La souveraineté de l’Ukraine : Fabrice Garniron

Fabrice Garniron : « Qui a mis fin à la souveraineté de l’Ukraine ? Retour sur un mythe médiatique », Réseau international, 17 août 2023.

Les médias occidentaux, qui sont des médias militarisés, des médias otanisés, parlent de la mise en cause en 2022 de la souveraineté de l’Ukraine par la Russie – ce que l’auteur appelle un mythe médiatique –, mais ne parlent pas et n’ont jamais parlé de la fin de la souveraineté de l’Ukraine par le coup d’État sanglant de février 2014 (autrement dit, à partir de février 2014, l’Ukraine n’a plus de souveraineté).

L’objectif des États-Unis et, à leur suite, de l’Union européenne, a toujours été de prendre le contrôle de l’Ukraine, de la transformer en une colonie euro-américaine.

 En Ukraine, aux élections de 2010, le candidat sortant, qui prône l’adhésion à l’Union européenne, obtient un score ridicule. L’importance des forces ukrainiennes opposées au basculement voulu par l’Union européenne et les États-Unis rend incertaine la réussite du projet d’association avec l’Union européenne dans un cadre d’une compétition démocratique normale. Ce qui est pire pour le camp occidental, la perspective de l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN est totalement impopulaire. Dans ces conditions, faire basculer l’Ukraine dans le giron occidental ne peut guère s’obtenir par des voies démocratiques. Le putsch est donc la seule option restant aux puissances atlantistes et à leur soutien ukrainien. Les États-Unis et l’Union européenne deviennent complices et soutiens des nazis ukrainiens pour organiser des massacres sous faux drapeau.

Le 18 février, des groupes paramilitaires nazis tirent sur les forces de l’ordre et les manifestants (13 morts, dont 6 policiers). Le 20 février, des tireurs nazis embusqués visent la foule et les policiers (86 morts, 600 blessés). L’opposition s’empresse d’accuser le président, sans preuve. Des groupes nazis prennent d’assaut le Parlement, et c’est sous la pression de 2000 manifestants nazis, d’un blindé, d’un « couloir de la honte » pour les récalcitrants et de la menace d’un incendie, que le Parlement destitue le président. Les preuves s’accumulent désormais pour désigner les nazis et non le président comme responsables du bain de sang. Il s’agit donc bien de massacres sous faux drapeau.

Les politiciens occidentaux se déplacent en Ukraine. Les diplomates américains, avant le putsch, dictent les personnalités qui doivent faire partie du gouvernement putschiste, et effectivement, après le putsch, ces personnalités constituent le gouvernement (les élites occidentales ont exigé la présence des nazis au gouvernement, bien au-delà de leurs scores électoraux, et effectivement les nazis occupent la vice-Présidence et contrôlent l’armée).

Le régime ukrainien se dit ultranationaliste, mais sa politique accepte le contrôle des États-Unis et de l’Union européenne sur les richesses, l’économie, la justice, l’armée et la politique extérieure de l’Ukraine. Les États-Unis et l’Union européenne ne laisseront en particulier aucune marge de manœuvre dans la guerre contre la Russie, refusant tout cessez-le-feu.

Le régime de Kiev veut avant tout se débarrasser de sa minorité russe. Il déteste la Russie qui soutient les russophones d’Ukraine et qui est, en plus, un espace multi-ethnique, multiracial, multireligieux, soit le contraire du projet mono-ethnique de Kiev. Pour réaliser cette folle épuration ethnique, le régime de Kiev brade la souveraineté de l’Ukraine et entraîne dans la mort de milliers d’Ukrainiens et de Russes, sans aucune compassion des Occidentaux.

L’auteur note la réécriture de l’histoire par le régime de Kiev et par les élites occidentales, avec la réhabilitation des nazis ukrainiens de 1933-1945 par le régime de Kiev. Le récit des nazis ukrainiens actuels est le suivant : « « les Juifs », les Russes et Staline ont commis un génocide en Ukraine dans les années 1930 (ce qu’ils appellent l’Holodomor), il est donc compréhensible que les nazis ukrainiens des années 1940, considérés comme des démocrates et des résistants en lutte contre le totalitarisme stalinien, aient participé aux massacres des Juifs ».

L’auteur note aussi la situation des pays de l’Union européenne qui abandonnent peu à peu leur souveraineté en échange de promesses de paix et de prospérité.

Le putsch de 2014 en Ukraine met fin à la souveraineté de l’Ukraine.

Le coup d’État de 2014 en Ukraine, mené par les États-Unis et par les pays de l’Union européenne, s’appuyant sur des milices ultranationalistes et néonazies locales, met fin à la souveraineté de l’Ukraine. Le putsch, fomenté par des puissances étrangères, visait à vassaliser l’Ukraine.

 La souveraineté de l’Ukraine n’est, à partir de 2014, qu’une fiction, dans les domaines militaire, politique, géopolitique, économique et juridique.

 Les médias occidentaux, qui ne sont que des médias militarisés, contrôlés par l’OTAN, cachent le putsch sanglant et pro-occidental de 2014 en Ukraine, ainsi que les motivations des États-Unis et des Occidentaux. Pour ces médias occidentaux, les États-Unis et les Occidentaux représentent le camp du Bien. Ce camp du Bien obéirait non à des intérêts (conquête de marchés, appropriation de matières premières, contrôle des ressources énergétiques et des voies permettant leur acheminement, logiques monétaires), mais à des « valeurs ».

Cependant, les objectifs des États-Unis sont formulés explicitement par leurs dirigeants : ne pas perdre le statut de puissance unipolaire et planétaire, et pour cela, premièrement, affaiblir l’Europe en évitant l’association entre l’Allemagne et la Russie, deuxièmement, affaiblir la Russie et, troisièmement, affaiblir la Chine.

 Pour affaiblir la Russie, les élites occidentales veulent prendre le contrôle de l’Ukraine et la transformer en une colonie euro-américaine gouvernée depuis Bruxelles et/ou Washington.

Les élites occidentales s’appuient sur la nébuleuse néonazie.

Pour prendre le contrôle de l’Ukraine, les élites occidentales s’appuient sur la nébuleuse néonazie ukrainienne.

Pour prendre le contrôle de l’Ukraine, il faut en effet non seulement arrimer économiquement l’Ukraine à l’Occident, mais aussi laisser se développer et même favoriser le révisionnisme historique, un révisionnisme historique consistant à réhabiliter les assassins de Juifs et de Russes, de façon à conduire, dans un pays où la population russophone et russophile est importante, à l’éclatement du pays et à une guerre civile inexpiable.

L’objectif de l’Union européenne est la réduction de la souveraineté des pays membres.

 Le représentant de l’Union européenne, Barroso, en phase avec Washington quant à l’hostilité à l’égard de la Russie, fait savoir que l’association Ukraine-Russie est incompatible avec la proposition bruxelloise d’association Ukraine-Union européenne. Il y a l’idée sous-jacente que, pour prendre possession de l’Ukraine, pour mettre en question sa souveraineté, il faut une déstabilisation du gouvernement légal, en jetant une partie de l’Ukraine contre l’autre.

 Il faut se rendre compte que, plus généralement, la stratégie de Bruxelles, en grande partie dictée par Washington, consiste, dans les pays de l’Union européenne, à mettre en question la souveraineté de chaque pays : ce sont les milliers de pages des « acquis communautaires », définissant les abandons de souveraineté, en échange des promesses de prospérité et de paix.

L’opinion ukrainienne est majoritairement opposée à l’adhésion à l’OTAN : le putsch organisé par l’Occident est la seule solution pour faire basculer l’Ukraine dans le giron occidental.

 L’Ukraine, en récession, doit, sur injonction autocratique de Bruxelles et de Washington, privatiser, couper dans les budgets sociaux, augmenter le prix du gaz, faire la rupture des liens avec la Russie alors que les économies russes et ukrainiennes sont complémentaires et interdépendantes, s’ouvrir aux produits européens contre la vente de ses matières premières et de sa main-d’œuvre à bas coût.

Aux élections de 2010, le candidat sortant soutenant l’adhésion à l’Union européenne obtient 5,45% des voix : la stratégie occidentale est en échec. L’importance des forces ukrainiennes opposées au basculement voulu par l’Union européenne et les États-Unis rend incertaine la réussite du projet d’association avec l’Union européenne dans un cadre de compétition démocratique normale. Ce qui est pire pour le camp occidental, la perspective de l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN est impopulaire.

Dans ces conditions, faire basculer l’Ukraine dans le giron occidental ne pouvait guère s’obtenir par des voies démocratiques. Le putsch était donc la seule option restant aux puissances atlantistes et à leur soutien ukrainien. Quant aux forces nécessaires à ce putsch, elles furent puisées dans la nébuleuse des néonazis ukrainiens.

Fin novembre 2013, seulement 35% des Ukrainiens désapprouvent la décision du président de ne pas signer le plan de l’Union européenne.

 Le président n’est pas antirusse : c’est une orientation qui ne convient pas au camp occidental.

