune somme d’argent n’est exigée pour les dettes personnelles, mais les dettes commerciales sont maintenues. La monnaie est simplement le barème officiel des prix pour le paiement des dettes aux grandes institutions.

L’annulation des dettes par le jubilé, la redistribution des terres monopolisées par l’aristocratie (et accessoirement les pillages, des pillages qui ne font que retarder la déchéance) permettent le décollage économique. Les créanciers, contre-révolutionnaires constitués en oligarchie, assassinent les débiteurs qui veulent annuler la dette et la monopolisation de la terre. Jésus est assassiné par les créanciers romains pour avoir voulu l’annulation des dettes. Le christianisme projette l’annulation des dettes, interdite dans ce monde des créanciers romains, dans l’autre monde. Le monde des créanciers romains nous a laissé le droit romain.

L’objectif économique, politique et idéologique des jubilés de la dette est de rétablir la solvabilité de l’ensemble de la population, de libérer les entreprises de divers impôts et droits de douane, de créer une société juste et équitable. Il s’agit de fournir aux citoyens le niveau minimal de ressources pour être autosuffisant. L’accumulation de richesse est permise aussi longtemps qu’elle ne perturbe pas le fonctionnement normal de la société.

Au septième siècle avant J.-C., les dirigeants populistes grecs appelés tyrans ont ouvert la voie au décollage économique en annulant les dettes et en redistribuant les terres monopolisées par l’aristocratie. La demande d’un jubilé de la dette était si populaire qu’un général grec du quatrième siècle avant J.-C. conseille aux attaquants des villes d’attirer la population à leurs côtés en annulant les dettes, et aux défenseurs de s’assurer de la loyauté de leur population en faisant la même offre. Les villes qui s’abstenaient d’annuler les dettes étaient conquises ou tombaient dans la servitude, l’esclavage et le servage généralisés. Après avoir renversé des rois et des tyrans populistes, les créanciers et les oligarchies accusent les défenseurs des intérêts des débiteurs d’être des tyrans ou de chercher à conquérir le trône royal comme les frères Gracchus et Jules César à Rome. Les rois de Sparte sont tués pour avoir tenté d’annuler des dettes et d’annuler la monopolisation de la terre au troisième siècle avant J.-C. La contre-révolution antidémocratique parrainée par les créanciers à Rome a conduit à la polarisation économique, à la crise fiscale, au déclin et finalement à la conquête. Les possibilités de pillage disparaissant, l’économie impériale sombre dans l’âge des ténèbres. Il a fallu plusieurs siècles avant que ne survienne le décollage commercial de l’Europe occidentale, grâce au financement des Croisés qui ont pillé Constantinople en 1204 et grâce à la découverte des Amériques qui a entraîné un afflux massif d’or et d’argent permettant d’alimenter le commerce et de payer les armées et les marines.

Jésus a été accusé de chercher à conquérir le trône royal pour faire appliquer son programme au détriment des créanciers. Par la suite, alors que l’annulation de la dette était devenue politiquement impossible sous l’empire romain qui soutenait militairement les privilèges des créanciers, le christianisme a transformé l’idéal d’une amnistie de la dette en visée eschatologique d’un autre monde.

 Le pouvoir de Rome favorable aux créanciers nous a légué les bases modernes du droit qui ont survécu au Moyen Âge pour conduire la civilisation occidentale une fois de plus dans l’impasse de la dette.

Cinquième partie. Le capitalisme financier, ce nouveau féodalisme, n’est pas suffisamment pris en compte par les marxistes comme par les institutionnalistes.

Le marxisme autoproclamé ne voit chez Marx que sa lutte contre les capitalistes industriels, au point d’avoir abandonné sa discussion de la lutte prolétaire contre les propriétaires terriens et les banquiers usuraires. Ces marxistes ont tendance à privilégier la lutte des classes, l’exploitation industrielle du travail et l’impérialisme, à traiter l’épargne seulement comme une accumulation de profits industriels. Ils ne prennent pas suffisamment en compte la nécessité de la taxation des revenus non gagnés des rentiers et de maintenir les ressources naturelles et les monopoles dans le domaine public. Ces marxistes ne voient pas l’écart entre la valeur comptable et la valeur boursière, ne comprenant pas que l’augmentation des frais généraux financiers mène à la faillite des entreprises et que les profits servent à acheter des actions de sa propre entreprise, à verser les dividendes et à emprunter pour se rembourser. Le secteur financier actuellement privatise et absorbe la majeure partie des revenus extraits par les secteurs de l’assurance et de l’immobilier, ainsi que par les grands monopoles.

