Le nihilisme occidental : Emmanuel Todd

Emmanuel Todd. « La défaite de l’Occident », Gallimard, 2024.

Le nihilisme caractérise l’Occident en guerre contre la Russie et la Chine. Il se manifeste actuellement de manière horrible par l’indifférence, le silence ou le déni de réalité des gouvernements, des politiciens et des journalistes nihilistes des pays de l’OTAN aux célébrations des assassins de juifs en Ukraine et dans les pays baltes, aux centaines de milliers de morts en Ukraine, au génocide en Palestine, mais aussi aux conséquences de l’inflation et de la destruction des services publics et des acquis sociaux sur les populations.

 D’un point de vue théorique, le nihilisme est la forme extrême de la postmodernité, c’est-à-dire, d’une part, la mégalomanie violente, l’insensibilité aux souffrances, le plaisir de détruire, l’intérêt à l’exploitation et à la guerre, et d’autre part, le travestissement de la réalité, les mensonges  éhontés, l’irrationalité, l’incapacité de comprendre, la politique au jour le jour.

Le nihilisme n’apparaît pas encore quand le christianisme devient un christianisme zombie, avec des croyances de substitution (l’État-nation, le communisme, le nazisme, etc.) qui organisent et structurent les individus.

Le nihilisme apparaît au moment où les mœurs et les valeurs héritées du religieux ou de l’idéologique disparaissent, laissant place à des individus privés de toute croyance collective : l’État-nation se désintègre, la globalisation triomphe, les sociétés sont atomisées, l’éthique du travail, la moralité sociale contraignante, la capacité de sacrifice pour la collectivité disparaissent. Les gens sont incapables de penser par eux-mêmes, tout en étant capables d’intolérance. Il n’y a plus de conscience, de surmoi, d’idéal du moi qui permettent de s’élever au-dessus des désirs immédiats pour être plus que soi-même. Ce rien, ce néant, produit des réactions souvent stupides ou abjectes.

Ce nihilisme, c’est aussi un libéralisme qui protège en priorité la minorité riche, un libéralisme qui caractérise tous les pays de l’Occident et qui fait de ces pays des oligarchies (et non des démocraties).

Ce nihilisme, qui avait existé sous une autre forme en Allemagne comme nazisme hitlérien, apparaît d’abord aux États-Unis.

Les dirigeants oligarchiques des pays de l’OTAN sont devenus nihilistes depuis qu’ils sont complètement asservis aux dirigeants nihilistes américains, quand les paradis fiscaux où les oligarques européens et des autres pays alliés aux États-Unis placent leurs dollars ont été complètement contrôlés par les 300 000 fonctionnaires américains spécialement employés pour ce contrôle des paradis fiscaux.

Les dirigeants nihilistes américains et des pays de l’OTAN et de l’Union européenne se sont alliés aux nihilistes ukrainiens nazis bandéristes dans un soutien à une guerre contre la Russie.

Depuis 2014, c’est le silence typiquement nihiliste sur la glorification des assassins nazis bandéristes de juifs en Ukraine, sur le coup d’État de 2014, sur les assassinats et les bombardements des populations civiles par Kiev et les révoltes populaires dans le sud et l’est de l’Ukraine qui en résultent, sur le sabotage des accords de Minsk par les dirigeants occidentaux, sur l’illégalité en droit international des sanctions.

Parallèlement, pour le soutien nihiliste à la guerre, les dirigeants et les journalistes occidentaux développent un racisme antirusse, à côté du racisme antichinois (voir ma définition du racisme dans un blog précédent : une information négative sur un individu ou un groupe sans que cet individu ou un représentant qualifié de ce groupe ne puisse intervenir librement constitue le racisme).

Les pays de l’OTAN, pour faire la guerre nihiliste à la Russie, fournissent de l’argent, des informations et des armes au régime de Kiev, sanctionnent la Russie, tout en s’apercevant qu’ils n’ont pas la puissance pour aider suffisamment Kiev et que le Reste du monde, qui se sent exploité et colonisé par les États-Unis et ses alliés, soutient la Russie, rendant les sanctions en partie inefficaces.

Le nihilisme dans le domaine économique commence par la destruction de l’État social. Christophe Ramaux interviewé par Olivier Berruyer dans Élucid du 26 janvier 2024 parle de la politique néolibérale depuis 40 ans : il y a Reagan, Thatcher et surtout ceux qui sont allés le plus loin dans la systématisation, la théorisation et la mise en œuvre des politiques néolibérales, à savoir les politiciens de la gauche sociale-libérale de Mitterrand, avec Pascal Lamy à l’OMC et surtout Delors, président de la Commission européenne pendant 10 ans, auteur de l’Acte unique européen, promoteur de la libération des marchés à l’intérieur de l’Europe, du libre-échange, de la finance libéralisée, du traité de Maastricht et de l’euro comme corset néolibéral. Delors s’attaque de manière nihiliste aux quatre piliers de l’État social, cette révolution du vingtième siècle (le pilier de la protection sociale, le pilier du droit du travail et de la négociation salariale, le pilier du service public et enfin le pilier des politiques économiques, budgétaires, monétaires, les politiques de redistribution des revenus, les politiques commerciales, les politiques industrielles et les politiques de soutien à l’activité à l’emploi).