 Les manifestations commencent, et des personnalités politiques occidentales viennent, au nom de leur propre gouvernement, apporter leur soutien aux manifestants, des ingérences ayant comme but de contraindre le président à signer le plan de l’Union européenne, voire d’obtenir la destitution du président. Les manifestants sont ainsi encouragés dans leurs objectifs maximalistes, voire insurrectionnels.

Il y a une alliance entre l’Occident et les groupes néonazis qui organisent un massacre sous faux drapeau.

 Ce sont des groupes néonazis armés qui organisent les manifestations et la prise du pouvoir, excluant ou assassinant les opposants, prenant d’assaut le Parlement et les médias.

Ces groupes nazis bénéficient d’un prestige certain auprès des manifestants, comme auprès des médias et des politiciens occidentaux.

L’alliance entre les Occidentaux et les néonazis ukrainiens va au-delà de l’alliance objective. Le camp occidental fait de la mouvance néonazie un partenaire fréquentable et ment sur sa nature pour la rendre présentable, pour augmenter son pouvoir, pour qu’elle puisse obtenir des postes sensibles sur les plans militaires et sécuritaires.

Les objectifs occidentaux sont d’en finir avec la souveraineté de l’Ukraine en offrant le pays aux appétits de leurs grandes entreprises et de faire de l’Ukraine un porte-avion menaçant la Russie, conformément à la stratégie américaine de rivalité avec la Russie, tandis que les objectifs des néonazis sont de réaliser une nation racialement pure, de souder la population autour d’un fanatisme antirusse, reposant en particulier sur une mythologie historique, celle de l’Olodomor.

Malgré les propositions du président, fin janvier 2014, d’ouvrir son gouvernement à l’opposition et de nommer un Premier ministre issu de ses rangs, la violence monte.

 Le 18 février, des groupes paramilitaires néonazis tirent sur les forces de l’ordre et les manifestants (13 morts, dont 6 policiers).

 Le 20 février, des tireurs embusqués visent la foule et les policiers (86 morts, 600 blessés).

 L’opposition s’empresse d’accuser le président, sans preuve. Des groupes néonazis prennent d’assaut le Parlement, et c’est sous la pression de 2000 manifestants nazis, d’un blindé, d’un « couloir de la honte » pour les récalcitrants et de la menace d’un incendie, que le Parlement destitue le président.

 Un simulacre d’État de droit est accompagné et approuvé à chacune de ses étapes par les politiciens et médias occidentaux.

Les preuves s’accumulent pour désigner l’opposition et non le président comme responsable du bain de sang. Il s’agit donc d’un massacre sous faux drapeau, avec le lien systémique entre les médias occidentaux et l’OTAN, l’incantation sur les « valeurs », la dénonciation mensongère de ceux qui en fait ne sont pas les auteurs du massacre, l’occultation des auteurs réels et la disparition du fait politique et historique que ce massacre représente. Les auteurs du massacre sous faux drapeau s’emparent des victimes pour les honorer comme si elles étaient tombées sous les balles de l’ennemi.

La guerre commence le 16 février 2022, provoquant la réaction inévitable de la Russie.

La guerre a été voulue par Kiev et son tuteur américain plusieurs années avant février 2022. Kiev fait la guerre pour le compte des États-Unis en échange du projet d’une Ukraine « ethniquement pure ». En mars 2021, Zelenski signe un décret de reconquête militaire de la Crimée et du Donbass et le 16 février 2022 Zelenski commence une campagne de bombardements massifs sur la région autonomiste, début de l’offensive terrestre prévue par le décret de mars 2021 (les médias occidentaux n’en parlent pas).

 Le 21 février, la Russie reconnaît les deux républiques, pendant que Biden alerte sur une prochaine attaque russe, une certitude pour Biden, car il sait que la Russie ne peut faire autrement que de réagir. L’intervention russe a été délibérément provoquée.

Remarquons que les pays de l’Union européenne sont dans la même situation que l’Ukraine : nous n’avons pas de marge de manœuvre pour décider de la guerre et de la paix. Avec la guerre en Ukraine, l’Europe menace d’être entraînée dans une guerre contre la Russie.

Russophobie et poutinophobie.

Le bellicisme utilise les mensonges et la haine, en l’occurrence la russophobie (la Russie nous menace) et la poutinophobie (les Occidentaux détestent les chefs d’État que les Russes aiment).

Les nationalistes, pour réaliser une Ukraine racialement pure, font des États-Unis les maîtres de l’Ukraine.

Le 25 janvier 2014, juste avant le putsch, les diplomates américains présents à Kiev, comme s’ils étaient certains d’être obéis, choisissent les plus aptes aux fonctions ministérielles ukrainiennes, comme si l’Ukraine était un pays occupé ou un pays ayant perdu toute souveraineté : les représentants d’un État étranger choisissent les ministres d’un autre État !

Les États-Unis sont les vrais maîtres de l’Ukraine. Pour eux, la souveraineté de l’Ukraine ne présente pas le moindre intérêt.

 Les ministres choisis le 25 janvier, avant le putsch, sont les mêmes que ceux qui arrivent à la tête de l’Ukraine après le putsch.

 En particulier, les diplomates américains avaient souhaité l’intégration dans le futur gouvernement de la mouvance néonazie, et effectivement cette mouvance néonazie obtient, bien au-delà de ses résultats électoraux, le poste de vice-Premier ministre, celui de ministre de la Défense, celui de secrétaire du Conseil national de Sécurité et de Défense (qui chapeaute les ministres de la Défense et de l’armée elle-même).

Biden menace le président ukrainien de ne pas accorder à l’Ukraine un prêt s’il ne se débarrasse pas du procureur général d’Ukraine qui enquête sur son fils.

 Les ultralibéraux, les néonazis et autres antirusses fanatiques de Kiev se soumettent aux Occidentaux (privatisation des terres et des ressources pétrolières et gazières au profit des entreprises occidentales) pour arriver à une Ukraine ethniquement pure. Le régime ukrainien se dit ultranationaliste, mais sa politique accepte le contrôle des États-Unis et de l’Union européenne sur les richesses, l’économie, la justice, l’armée et la politique extérieure de l’Ukraine. Les États-Unis et l’Union européenne ne laisseront aucune marge de manœuvre dans la guerre contre la Russie.

 Le régime de Kiev veut avant tout se débarrasser de sa minorité russe, il déteste la Russie qui soutient les russophones d’Ukraine et qui est, en plus, un espace multi-ethnique, multiracial, multireligieux, soit le contraire du projet mono-ethnique de Kiev.

Les États-Unis contrôlent, manipulent, financent et arment avec pour motivation le maintien de leur statut de puissance unipolaire auquel la chute du Mur leur a permis d’accéder, statut menacé par les puissances aspirant à un ordre multipolaire, principalement la Russie et la Chine.

Le putsch de 2014 est contre les russophones, mais aussi, en dernière analyse, contre les Ukrainiens de l’Ouest, qui payent la politique folle d’épuration ethnique de leur vie.

Les nationalistes putchistes se lancent dans une guerre contre les millions de russophones, refusant de  leur payer les retraites et les allocations, les privant d’aide économique, de services publics et de réseau bancaire, bombardant les populations civiles qui sont obligées de vivre dans les caves, refusant de rencontrer les responsables russophones, fermant le canal qui approvisionne en eau la Crimée : Kiev veut les territoires sans ceux qui y habitent, du jamais vu depuis la fin du nazisme. Cette politique d’épuration ethnique est entérinée par la classe politico-médiatique occidentale, parfois avec enthousiasme !

Les nationalistes putchistes font payer de leur vie les Ukrainien de l’Ouest, ceux que les médias occidentaux appellent « les Ukrainiens ».

L’Occident jusqu’au-boutiste, mais protégé, planqué, manifeste une générosité de façade et l’absence de compassion.

Les postures occidentales s’accompagnent de la certitude de ne pas avoir à payer le prix du sang. Le discours belliciste envahit l’opinion, alors que le pays n’est pas occupé, ni menacé de l’être, ni même officiellement en guerre. Une rhétorique de guerre sans guerre.

 Il n’est pas question de solidarité, puisqu’il n’est pas question de payer le prix du sang, à moins qu’il s’agisse d’une solidarité a minima consistant à aider le faible, l’Ukraine, contre le fort, la Russie, mais est-il moral d’encourager le faible à se battre jusqu’au bout, alors qu’il n’a que très peu de chances de gagner ?

 Derrière la générosité de façade, transparaît un encouragement mortifère à faire payer un prix insupportable à celui qu’on prétend aider, tout en restant soi-même protégé : le jusqu’au-boutisme des planqués a toujours été l’objet du mépris de ceux des tranchées.

 L’opinion est mobilisée par la satanisation médiatique de la Russie : « on ne négocie pas plus avec Poutine qu’avec Hitler ».

Il manque cruellement aux va-t-en-guerre la compassion à l’égard des populations civiles et des soldats de l’armée qu’ils prétendent soutenir, pour ne pas parler du tribut payé par la partie russe.