Le premier socialisme (et la plupart des socialistes non marxistes) vise à atteindre une plus grande égalité, principalement en taxant les revenus non gagnés des rentiers et en maintenant les ressources naturelles et les monopoles dans le domaine public. Les marxistes autoproclamés ne voient chez Marx que la lutte des classes entre les employeurs industriels et les travailleurs, la lutte contre les capitalistes industriels, au point d’abandonner la discussion de Marx dans les volumes deux et trois de Capital de la lutte prolétaire contre les propriétaires terriens et des banquiers usuraires. Marx est la bête noire des rentiers parce qu’il a montré comment le capitalisme industriel a maté les intérêts fonciers, financiers et monopolistiques qui avaient survécu au féodalisme, ce qui avait exigé un État assez fort pour faire face aux intérêts des rentiers et briser leur emprise post-féodale. Ces marxistes autoproclamés relèguent la critique des rentiers au second plan, abandonnant cette lutte à des réformateurs plus bourgeois. L’épargne financière est traitée comme une accumulation de profits industriels et non comme un phénomène autonome. À la suite de Lénine, le capital financier est discuté en référence à l’impérialisme et, au moment où le monde se disloque, on parle de la guerre provoquée par des rivalités commerciales. La campagne en faveur de la taxation foncière et même de la réforme financière disparaît du débat public à mesure que les socialistes et autres réformateurs sont devenus de plus en plus marxistes et se sont concentrés sur l’exploitation industrielle du travail.

Les idéologues libertaires anti-État et antisocialistes, idéalistes inefficaces et sectaires déconnectés de la réalité, ne comprennent pas que les banquiers sont les concurrents des propriétaires terriens et de l’État et que c’est pour convertir la rente foncière en prêts bancaires qu’ils voulaient en finir avec elle, et ils ne comprennent pas non plus que l’État est le seul pouvoir assez fort pour taxer et réguler la terre et les monopoles et pour contrer le lobby bancaire.

Veblen met en évidence l’écart entre la capacité de production, la valeur comptable des actifs de l’entreprise et leur cours boursier. L’augmentation des frais généraux financiers mène à la faillite et à la liquidation d’entreprises. L’industrie fait passer les gains financiers avant la production. Les gestionnaires financiers utilisent les profits non pour investir, mais pour acheter des actions de leur entreprise – ce qui augmente la valeur de leurs options d’achat d’actions – et pour verser des dividendes, et même emprunter pour se rembourser. Les fonds spéculatifs dépouillent des actifs et endettent des entreprises, ne laissant dans leur sillage que des coquilles vides, en faillite : un véritable pillage. Les institutionnalistes américains conservent la théorie de la rente et de son corollaire, le revenu non gagné. Ils mettent l’accent sur la dynamique des banques finançant la spéculation immobilière, sur les manœuvres de Wall Street pour organiser les monopoles et les trusts.

Après la vague de spéculation financière et de fraude qui a conduit à l’éclatement de la bulle boursière en 2000, les banques ont alimenté une bulle immobilière encore plus grande et plus lourde. L’endettement de l’économie a permis au secteur financier d’absorber la majeure partie des revenus extraits par les secteurs de l’assurance et de l’immobilier, ainsi que par les grands monopoles (miniers, énergétiques, radio et télévision, téléphonie et transport) et de privatiser les infrastructures du domaine public pour en faire des opportunités de rente. Au-dessus des propriétaires terriens – maintenant de l’industrie – on trouve les banquiers, qui les dominent et qui utilisent le levier de la dette pour prendre également le contrôle des États.

Marx s’attendait à ce que la banque et la finance soit subordonnées aux objectifs de l’industrie – et à ce que la révolution soit dirigée d’en bas, par la classe ouvrière ou ses représentants politiques. Veblen prévoyait qu’une classe dirigeante d’ingénieurs industriels serait à même de conduire le monde vers une économie plus rationnelle et sociale.

Mais l’industrie a été financiarisée et la planification a été centralisée à New York, à Londres, à Paris et à Francfort plutôt que dans les mains du secteur public ou des ingénieurs industriels, si bien que l’économie se contracte, s’enfonce dans la déflation par la dette, imposant austérité économique et chômage. La classe financière considère la crise comme une opportunité pour s’emparer d’autres propriétés et devenir la nouvelle élite. Le capitalisme financier contemporain n’est pas la dernière étape du capitalisme industriel. Le capitalisme financier est un régime d’austérité capitaliste, un néoféodalisme qui a comme mode d’exploitation préférée l’asservissement par la dette, avec la tentative de remplacer la démocratie par une oligarchie financière.

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