Harcèlement en Seine-Saint-Denis : Diaty Diallo

Diaty Diallo. « Deux secondes d’air qui brûle », premier roman, août 2022, Seuil, premier roman sélectionné pour le festival 2023 du premier roman de Chambéry.

En Seine-Saint-Denis, c’est, dans le silence des médias, le racisme et le harcèlement policiers au quotidien.

L’auteur est une femme qui, entre autres choses, compose des chansons. Le roman est entrecoupé de plus de 50 morceaux « joués, chantés, dansés » (il y a une référence sur Internet pour chaque morceau). En exergue on parle des « listes des morts qui remontent à la surface des mémoires et qui demandent justice » (Lisette Lombé) et aussi : « Faut qu’on s’organise, qu’on crée nos propres trucs, Avant que tout explose, il faut qu’on s’arme » (X-Men). À la fin du roman, une liste des travaux utilisés, des livres, des articles, des films, des vidéos, des témoignages, des événements (commémorations, marches, combats).

Le narrateur est un homme. Il descend au sous-sol d’un parking abandonné, sous la place, un 16 juillet, le soir, pour danser. Il envoie un message à Samy, le petit frère de son meilleur pote, Chérif. Il rencontre Aïssa, dont il est amoureux (il part à sa recherche).

Au-dessus, la police intervient pour disperser des gens qui font un barbecue. « Mon nez se met à piquer. A piquer puis à brûler. Mes yeux à leur tour. Je reconnais l’odeur, capte que l’espace de la fête est clos : on est dans la merde. Quelqu’un hurle que ça embarque, qu’une grenade est tombée par les voies d’aération. Il faut sortir. L’air se sature de fumée. Je presse ma veste en boule contre mon visage. Le gaz envahit l’espace et crée un mouvement de foule. Mon corps est pris de convulsions, mes poumons cherchent l’oxygène. Je ne peux plus respirer. Je vomis des boules d’air incandescent qui me consument l’œsophage. La peau de mon visage brûle. Une personne perd connaissance. Enfin, des particules d’oxygène arrivent à se frayer un chemin jusqu’à nous. Autour de moi, des gens se tiennent l’abdomen, se raclent la gorge. Ça sent le bourbier, les heures de garde à vue, et je n’ai pas la gueule qu’il faut pour que ça se passe autrement alors j’attends un moment, assis sur les marches, que ça se calme au-dessus ».

Le narrateur imagine ce qui s’est passé. Chérif aide sa mère et apporte du charbon pour le barbecue. Samy s’amuse sur une bécane empruntée à un cousin pour l’été. C’est Chérif qui a bricolé le barbecue. La soirée est tranquille, presque chiante. La police arrive et pose des questions. Chérif dit qu’il fête sa réussite aux partiels. La police lui demande ses papiers. Pourtant la police le connaît puisqu’il les a montrés hier et trois fois la semaine dernière. Chérif propose d’aller les chercher, si besoin avec la police. On dit qu’on va procéder à des fouilles, de bien vouloir se mettre en ligne les mains contre le mur. À celui qui a parlé on demande t’aimes ça le débat, eh bien tu vas débattre sans ton froc, tu m’as l’air du genre à cacher des trucs profonds. Celui qui a parlé commence à sentir le vent tourner, baisse son pantalon, plaque son front et ses paumes sur les briques rouges, tousse quand on lui intime de le faire, ne réagit pas au sale nègre qu’il entend. Des voisines se sont rapprochées et essayent de comprendre. On leur demande de circuler. L’une d’entre elle reconnaît son fils. Elle est repoussée. Elle se débat et leur dit vous avez pas honte, chaque mois on sue pour vos salaires, c’est pas à pousser les gens qu’on vous paye. Du côté des gars, le fils tempête. On lui dit pardon ? On lui met une gifle, on lui dit qu’on n’a pas bien entendu, on lui en met une deuxième, on lui force le bras en équerre dans le dos pour le descendre au sol, on lui presse des genoux contre les omoplates et sur la trachée pour l’y maintenir, et d’une main au sommet de son crâne on lui écrase la bouche contre le bitume. Chérif entend qu’on appelle des voitures en renfort. Des jeunes tirent des feux d’artifice afin de détourner l’attention des agents. La police tire des grenades. La fumée blanche et toxique se déploie dans l’air lourd. Chérif, par réflexe, retire une main du mur, plaque son t-shirt sur son nez. Pour ce geste, il reçoit un coup de matraque dans les côtes qui le prive de souffle. On lui tire violemment les poignets vers l’arrière pour refermer dessus des menottes. La pointe d’une télescopique enfoncée entre ses reins le force à avancer vers l’une des voitures.