Pour éviter les inconvénients moraux du bellicisme de salon, les faiseurs d’opinion font croire à la victoire prochaine de l’Ukraine. Si l’opinion savait quel coût humain réel payent les Ukrainiens, elle demanderait l’arrêt immédiat des hostilités, raison pour laquelle les médias dissimulent le coût inacceptable payé par l’armée ukrainienne et ainsi entretiennent, avec bonne conscience, la mobilisation de l’opinion.

 Dans cette histoire, il y a des faibles, ce sont les russophones ( et même maintenant ces derniers restent sous la menace d’une épuration ethnique en cas de victoire de Kiev), et il y a des forts, l’énorme potentiel de l’OTAN.

Le totalitarisme des médias militarisés rend accessoire les partis politiques.

Il y a une dérive totalitaire qui n’est pas le fait de l’État, mais des médias. Certes, on n’interne pas, on ne déporte pas, on n’assassine pas, mais il y a la prise de possession intégrale des esprits, le refus du débat démocratique, la diabolisation des dissidents, la manipulation des foules et leur fanatisation en vue de la guerre. Ceux qui ne se reconnaissent pas dans le discours dominant ont peur, peur de le dire sur leur lieu de travail, à leurs amis ou en famille. L’endoctrinement généralisé et les mensonges médiatiques visent également les enfants. Le discours de paix est interdit d’antenne. Comment ne pas s’alarmer face a la mise au pas de masse, au fanatisme obligatoire, à la déréalisation collective, à l’obligation de pensée conforme, à la psychiatrisation des opinions supposées illicites, aux insultes envers les récalcitrants et à l’intimidation des hésitants ?

Pour imposer son monopole du discours légitime, le totalitarisme médiatique prospère sur l’imposture de la fausse expertise (les experts, vrais ou faux, confirment la ligne éditoriale : il ne faut pas informer, mais mobiliser, empêcher les citoyens de réfléchir par eux-mêmes à partir de données contradictoires) et sur l’imposture de la fausse morale (il faut légitimer l’idéologie atlantiste et européiste, et exclure ce qui la contredit, par exemple en ne s’apitoyant pas sur les victimes des bombardements de Kiev).

 L’invité à rebours de la ligne est toujours supposé partisan ou immoral, alors que le discours du journaliste/idéologue passe pour la voix de l’objectivité, de la raison, de la morale, de la bonté, de la compassion, même si cette compassion est sélective. Il s’agit, pour conserver le pouvoir, de conjurer la menace du débat démocratique et de maintenir le degré d’ignorance indispensable pour entretenir le bellicisme de l’opinion. Un politicien ou un journaliste qui sort des lignes définies par le parti de la guerre, celui des médias, est immédiatement sanctionné, perd de son influence, quand il n’est pas diabolisé et excommunié. Avec le parti médiatique, les partis traditionnels deviennent accessoires. Le parti médiatique, aux mains d’une oligarchie qui échappe à tout contrôle démocratique, s’impose à l’ensemble des partis politiques, façonne dans le sens du bellicisme l’opinion publique : c’est le premier parti de France, détenu par moins de 10 milliardaires, un nouveau genre de parti unique.

En 2014, nous avons en Ukraine un putsch soutenu par une puissance étrangère, en l’occurrence les États-Unis, et exécuté par leurs alliés locaux, notamment ceux de la mouvance de l’extrême droite la plus dure. Le 22 février, le président élu démocratiquement, Ianukovitch, est évincé. Un coup d’État non seulement sanglant mais ayant toute la perversité des massacres sous faux drapeau. Le 20 février des snipers pro-occidentaux tirent sur la foule des manifestants, eux-mêmes pro-occidentaux, pour que la tuerie soit attribuée au gouvernement de Ianukovitch et provoque le chaos, ce qui a permis à une équipe inféodée aux États-Unis de prendre le pouvoir. Les victimes se comptent par centaines.

Au mépris de toute déontologie de l’information, les entreprises médiatiques cachent soigneusement ces faits pour mieux se gargariser de leur indignation sur le thème de la « souveraineté de l’Ukraine violée par Poutine en février 2022 ».

Même si ces médias reconnaissent que Washington est impliqué dans le coup d’État de février 2014, ils refusent néanmoins d’admettre que c’est à ce moment-là que la souveraineté de l’Ukraine a été non seulement violée mais mise à mort : un putsch fomenté par une puissance étrangère vise à vassaliser un autre État, ce qui par définition met un terme à la souveraineté de ce dernier ! Ce n’est donc pas en février 2022 avec l’opération militaire spéciale de la Russie qu’est violée la souveraineté ukrainienne, car, lorsque les forces de la Fédération de Russie entrent en Ukraine, cette souveraineté n’existe plus depuis huit ans. Les rodomontades ultranationalistes adoptées par les autorités issues de ce putsch cachent mal qu’en fait cette souveraineté n’est plus qu’une fiction, et ce dans tous les domaines, qu’ils soient militaire, politique, géopolitique, économique et juridique.

Pour ces médias, les intérêts des États-Unis en Ukraine sont l’objet de la même conspiration du silence que le putsch sanglant et pro-occidental fomenté à Kiev en 2014. Il s’agit à chaque fois que les États-Unis interviennent d’évacuer toute implication américaine à de quelconques intérêts : en Ukraine, comme en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie ou ailleurs, les États-Unis, et au-delà les Occidentaux, n’ont pas d’intérêt mais seulement des valeurs, ces dernières expliquant à elles seules l’interventionnisme occidental. À chaque fois, c’est le scénario où les protagonistes sont invariablement le Bon, le Méchant et la salutaire cavalerie otanienne pour assurer le triomphe définitif du Bien. Ce manichéisme ne peut prospérer qu’en évacuant de la scène et du récit médiatique tout ce qui pourrait menacer l’univers mental dans lequel il s’agit d’enfermer l’opinion, à commencer par l’économie, l’histoire et la géopolitique, absentes des plateaux TV et autres supports, jugées trop peu vendeurs, d’où leur préférence pour une psychologie low cost consistant en une personnification outrancière, sinon obsessionnelle, de la Russie à travers Vladimir Poutine, personnage dont la malfaisance intrinsèque supposée suffirait à justifier la vertueuse mobilisation de l’Occident contre la Russie. La complexité fait fuir, le simplisme fait vendre. Les experts en temps de cerveau disponible, les obsessionnels de l’audience et de l’appât du gain, transplantent l’opinion dans un monde irréel où doit été exclu tout ce qui participe de la conflictualité millénaire de la vie des États. Tout est fait pour que l’opinion ignore que les conflits entre puissance s’articulent sur les conquêtes de marché, l’appropriation des matières premières, le contrôle des ressources énergétiques et le contrôle des voies permettant leur acheminement et autres logiques monétaires. Il faut faire croire que les dirigeants occidentaux sont mûs par les fameuses valeurs dont ils aiment s’auréoler. Sont exclus du cercle de la raison comme de celui de la morale, et qualifiés de complotistes, ceux qui contreviennent à cette doxa rudimentaire et menaçante. Tel est l’univers mental qui imprègne l’opinion et permet d’obtenir le consentement des opinions occidentales aux expéditions et autres conquêtes des États-Unis et de leurs vassaux européens.

Si la question des intérêts associés aux aventures des États-Unis et de leurs alliés est taboue dans les médias, les objectifs des États-Unis n’ont rien de secret. Dans la tradition de ce qui fait réagir les grandes puissances, à commencer par leur volonté de le rester, des fondations, des hommes d’État et autres experts des États-Unis disent leur hantise de voir les États-Unis perdre leur statut de puissance unipolaire et planétaire (ainsi l’association entre l’Allemagne et la Russie peut menacer la primauté des Etats-Unis, selon Georges Friedmann le 14 avril 2015 ; ainsi la Russie – son étendue gigantesque, ses richesses du sous-sol incommensurables – est considérée comme un potentiel rival qu’il s’agit d’affaiblir, selon R. Gates et Paul Wolfowitz le 7 mars 1992, ainsi la Chine). Le risque pour les États-Unis est de passer du statut de puissance globale à un rôle modeste sinon accessoire en Eurasie, ce qui implique le contrôle de la tête de pont eurasienne qu’est l’Europe, et donc le maintien et l’extension de l’OTAN aussi loin que possible vers l’est.

L’enjeu ukrainien est au centre d’une rivalité de puissance entre la Russie et les États-Unis, ces derniers cherchant, au-delà de l’Ukraine, à affaiblir la Russie, notamment en sabotant les tentatives de cette dernière de créer un vaste espace unifié des échanges économiques avec les ex-républiques soviétiques. C’est au moment où l’Europe a des objectifs d’intégration économique, voire politique, non seulement de l’espace de l’Union européenne mais de l’espace transatlantique avec les États-Unis et le Canada. Affaiblir la Russie est l’obsession des États-Unis et de leurs vassaux européens, tout particulièrement en Ukraine. Au lieu de faire de l’Ukraine un pont économique et pacifique entre l’est et l’ouest de l’Europe, les États-Unis et l’Union européenne, pour affaiblir la Russie, veulent arrimer à tout prix l’Ukraine à l’Occident – une stratégie qui convient à l’ouest ukrainien, traditionnellement antirusse et tourné vers l’Occident, mais qui ne convient pas à l’est, traditionnellement russophile et russophone.

Prendre possession de l’Ukraine nécessitant de s’allier à une partie de l’Ukraine contre une autre, la stratégie euro-atlantique ne pouvait donc que conduire vers l’éclatement du pays et la guerre civile, d’autant plus que les États-Unis, ayant besoin sur place de forces, voire d’hommes de main, s’appuyaient sur la nébuleuses néonazie, forte principalement en Ukraine occidentale, qui glorifie depuis longtemps les figures des nazis ukrainiens, une nébuleuse qui est même parvenue à obtenir l’accord des autorités gouvernementales pour procéder à la réhabilitation et glorification officielles de ces collaborateurs, ce qui constitue un processus de révision complète de la deuxième guerre mondiale, un révisionnisme couvert par les États-Unis, y compris par leur vote à l’ONU, alors qu’il est notoire que les figures officiellement glorifiées par Kiev depuis 2010 avaient participé aux exterminations génocidaires du troisième Reich. L’est de l’Ukraine ayant pour cette même période historique regard totalement opposée à celui de l’Ouest, les États-Unis ont donc contribué également à une guerre des mémoires. Les enjeux mémoriels s’ajoutant aux enjeux de la politique au présent, tout était en place pour une guerre inexpiable.

Les États-Unis n’ont pas été les seuls à la manœuvre. L’Union européenne a de son côté parfaitement rempli son rôle de vassal zélé en relayant la stratégie de son maître. Comme le souhaitait Washington, elle a joué la carte de l’affaiblissement de la Russie et soufflé sur les braises du conflit interne à l’Ukraine, misant sur la victoire d’une partie de l’Ukraine contre l’autre dans la perspective de prendre le contrôle du pays. Quant au projet économique proposé par Bruxelles, il ne pouvait que transformer le pays en colonie euro-américaine. Pour la Commission européenne, la souveraineté de l’Ukraine était en effet une préoccupation pour le moins lointaine : arrimer l’Ukraine à l’Occident, ce n’était pour elle rien d’autre que la gouverner depuis Bruxelles et/ou Washington.

Le mouvement Euromaïdan commence à l’automne 2013 avec des manifestations dirigées contre le gouvernement élu en 2010. Ces manifestations sont pacifiques à leur début, voire bon enfant, et mettent en avant le thème de la lutte contre la corruption. À partir de décembre, lors de la fin des négociations entre l’Ukraine et l’Union européenne, ces manifestations dégénèrent. Le but avoué des manifestants était d’obliger le gouvernement à accepter le plan de l’Union européenne visant à intégrer l’Ukraine dans une zone avancée de libre-échange, selon les termes de Barrozo. À ceci près que l’Ukraine est déjà dans un espace économique commun avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. Le 25 février 2013, Barroso fait savoir que cette association Ukraine-Russie est incompatible avec la proposition bruxelloise d’association. Il devient évident que l’Union européenne veut mettre l’Ukraine en demeure de choisir son camp. Une décision particulièrement funeste dans le contexte ukrainien, marqué par de profondes divisions internes susceptibles de se transformer en guerre civile. Il ne s’agit pas d’une erreur de la part de la Commission de Bruxelles, tant la stratégie européenne est en phase avec celle de Washington qui, pour prendre possession de l’Ukraine, envisage sciemment une déstabilisation de plus en plus agressive du gouvernement légal en jetant une partie de l’Ukraine contre l’autre.

 Helmut Schmidt, le 11 mai 2014, fait savoir que la stratégie d’annexion de l’Ukraine adoptée par Bruxelles est des plus dangereuses, avec un risque que la situation s’aggrave, comme 1914. L’Union européenne ignore que l’Ukraine est un pays profondément divisé culturellement (Gérard Schröder, le 11 mai 2014). Les Américains ont soutenu le désordre, ils ont poussé au désordre en Ukraine pour affaiblir la Russie mais c’est un jeu très imprudent (Valéry Giscard d’Estaing, le 11 mai 2014). Pour Henry Kissinger, le 5 mars 2014, le problème ukrainien est présenté comme un rapport de force dans lequel l’Ukraine doit rejoindre l’Est ou l’Ouest ; mais si l’Ukraine veut survivre et prospérer, cela ne sera pas en servant d’avant-poste pour l’un ou l’autre camp, mais en servant de pont entre les deux ; toute tentative d’un côté de l’Ukraine de dominer l’autre mènerait à terme à une guerre civile ou à une sécession ; la sagesse serait la recherche d’une coopération entre les deux camps ; nous devrions œuvrer pour la réconciliation, non pour la domination d’un camp par l’autre ; les États-Unis doivent pratiquer une politique de paix en Ukraine, ne pas intégrer l’Ukraine dans l’OTAN, sinon la descente vers la confrontation ne fera que s’accélérer. Jacques Attali, 4 juin 2014, désapprouve la volonté occidentale d’isoler la Russie.

Les mesures proposées par l’Union européenne sont une menace sur la souveraineté ukrainienne. Ces mesures ressemblent aux mesures mises en œuvre dans les autres États de l’Union européenne, des mesures mortifères pour leur souveraineté, avec les 80 000 pages des acquis communautaires qui ne vont pas dans le sens de l’autonomie de décision des États mais au contraire définissent des abandons de souveraineté (l’espace politique et médiatique légitime cette construction du super-État bruxellois par la dénonciation des intérêts nationaux comme autant d’ « égoïsmes »). Les peuples consentent à se voir imposer les tables de la loi de cette dictature juridique en échange des promesses de prospérité et de paix. Sauf qu’en Ukraine, l’avenir défini par l’Union européenne à ses habitants ne pouvait être à court terme que la pauvreté et la guerre.

Le PIB par habitant de l’Ukraine en 2014 est inférieur à ce qu’il était avant 1991. La récession est de 2%. Il n’y a que 19 milliards de réserve de change alors que l’Ukraine doit rembourser 7 milliards à ses créanciers. Le FMI n’accepte d’octroyer un prêt qu’en échange de privatisations massives, de coupes dans les budgets sociaux et d’une augmentation au sextuple du prix du gaz. Le salaire minimum est de 100 euros par mois, plus bas de 30% de son équivalent en Chine. L’ouverture du marché ukrainien aux produits occidentaux en échange de l’ouverture du marché européen aux produits ukrainiens est un marché de dupes : les produits européens sont très compétitifs et ont toutes les chances de s’imposer en Ukraine, les produits ukrainiens n’ont aucune chance de s’imposer en Union européenne. La rupture des liens avec la Russie est une thérapie de choc, avec des économies russes et ukrainiennes complémentaires et interdépendantes. Par ailleurs, les salaires européens allaient être tirés vers le bas du fait de la concurrence d’une importante main-d’œuvre à bas coût ukrainienne. L’Ukraine devient une colonie contrainte d’échanger son marché contre ses matières premières et sa main-d’œuvre à bas coût.

Fondamentalement nuisible à l’Ukraine et aux Européens, le plan de l’Union européenne était donc avant toute une machine de guerre à la fois économique et politique contre la Russie. Le porte-parole de la Commission européenne juge inadmissible toute intervention russe dans le processus de négociation et Manuel Barroso tance la Russie, rappelant que le temps de la souveraineté limitée en Europe est terminé, alors que la seule solution aurait été d’envisager une négociation avec la Russie, ce que l’Union européenne, comme ses maîtres de Washington, ne voulait à aucun prix, dressant entre la Russie et l’Occident un nouveau Mur, l’hostilité à l’égard de la Russie semblant être l’alpha et l’oméga de la stratégie de Bruxelles.

Des sociologues disent que l’idée de diviser un pays n’est pas cohérente avec le message européen, n’est pas dans l’intérêt de l’Europe : il faut développer une politique à l’égard de l’est fondée sur le dialogue et l’inclusion. La solution n’est pas contre la Russie, mais avec la Russie. Le temps de la souveraineté limitée évoquée par Barroso n’a pas disparu et n’est plus le fait de l’URSS mais de l’Union européenne pour laquelle l’ensemble des prérogatives de l’État, à savoir le budget, le commerce extérieur, les politiques économiques et militaires ainsi que la politique étrangère doivent être sous le contrôle de Bruxelles. L’Ukraine doit appliquer les réformes économiques du FMI, augmenter ses dépenses militaires, renoncer à son contrôle sur le commerce extérieur et adopter la politique étrangère de l’Union européenne. Ces mesures mettent en question la souveraineté de l’Ukraine, contrairement à l’intégration économique eurasienne (Russie, Biélorussie, Kazakhstan) qui ne vise ni à établir une monnaie unique, ni à former un parlement supranational, ni à créer un espace politique commun, laissant un maximum d’autonomie et de souveraineté aux États membres. En 2023, à l’heure où l’imaginaire atlantiste se plaît à se représenter la guerre en cours en Ukraine comme l’affrontement des autocraties contre les démocraties, force est de constater que c’est finalement l’Union européenne et pas la Communauté des États indépendants qui impose aux peuples une nouvelle camisole.