Tout à l’heure le narrateur avait rencontré Samy, en train de faire de la moto. Celui-ci est amoureux, et le narrateur lui dit qu’il faut qu’il prenne des initiatives. Samy repart en moto. Bak monte dans le dos de Samy. C’est alors que la police intervient pour le barbecue soi-disant interdit. Samy voit son frère frappé et embarqué par la police, qui lui dit de partir.

Les deux jeunes s’enfuient en moto et ils sont poursuivis par la police. Samy voit, croit voir, des sourcils se forcer, l’adrénaline gonfler les veines d’un bras et au bout de ce bras des doigts, aux jointures blanchies par la préhension, se resserrer autour d’un calibre. Et puis il sait, croit savoir, que c’en est fini d’exister comme ils existent. Bak et lui, là tout de suite : devenus indésirables, à punir ; infiniment de trop. Et il entend, croit entendre, dans son dos qu’on presse une détente et qu’on ouvre le feu. Trois fois, il entend, croit entendre, le feu s’ouvrir.

C’est le deuil. Le narrateur rencontre Chérif. Les deux jeunes se rappellent, juste avant, Issa, à qui on demande sa carte d’identité. Issa se permet de dire que c’est la troisième fois. On le met à l’écart, on lui dit qu’il a insulté la police. Issa parle d’amende, tout le temps les mêmes amendes, d’amende pour tapage, d’amende pour jets de liquide insalubre, d’amende on n’était même pas dans la rue ce jour-là, une fois une amende, j’étais en vacances, une fois j’étais déjà en garde à vue. Ils avaient rien à faire d’autre, que ça faisait pitié un peu de les voir avoir rien à faire, jamais rien à faire d’autre, comme là, comme aujourd’hui, qu’il y avait des femmes qui se faisaient violer dans le plus grand des calmes en ce moment même partout dans Paname, mais que leur priorité c’était de les contrôler eux, les noirs et les arabes de cité. Il avait ajouté, bravo vous faites un bête de métier messieurs, franchement. Au commissariat les agents commencent leur mission officieuse. Déshumaniser en cognant des gueules avec moins de respect qu’on cogne un sac de frappe dans un club de boxe. Ils avaient cogné tellement fort qu’il en avait perdu connaissance à plusieurs reprises, qu’il en avait eu une côte cassée. Ils lui avaient mis quelques coups dans la tête, pas trop pour éviter les marques, et surtout dans le torse et le mou du ventre. Une trentaine de coups peut-être, il avait renoncé à tenir les comptes. Une trentaine de coups. Minimum. Les gars s’étaient fait un festin. Quand on l’a récupéré, Issa, il avait les deux yeux tuméfiés et ses pupilles, saisies d’une crise de tics, partaient invariablement au-dessus de lui. Mais surtout. Surtout. Outre ses paupières gonflées, ecchymosées d’avoir été cognées et cognées, c’était ses cheveux.

 Déjà ça puait la mort. C’était juste avant Samy, ça puait la mort, la fin, la moisissure, quelque chose qu’il faut jeter. Ça m’a foutu un sérieux coup. Faut pas arracher les cheveux des noirs. Faut pas faire baisser les caleçons, faut nous croire quand on dit qu’on est nous-mêmes et pas grand-chose d’autre de plus que sur une carte d’identité. Faut pas nous plier, faut pas nous pourchasser, arrêtez de nous faire courir, faut pas nous tabasser, nous violer, nous flinguer. Faut arrêter s’il vous plaît.

Le narrateur rend visite à des amis. Il faut préparer la riposte, et garder le secret. Il y a en particulier Nil, qui prépare un feu d’artifice et l’organisation de la danse, avant que la mairie ne détruise la pyramide. La fête est formidable. La riposte a réussi.

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