C’est finalement un choix souverain que fait le président ukrainien lorsqu’il accepte en décembre 2013 les propositions russes, après qu’il ait renoncé à signer l’accord avec l’Union européenne à la fin du mois de novembre. Sa décision est compréhensible. L’Ukraine se voyait proposer par la Russie un prêt de 15 milliards de dollars, alors que la Commission de Bruxelles ne proposait que 610 millions d’euros en compensation du démantèlement de son industrie. Le prêt russe, Vladimir Poutine le précisait, n’était lié à aucune condition, ni d’augmentation, ni de diminution, ni de gel des normes sociales, des pensions, des allocations et des salaires. À cela s’ajoutait une baisse du prix du gaz russe de près de 33%.

Avec la décision du président ukrainien Ianoukovitch, c’est donc par un échec que s’achève cette phase de la stratégie occidentale. Pourtant, la conquête de l’Ukraine reste l’objectif des Occidentaux, sauf que l’importance des forces ukrainiennes opposées au basculement voulu par l’Union européenne et les États-Unis rendait incertaine la réussite de leur projet dans un cadre de compétition démocratique normale. C’est en effet un président à la légitimité démocratique incontestable qui vient de prendre ses décisions contraires à celles que souhaitaient le camp euro-atlantiste et ses partisans ukrainiens. Le soutien d’une large proportion des Ukrainien reste acquis au président dans la période des négociations avec l’Union européenne et après la rupture. Seul 35% des Ukrainien considère que le président n’a pas eu raison de ne pas signer l’accord avec l’Union européenne. Le président, de plus, est le favori aux élections présidentielles devant avoir lieu en 2015.

Ce qui est pire pour le camp occidental, la perspective de l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN est impopulaire en Ukraine. Le président Ioutchenko, élu en 2004 à la suite de la révolution orange, farouche partisan de cette intégration, ne termine son mandat qu’avec le score de 5,45% lors du premier tour des élections de janvier 2010, face à deux candidats opposés à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN (Ianoukovitch plus de 35%, Timochenko 25,05%). Dans un sondage de 2009, 12,5% des Ukrainiens sont partisans de l’adhésion à l’OTAN.

Dans ces conditions, faire basculer l’Ukraine dans le giron occidental ne pouvait guère s’obtenir par des voies démocratiques. Le putsch était donc la seule option restant aux puissances atlantistes et leur soutien ukrainien. Quant aux forces nécessaires à ce putsch, elles furent puisées dans la nébuleuse des néonazis ukrainiens, ces derniers devenant même le fer de lance de la prise de pouvoir.

Fin novembre 2013, les manifestations redoublent après le refus du président de signer le plan de l’Union européenne. Les médias occidentaux cherchent à donner l’illusion que la majorité des Ukrainiens soutiennent ces manifestations. En fait, seuls 35% désapprouvent la décision du président. La mobilisation est en fait celle d’une partie de l’Ukraine, celle de l’Ouest, qui va l’emporter contre l’autre, celle de l’Est.

Quant à la décision du président de ne pas signer, contrairement à ce que disent les médias, elle n’était pas définitive : il s’agissait pour lui de prendre le temps d’étudier un accord complexe pour cerner les risques économiques et évaluer les compensations nécessaires pour le démantèlement des industries. Il s’agit d’une demande de reformulation de l’accord, un accord considéré comme non neutre et économiques suicidaire. On ne peut douter de la volonté du président de rapprocher l’Ukraine de l’Union européenne, sinon de l’intégrer. Mais il est incontestable que le président ne souhaitait pas que l’Ukraine rejoigne l’OTAN. Comme Kissinger, le président veut transformer l’Ukraine en une passerelle entre Russie et Europe occidentale, un projet en rien pro-russe ou anti-occidental, bien adapté aux spécificités géographiques et historiques de l’Ukraine. En revanche, le président n’est pas antirusse, une orientation qui ne convenait pas au camp occidental.

En même temps que les manifestations antigouvernementales, un défilé surréaliste commence à Kiev, celui des personnalités politiques occidentales qui viennent au nom de leur propre gouvernement apporter leur soutien aux manifestants antigouvernementaux (le chef de la diplomatie allemande, le ministre des affaires étrangères suédois, la vice-présidente de la Commission européenne, Catherine Ashton, la sous-secrétaire du département d’État des États-Unis, Victoria Nuland, le vice-président des États-Unis, Biden, deux sénateurs US, John McCain et Chris Murphy). Ces personnalités, en même temps qu’ils dénoncent les « ingérences russes », s’ingèrent eux-mêmes de manière flagrante, sinon provocatrice, dans les affaires intérieures d’un autre État. Que le gouvernement ukrainien dispose d’une légitimité démocratique incontestable ne semble pas les troubler, car leur but est d’instrumentaliser la rue pour contraindre le président à revenir sur son refus du plan de l’Union européenne, voire obtenir sa destitution. Ces personnalités étrangères flattent la foule en l’héroïsant, tout en agrémentant leurs discours d’incantations autour des « valeurs européennes », ce qui ne peut qu’encourager les manifestants à poursuivre dans leurs objectifs maximalistes, voire insurrectionnels. Ces politiciens agissent avec un tel sentiment d’impunité, peut-être par cynisme, peut-être par l’arrogance de ceux qui croient que tout leur est permis, car se percevant comme intrinsèquement supérieurs, en tout cas avec l’absolue bonne conscience de ceux qui sont précisément en train de faire dans un pays étranger ce qu’ils interdiraient chez eux. « Je peux faire chez vous ce que vous ne pouvez pas faire chez moi » : un tel double standard, mortifère pour les relations entre individus, a une conséquence inévitable dans les relations entre États : la guerre.

Si l’« valeurs » auquel se réfèrent les politiciens occidentaux sont celles de la tolérance, de la liberté d’opinion et de la démocratie, elles ne sont pas exactement celle de leurs alliés locaux. Svoboda est Pravy Sektor sont deux groupes néonazis qui organisent les manifestations et la prise du pouvoir. Tout aussi fanatiques et brutaux que les SA, leurs nervis provoquent des bagarres au Parlement, se rendent au domicile de certains députés pour les menacer ou les frapper, parfois les battent en plein Parlement, font des descentes dans les locaux des médias pour brutaliser leurs responsables quand ils ne sont pas assez favorables, prennent possession de la rue munie de haches et de gourdins, érigent des barrages filtrants, attaquent munis d’armes à feu les forces de l’ordre, prennent d’assaut le Parlement, les bâtiments administratifs et les sièges des partis auxquels ils sont hostiles, lynchant publiquement ou tuant parfois leurs membres. Dans l’ouest du pays, ces organisations procèdent à une épuration systématique des éléments qu’ils jugent indésirables en les excluant des conseils municipaux, tout en interdisant les partis de gauche et le parti gouvernemental, en intimidant et menaçant leurs membres, y compris leurs familles, forçant au départ les récalcitrants. S’il est de bon ton d’opposer la violence et l’idéologie de ces groupes au caractère pacifique des manifestants, il est non moins vrai que ces groupes n’ont rien d’un corps étranger au sein de ces mêmes manifestants, bénéficiant même d’un certain prestige auprès d’eux. En tout cas, les politiciens occidentaux s’affichent publiquement avec les chefs néonazis, les transformant en figures respectables du combat pour les « valeurs européennes », qui sont ainsi à géométrie variable. Ces politiciens occidentaux ne désavouent pas l’alliance des partis d’opposition ukrainiens dits « démocratiques » avec les néonazis, ni le fait que les partis ukrainiens d’opposition pro-occidentaux prennent comme référence commune Bandera, l’assassin de Juifs et de Russes. L’emblème de Svoboda est celui de la division SS das Reich. Svoboda s’appelait parti national-social. Le chef de Svoboda fait des déclarations contre « la juiverie ». Un député de Svoboda fonde en 2005 l’institut Joseph Goebbels. Un autre député de ce parti, organise en 2013 une cérémonie de ré-inhumation de SS tombés pendant la deuxième guerre mondiale. La linguiste de Svoboda considère que les Ukrainiens russophones sont des « dégénérés qui ne méritent que la mort ». Signalons les retraites aux flambeaux qui ont lieu régulièrement en hommage à Bandera. Les parlementaires israéliens, en 2013, s’alarment des attaques calomnieuses lancées contre les Juifs, les Russes et d’autres minorités, de la glorification des meurtriers de masse des divisions SS ukrainiennes et de la coopération des deux principaux partis de l’opposition avec les néonazis, des partis qui ne protestent pas. La vice premier ministre d’Israël, en 2013, remarque que même les partis les plus radicaux en Europe refusent de coopérer avec les néonazis ukrainiens et demande la suppression des partis néonazis et de leurs activités. La classe politico-médiatique européenne a toutes les complaisances pour un parti que le Front National lui-même trouve infréquentable en raison de son extrémisme de droite. Alors que cette classe politico-médiatique unanime appelle à chaque scrutin à contrer le danger fasciste que représenterait le Front National et à l’urgence morale d’un cordon sanitaire autour de ce parti, elle est tout aussi unanime à trouver Svoboda fréquentable. Fabius, le 11 mars 2014, dit que Svoboda n’est pas d’extrême droite.

L’alliance scellée entre les Occidentaux et les néonazis ukrainiens va bien au-delà de ce qu’on appelle généralement une « alliance objective », à savoir la situation où se trouvent parfois deux forces politiques ou étatiques qui, à un moment donné, peuvent avoir le même but sans pour autant s’être concertées ou officiellement alliées. Le camp occidental a fait de Svoboda un partenaire fréquentable et, ce qui n’est guère moins déshonorant, il a menti sur sa nature pour rendre présentable auprès de l’opinion ce rapprochement avec un parti néonazi. Fabius, Catherine Ashton réhabilitent un parti néonazi, offrant à ces forces nazies une respectabilité, autrement dit l’onction que représentent des entrevues officielles avec les grands du monde occidental et une alliance avec des partis que l’Occident présente comme incarnant les valeurs européennes, sans parler des ministères et des postes sensibles sur les plans militaires et sécuritaires que le parti néonazi a obtenu une fois la victoire acquise, comme ce sera le cas après le putsch du 20 février. Comme la respectabilité se traduit par un accroissement de pouvoir politique, si on offre la première, on est nécessairement complice du deuxième, allant bien au-delà de ce qu’on appelle une alliance objective.

 Les objectifs occidentaux et des objectifs des néonazis ne sont pourtant pas exactement les mêmes.

Pour les politiciens occidentaux, il s’agit de faire main basse sur l’Ukraine, donc d’en finir avec sa souveraineté, en offrant le pays aux appétits de leurs grandes entreprises dont ils ne sont que des fondés de pouvoir. Ce faisant, il s’agit également pour eux de transformer l’Ukraine en un porte-avions menaçant la Russie, objectif qui participe de la stratégie américaine de rivalité avec la Russie que leurs vassaux européens ont entérinée.

Les nazis ukrainiens et nombre de leurs alliés sont imprégnés de la mythologie nazie du peuple-race et voient dans l’alliance avec l’Occident le meilleur moyen de réaliser l’espoir d’une « nation racialement pure », quitte a lui livrer l’Ukraine clés en main. L’objectif raciste des nazis ukrainiens est de souder les Ukrainiens autour d’un fanatisme antirusse, car les Russes sont dans l’imaginaire des néonazis l’obstacle principal à l’homogénéité raciale dont ils rêvent. Les Russes ne sont qu’un peuple abâtardi parce que métissé avec des Asiatiques, autrement dit des « Asiates ». Composer avec les Russes d’Ukraine dans la perspective d’un projet national ukrainien contraindrait les néonazis d’accepter une Ukraine multi-ethnique, multilinguistique, perspective qu’ils abhorrent par-dessus tout. La haine maladive de la Russie se substitue à des différences qui sont trop faibles pour fonder un antagonisme : la haine est d’autant plus grande que les différences sont petites. Seule la haine peut permettre de séparer, en employant un récit identitaire de pure fiction (l’Olodomor présente fallacieusement la famine du début des années 30 en Ukraine comme spécifiquement ukrainienne, alors qu’elle a sévi partout en URSS, notamment en Russie et au Kazakhstan. Autre aspect du mythe d’Olodomor : les responsables de cette famine sont supposés être « les Juifs ». Dans ce mythe, les Juifs, alliés des « Moskals » (terme russophobe désignant les Russes), sont coupables d’avoir voulu l’extermination des Ukrainiens. Ce crime ayant précédé la shoah, l’extermination des Juifs ukrainiens apparaît comme une « réaction » à l’Olodomor, ce qui permet de justifier la shoah en Ukraine).

C’est donc cette alliance entre néonazisme et États occidentaux qui est à la manœuvre dans le putsch du 20 février 2014.

Il s’agit bien d’un putsch. Toutes les caractéristiques en sont réunies : la violence pour s’emparer illégalement du pouvoir et ensuite l’habillage juridique pour paraître légitime.

La violence monte durant les semaines qui précèdent le putsch malgré les propositions de fin janvier 2014 du président d’ouvrir son gouvernement à l’opposition et de nommer un premier ministre issu de ses rangs. Le 18 février, des groupes paramilitaires néonazis tirent sur les forces de l’ordre et les affrontent dans de sanglantes batailles rangées et des combats de rue qui feront 13 morts dont six policiers. La trêve est refusée par les nazis. Le 20 février des tireurs embusqués visent la foule et les policiers, tuant 86 personnes et en blessant environ 600. L’opposition ukrainienne et l’ensemble des médias occidentaux, profitant de l’indignation et de la sidération générale, s’empressent d’accuser le président, sans la moindre preuve. Le 21 février, le président est mis en accusation. Les manifestants, même s’ils ne sont que 20 000 à 30 000, sont en position de force pour exiger son départ immédiat. Au Parlement, une soixantaine de députés du parti présidentiel quittent la majorité pour l’opposition putschiste, persuadés que le président et sa police sont responsables du massacre. Cette défection n’est cependant pas suffisante pour assurer la victoire du putsch. Les groupes néonazis ont recours à la menace et à la violence pour avoir raison des récalcitrants. Le 20 février, les groupes néonazis prennent d’assaut le Parlement et c’est sous la pression de 2000 manifestants néonazis que l’assemblée débat de la destitution du président, avec à l’extérieur un blindé, l’organisation d’un « couloir de la honte » pour les récalcitrants, suspectés de mal voter, et à proximité un millier de pneus que les manifestants menacent de faire brûler au cas où le résultat du vote ne va pas dans le bon sens. Alors que le président avait dû fuir en raison des menaces sur sa vie et celle de sa famille, les députés le destituent au nom du fait qu’il a quitté ses fonctions de manière inconstitutionnelle. Pourtant, le président réapparaît et déclare publiquement pour quelle raison il a été contraint de s’enfuir. À aucun moment l’assemblée juge utile de l’entendre. Aucune des dispositions prévues par la constitution pour le démettre n’est respectée. Les décisions de l’assemblée participent d’un simulacre d’État de droit, simulacre que les politiciens et médias occidentaux accompagnent en l’approuvant à chacune de ses étapes.

Le bain de sang du 20 février 2014 est totalement occulté par les médias occidentaux, manifestant que les médias occidentaux sont devenus des machines vouées à la mobilisation de l’opinion sous la bannière atlantiste. Juste après la prise du pouvoir, les éléments de preuves s’accumulent pour désigner l’opposition et non le président, montrant que le massacre de Kiev est ce qu’on appelle un massacre sous faux drapeau. Il s’agit de tuer des siens pour faire croire qu’ils ont été tués par l’ennemi. Le méchant apparaît plus méchant encore. Ce type d’opération dépasse en cynisme et en infamies le tir sur des civils désarmés par les forces de l’ordre. Si ce dernier cas, évidemment indéfendable, se caractérise par la brutalité, le massacre sous faux drapeau, tout aussi meurtrier, y ajoute la perversité d’une double trahison : non seulement les auteurs du carnage tuent des innocents qui appartiennent à leur camp, mais les forces ou l’État qui le commet ont pour but, avant même de tromper l’opinion internationale, de tromper leur propre opinion publique. Un exemple célèbre, c’est l’attaque de la station de radio allemande de Gleiwitz par des détenus allemands déguisés en soldats polonais pour faire croire à l’opinion allemande que le pays est attaqué par la Pologne, ce qui permet de justifier, quelques heures après, l’attaque contre ce pays.

A l’âge médiatique, ceux qui commettent un massacre sous faux drapeau ont le plus souvent une intention : créer une émotion telle que l’intervention militaire qu’ils ourdissent depuis longtemps devienne possible, voire exigée par une opinion manipulée. Ça été le cas en l’ex-Yougoslavie où la technique des massacres sous faux drapeau a été à plusieurs reprises utilisée par les autorités musulmanes de Sarajevo pour internationaliser la crise bosniaque, autrement dit pour faire intervenir l’OTAN. Précisons que ces crimes bénéficient du soutien des médias occidentaux qui s’emploient à orchestrer l’animosité de l’opinion contre les méchants du moment et exigent l’intervention salvatrice. Le duo complice que forment l’OTAN et les médias occidentaux justifie parfaitement qu’on parle de « médias militarisés ».

En février 2014, l’intervention armée des Occidentaux n’est pas encore dans l’agenda des putschistes, mais la mise sous contrôle des forces armées du pays par l’OTAN est en revanche immédiate. On retrouve dans le massacre de 2014 les caractéristiques habituelles des massacres sous faux drapeau, à commencer par les liens systémiques entre les médias occidentaux et l’OTAN (incantation sur les valeurs, dénonciation mensongère de ceux qui en fait ne sont pas les auteurs du massacre, occultation des auteurs réels, disparition du fait politique et historique que ce massacre représente).

Les preuves impliquent l’implication de l’opposition pro-occidentale. Dans un échange, piraté par les services secrets ukrainiens, entre Catherine Ashton et la ministre estonienne des affaires étrangères, on indique que les snipers ont tué des gens des deux camps et que la nouvelle coalition ne veut pas faire une enquête là-dessus. Le premier ministre estonien s’empresse de contester les affirmations de son ministre des affaires étrangères, et le médecin légiste refuse de confirmer ce qu’elle a dit, s’apercevant que le procureur chargé de l’enquête est un membre de Svoboda. La chaîne allemande ARD du 5 avril 2014 montre que les tirs proviennent du QG de l’opposition, vérifie que les forces de l’ordre du président n’ont pas tiré sur les civils et que les éléments de preuve ont disparu. La volonté du pouvoir putschiste ukrainien de cacher la vérité le désigne comme l’auteur du carnage. Les massacres sous faux drapeau leur logique, qui oblige leurs auteurs à aller jusqu’au bout de la perversité intrinsèque de leur opération. Une fois le massacre commis, il faut s’emparer des victimes et les honorer comme si elles étaient tombées sous les balles de l’ennemi. Pendant plus d’un an, les 86 portraits des personnes assassinées par les putschistes eurent affiché pour illustrer la barbarie du régime précédent.

La guerre a bien été voulue par Kiev et son tuteur américain plusieurs années avant l’attaque russe de février 2022 (le conseiller porte-parole de Zelenski déclare le 18 mars 2019 que le prix pour rejoindre l’OTAN est une grande guerre avec la Russie ; dans ce conflit nous serons très activement soutenus par l’Occident – armes, équipements, assistance, sanctions contre la Russie, introduction d’un contingent de l’OTAN, zone d’exclusion aérienne –, autrement dit, nous ne la perdrons pas).

La dépendance de l’Ukraine à l’égard des États-Unis et de la Communauté européenne en temps de paix est décuplée en temps de guerre.

Le Premier ministre d’Israël en mars 2022 remarque que Poutine accepte de retirer de ses objectifs la démilitarisation et la dénazification de l’Ukraine et que Zelenski accepte de renoncer à l’OTAN, mais ce sont les Occidentaux qui ont empêché les négociations d’aboutir (Boris Johnson déclare que Poutine est un criminel de guerre avec lequel aucune négociation n’est possible et que, même si l’Ukraine est prête à signer des accords, le Royaume-Uni et les États-Unis ne le sont pas). Le régime de Kiev se trouve donc empêché par ses tuteurs anglo-saxons de faire la paix, funeste illustration de ce qu’est la réalité de la souveraineté ukrainienne. Le pouvoir de Kiev est trop faible en mars 2022 pour imposer ses vues aux puissances otaniennes. Il a toutefois jusque-là sacrifié l’intérêt des Ukrainiens en faisant en sorte que la guerre ait lieu. Le pouvoir de Kiev, dopé par le soutien américain, a été poussé à des décisions catastrophiques pour les Ukrainiens : faire la guerre pour le compte des États-Unis en échange du projet d’une Ukraine « ethniquement pure ».

 Dans le cadre de cette stratégie belliciste, Zelenski, contrairement à son programme électoral de paix, fait passer en mars 2021 un décret de reconquête militaire de la Crimée et du Donbass. Début février 2022, Zelenski dit qu’il ne se sent plus lié par l’accord qui interdit à l’Ukraine de développer des armes nucléaires.

Le 16 février commence une campagne de bombardements massifs des forces ukrainiennes sur la région autonomiste, ce qui est vraisemblablement le début de l’offensive terrestre prévue par le décret de mars 2021. Des civils se réfugient en Russie. Les médias occidentaux ne parlent pas du 16 février, début de la guerre, de même qu’ils n’ont pas parlé du putsch du 20 février 2014. Le 21 février, la Russie reconnaît officiellement les deux républiques du Donbass, pendant que Biden alerte sur une prochaine attaque russe, une certitude pour Biden, car il sait que la Russie ne peut faire autrement que de réagir. L’intervention russe a été délibérément provoquée.

Sommes-nous dans une situation radicalement différente de l’Ukraine ? Quelle marge de manœuvre les Français, et au-delà, les Européens, ont-ils pour décider de la guerre et de la paix ? Celle-ci paraît bien étroite, balisée par la domination de médias qui s’emploient systématiquement à entraîner l’opinion dans les croisades pseudo-humanitaires des États-Unis. Pour nos médias, la paix n’est jamais une option quand les États-Unis choisissent la guerre. Les médias secondent les interventions des États-Unis, quand bien même elles se soldent à chaque fois par des dizaines ou des centaines de milliers de morts. Le lien entre médias et OTAN est systémique.

Ce qui change avec la guerre en Ukraine, c’est que cette guerre voulue par les États-Unis menace d’entraîner l’Europe dans une guerre contre la Russie, et on peut être d’autant plus inquiet que les décideurs occidentaux croient aux mensonges de leur propre propagande.

Les mensonges ne suffisent pas au bellicisme, il lui faut la haine, la xénophobie quand la Russie en est la cible, la russophobie. Des Russes sont frappées d’interdit bancaire, des artistes russes sont sommés de prendre parti contre leur propre gouvernement, les Russes handicapées sont interdits de participation aux jeux paralympiques, les chats russes sont bannis des compétitions, et il y a les Russes morts, Dostoïevski, Tchaïkovski, aussi indésirables que les suppôts de Poutine. En Ukraine on élimine des millions de volumes d’œuvres russes, « une littérature vraiment nocive ». On assimile la Russie au nazisme, au troisième Reich, alors que la Russie est un espace largement métissé, où se côtoient orthodoxie, Islam et judaïsme, avec 21 républiques autonomes, plus de 100 nationalités et des dizaines de langues ayant un statut officiel.

Comme la Russie ne menace pas la France, on dit que la Russie, avec 150 000 hommes, voudrait conquérir toute l’Ukraine, et même la Pologne et les États baltes (au Vietnam, les Américains avaient mobilisé 500 000 hommes et en 1940 les Allemands 3 000 000). C’est l’imaginaire paranoïaque de la russophobie, un imaginaire que le monde médiatique s’emploie à entretenir.

La preuve la plus éclatante de la russophobie est la poutinophobie, ignorant ce que peuvent penser de leur chef d’État les Russes. Les Occidentaux détestent les chefs d’État que les Russes aiment, et aiment les chefs d’État que les Russes détestent. Pour les Occidentaux, un bon président est un président dont l’Occident doit pouvoir tirer les ficelles.

Les putschistes ont bénéficié de l’aide des États-Unis.. Certes, les éléments de preuve sont moins nombreux que les indices.

 Il y a la conversation entre Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État pour l’Eurasie au département d’État, et l’ambassadeur des États-Unis à Kiev. Le 25 janvier 2014 le président ukrainien vient de proposer à l’opposition d’entrer dans son gouvernement, lui offrant même le poste de Premier ministre. Dans l’enregistrement, on entend la sous-secrétaire d’État et l’ambassadeur choisir les chefs de l’opposition les plus aptes aux fonctions ministérielles, les désigner à leur poste, bref former eux-mêmes le futur gouvernement ukrainien de cohabitation comme des donneurs d’ordres certains d’être obéi. Les représentants d’un État étranger choisissent les ministres d’un autre État ! Comme si l’Ukraine était un pays occupé et/ou un pays ayant perdu toute souveraineté. Ce sont les États-Unis qui sont les vrais maîtres de l’Ukraine, la question de sa souveraineté ne présentant pour eux pas le moindre intérêt. Les ministres choisis le 25 janvier, soit avant le putsch, sont les mêmes que ceux qui arrivèrent à la tête de l’Ukraine après. Cette chronologie, à défaut d’être une preuve, est en tout cas un indice.

Dès janvier 2014, les deux diplomates américains avaient souhaité l’intégration dans le futur gouvernement de la mouvance néonazie. Svoboda obtient le poste de vice-Premier ministre, celui de ministre de la Défense, celui de secrétaire du Conseil national de Sécurité et de Défense, qui chapeaute les ministères de la Défense et l’armée elle-même. Svoboda n’a donc pas une influence se limitant à des scores électoraux. Le nombre des ministres issus de ses rangs et très supérieur à ce que le parti représente effectivement, et ses membres sont nommés à des postes décisifs. Bref, loin d’être marginalisé, ce parti néonazi est devenu avec l’aide de la classe politico-médiatique occidentale, un acteur incontournable de la vie politique ukrainienne, de plus disposant de pouvoirs décisifs en matière militaire.

L’Union européenne trouve miraculeusement les sommes pour l’Ukraine qu’elle prétendait ne pas avoir avant. Le prêt ne peut que resserrer les liens de sujétion entre le gouvernement de Kiev et ses créditeurs bruxellois qui, sous forme politique et économique, ne peuvent manquer d’obtenir un rapide retour sur investissement, avec un gouvernement fait d’ultralibéraux au service des intérêts des multinationales, des néonazis et d’autres antirusses fanatiques le régime instauré à Kiev en février 2014 est d’autant plus prêt à se soumettre aux Occidentaux qu’il est sûr de leur soutien pour se lancer dans la croisade antirusse pour arriver à une Ukraine ethniquement pure.

 L’Ukraine signe un contrat de partage de production avec un consortium dirigé par Exxon Mobil sur l’exploitation d’un champ pétrolier et gazier en mer Noire. En 2021, la superficie des terres possédées par trois sociétés américaines correspond à 28% de la totalité des terres ukrainiennes cultivées. La privatisation de nouvelles terres est le seul moyen pour Kiev de rembourser l’effort de guerre.

L’état de sujétion de l’Ukraine se vérifie avec l’intervention directe du pouvoir américain sur la justice ukrainienne. En 2016, Biden menace le président ukrainien de ne pas accorder à l’Ukraine de prêt s’il ne « vire » pas le procureur général d’Ukraine, qui s’occupe d’une société gazière dont un des membres du conseil d’administration n’est autre que le fils de Biden.

Alors que la rhétorique du régime ukrainien est ultranationaliste, faisant croire à un attachement à l’indépendance de l’Ukraine, sa politique accepte le contrôle des États-Unis et de l’Union européenne sur les richesses, l’économie, la justice, l’armée et la politique extérieure de l’Ukraine, ne lui laissant aucune marge de manœuvre dans la guerre contre la Russie. Cette politique s’explique par la russophobie intrinsèque du régime de Kiev. C’est pour mieux en finir avec sa minorité russe qu’il s’est soumis aux États-Unis. Quant à la Russie, elle est détestée pour son soutien aux russophones d’Ukraine, mais aussi pour le contre modèle qu’elle représente : un espace multi-ethnique euro-asiatique, multiracial et multireligieux, soit le contraire du projet mono-ethnique de Kiev. En livrant l’Ukraine aux États-Unis, Kiev n’a qu’un but : obtenir de ces derniers le soutien pour vaincre la Russie et mieux se débarrassé des russophones d’Ukraine. De leur côté, les États-Unis, qui contrôlent, manipulent, financent et arment, ont pour motivation le maintien de leur statut de puissance unipolaire auquel la chute du Mur leur a permis d’accéder, statut menacé par les puissances aspirant à un ordre multipolaire, principalement la Russie et la Chine. Pour Washington, la révolte des russophones du Donbass et de Crimée contre Kiev est l’occasion d’un piège devant permettre d’entraîner la Russie dans une guerre qui permettrait de l’affaiblir ou même de la faire disparaître comme État unitaire, les Ukrainiens payant le prix du sang pour assurer la victoire de cette stratégie.

On peut dire que le putsch de 2014 est une révolution anti ukrainienne, d’abord contre les Ukrainiens de l’Est, ensuite contre les Ukrainiens de l’Ouest.

 En effet, les nationalistes au pouvoir se lancent dans une guerre contre une partie importante des Ukrainiens, à savoir les millions de russophones. Le 23 février 2014, 252 députés de la Rada votent la fin du statut officiel de la langue russe. La loi est adoptée en 2018, et elle est appliquée dans les faits bien avant, et de la manière la plus radicale : juste après le putsch, on refuse aux russophones les retraites, les allocations, l’aide économique, le réseau bancaire, le rétablissement des services publics, on ferme le canal qui approvisionne en eau la Crimée, on bombarde des populations civiles, on refuse de rencontrer les responsables russophones. Le sens de ces mesures n’est guère difficile à déchiffrer : Kiev veut les territoires sans ceux qui y habitent. Du jamais vu depuis la fin du nazisme. Cette politique d’épuration ethnique est entérinée par la classe politico-médiatique occidentale, parfois avec enthousiasme !

Quant aux Ukrainiens de l’Ouest, ceux que les médias occidentaux appellent « les Ukrainiens », ils payent un terrible tribut à la folie de ses dirigeants.

A la différence de 1914, les postures haineuses d’aujourd’hui s’accompagnent de la certitude de ne pas avoir à payer le prix du sang, et aussi, le discours belliciste envahit l’opinion, alors que le pays n’est pas occupé, ni menacé de l’être, ni même officiellement en guerre. Étrange phénomène qu’une rhétorique de guerre sans guerre directe. Il n’est pas question de solidarité, puisqu’il n’est pas question de payer le prix du sang, à moins qu’il s’agisse d’une solidarité a minima consistant à aider le faible, l’Ukraine, contre le fort, la Russie, mais est-il moral d’encourager le faible à se battre jusqu’au bout, alors qu’il n’a que très peu de chances de gagner ? Derrière la générosité de façade, transparaît un encouragement mortifère à faire payer un prix insupportable à celui qu’on prétend aider, tout en restant soi-même protégé : le jusqu’au-boutisme des planqués a toujours été l’objet du mépris de ceux des tranchées.

L’opinion est mobilisée par la satanisation médiatique de la Russie : « on ne négocie pas plus avec Poutine qu’avec Hitler ». Il manque cruellement aux va-t-en-guerre la compassion à l’égard des populations civiles et des soldats de l’armée qu’ils prétendent soutenir, pour ne pas parler du tribut payé par la partie russe. Pour éviter les inconvénients moraux du bellicisme de salon, les faiseurs d’opinion font croire à la victoire prochaine de l’Ukraine. Si l’opinion savait quel coût humain réel payent les Ukrainiens, elle demanderait l’arrêt immédiat des hostilités, raison pour laquelle il faut impérativement dissimuler le coût inacceptable payé par l’armée ukrainienne et ainsi entretenir, avec la bonne conscience, la mobilisation de l’opinion.

Quant à la question de savoir qui est le fort et qui est le faible, depuis 2014, les faibles étaient les russophones, et même maintenant ils restent sous la menace d’une épuration ethnique en cas de victoire de Kiev. Puis les pays de l’OTAN se perçoivent comme forts, persuadés qu’ils sont de mettre la Russie à genoux militairement et économiquement.

Mais au-delà du bellicisme, ne sommes-nous pas face à une dérive totalitaire ? Certes, on n’interne pas, on ne déporte pas, on n’assassine pas, mais il y a la prise de possession intégrale des esprits, le refus du débat démocratique, la diabolisation des dissidents, la manipulation des foules et leur fanatisation en vue de la guerre. Comment ne pas s’alarmer quand ceux qui ne se reconnaissent pas dans le discours dominant ont peur, peur de le dire sur leur lieu de travail, à leurs amis ou en famille ? Comment ne pas s’alarmer quand l’endoctrinement généralisé et les mensonges médiatiques visent également les enfants ? Comment ne pas s’alarmer quand le discours de paix est interdit d’antenne ? Comment ne pas s’alarmer face a la mise au pas de masse, au fanatisme obligatoire, à la déréalisation collective, à l’obligation de pensée conforme, à la psychiatrisation des opinions supposées illicites, aux insultes envers les récalcitrants et à l’intimidation des hésitants ?

Cette dérive totalitaire, certes, n’est pas le fait de l’État, mais le fait des médias. Pour imposer son monopole du discours légitime, le totalitarisme médiatique prospère sur deux impostures.

 D’abord l’imposture de l’expertise, qui impose le défilé rituel des vrais ou faux experts, confirmant la ligne éditoriale qui est avant tout politique. On est dans l’illusion d’une validation quasi scientifique, ce qui en réalité relève de la pure propagande. Tout est fait pour empêcher que les citoyens puissent réfléchir par eux-mêmes à partir de données contradictoires. Il ne faut pas informer, mais mobiliser.

La deuxième imposture, c’est l’imposture de la morale. La fausse morale a le même rôle que la fausse science de l’expertise. Elle doit être instrumentalisée pour imposer le monopole du discours légitime. On s’empare de la morale pour légitimer l’idéologie atlantiste et européiste et exclure les opinions qui la contredisent. Le passage à l’antenne de telle ou telle personnalité non conforme à la doxa n’y change rien : le « la » est donné par les journalistes/idéologues, les dépositaires du discours légitime. Le discours d’un invité à rebours de la ligne est toujours supposé partisan ou immoral, alors que celui des journalistes/idéologues de plateau passe pour la voix de l’objectivité, de la raison, et aussi de la morale, de la bonté, de la compassion, même si cette compassion est sélective (n’est pas question de s’apitoyer sur les victimes des bombardements de populations civiles du régime de Kiev).

Il s’agit de conjurer la menace du débat démocratique et de maintenir le degré d’ignorance indispensable pour entretenir le bellicisme de l’opinion. Il s’agit de conserver le pouvoir.

Les adeptes contemporains du pouvoir médiatique sont convaincus que la parole médiatique suffit pour connaître le Juste et le Vrai, au nom de « valeurs » dont ils sont détenteurs et gardiens.

Les journalistes, mais aussi les hommes politiques, n’ont pas d’indépendance par rapport aux entreprises médiatiques. Un journaliste ou un homme politique sortant des lignes définies par le parti de la guerre, celui des médias, est immédiatement sanctionné et perd de son influence, quand il n’est pas diabolisé et excommunié. Avec le parti médiatique, les partis traditionnels deviennent accessoires. Le parti médiatique, aux mains d’une oligarchie qui échappe à tout contrôle démocratique, s’impose à l’ensemble des partis politiques, façonne dans le sens du bellicisme l’opinion publique : c’est le premier parti de France, détenu par moins de 10 milliardaires, un nouveau genre de parti unique.

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