Avec les néolibéraux et les sociaux-libéraux, nous assistons à la volonté de privatisation de la protection sociale, à la remise en cause du droit du travail (la flexibilité), à la privatisation des services publics et à la réorientation des politiques économiques (cinq volets dans cette réorientation des politiques économiques : finance libéralisée, libre-échange, austérité salariale, contre-révolution fiscale – avec une baisse des taux d’imposition des sociétés et des impôts des riches– et privatisation des entreprises publiques).

Ces politiques nihilistes de destruction sont en échec : la politique néolibérale entraîne des crises financières et économiques régulières qu’on essaye de résoudre par des politiques de relance budgétaire et monétaire au service du marché, par le creusement des dettes privées et publiques et par des déséquilibres commerciaux.

Ce qui n’arrange rien, ces adversaires nihilistes de la démocratie, autrement dit ces oligarques, qui dirigent non en fonction de l’intérêt général mais de l’intérêt des plus riches, quand ils baissent les impôts des plus riches et les taxes des entreprises, contribuent à creuser le déficit (dette publique, mais aussi dettes privées et déséquilibres commerciaux), un déficit dont ils exagèrent l’importance, pour justifier ensuite l’austérité, c’est-à-dire la baisse des salaires, la mise en question des services publics de la santé et de l’école, la mise en question des prestations sociales, des retraites et des équipements sociaux et culturels.

Il ne faut pas oublier que nous vivons dans des sociétés salariales. Si on diminue les salaires et les prestations sociales, on diminue la demande. L’essentiel de la demande est salariale. On comprime la demande, on comprime donc l’activité, il y a moins de recettes, et donc plus de déficit. En plus on fait des cadeaux aux riches en baissant les impôts, et les riches achètent avec gourmandise les emprunts publics, des dettes que les riches demandent avec insistance. Il s’agit d’une politique récessive, une politique catastrophique de destruction de la production économique.

L’Europe et la mondialisation sont des catastrophes économiques destructrices, typiques du nihilisme. Il y a à gauche des problèmes d’alternative, celle du fédéralisme européen et celle de l’altermondialisme, des alternatives aux conséquences nihilistes, destructrices.

En effet, pour ce qui concerne la gauche européiste et atlantiste, Piketty et Aglietta, s’ils proposent plus de fédéralisme au niveau européen et en particulier une croissance du budget européen de un à cinq pour cent, ne se rendent pas compte de l’importance de l’État social : si on ajoute les prestations sociales en espèces (retraites, allocations-chômage, etc. : 520 milliards), les transferts sociaux en nature sous la forme de consommation de service public d’éducation et de santé, avec la part remboursée des médicaments (400 milliards), on dépasse la somme des salaires nets. Nous sommes dans une économie mixte, une économie salariale. Vouloir augmenter de plus de 100 milliards notre contribution au budget européen, c’est croire qu’il pourrait y avoir des professeurs européens, des infirmières européennes, des retraites européennes, etc., ce qui est un gaspillage irréaliste et absurde, destructeur des État sociaux nationaux.

Pour ce qui concerne la gauche altermondialiste, au lieu d’opter pour la démondialisation et d’élaborer une conception républicaine de la nation, cette gauche altermondialiste considère la nation comme périmée et comme une manifestation de nationalisme et de racisme. Le capitalisme saute sur l’occasion et profite de ce gauchisme mondialiste et atlantiste en déchaînant la finance libéralisée et l’évasion fiscale, reprenant en chœur les slogans altermondialistes : à bas les frontières ! Les frontières, c’est ringard, c’est raciste ! 

Emmanuel Todd essaye d’entrer dans les mœurs des dirigeants nihilistes occidentaux.

Dans le nihilisme, les classes éduquées supérieures (10% de la population) se pensent supérieures et passent leur temps de travail, non à penser le monde, mais à tromper les autres classes (qui en retour se méfient), et le temps qu’elles passent à tromper et à manipuler l’opinion publique et électorale, c’est du temps en moins pour étudier et comprendre la réalité et la situation internationale.

 Les dirigeants nihilistes, dans un climat de moralité zéro, optent pour une dynamique du pouvoir pur, avec une préférence pour la force militaire et la guerre, réagissant à des impulsions venues d’un réseau local tout à fait dénué de morale commune, un réseau sans croyance de portée nationale ou universelle, un réseau anomique, atomisé, d’individus faibles, au surmoi fragile, sans idéal du moi pour les structurer, mus par un mécanisme de régulation mimétique interne au groupe local ou professionnel auquel ils appartiennent.

 Les individus nihilistes qui dirigent n’existent que les uns par rapport aux autres, ne déterminent pas leurs actes et décisions en se référant à des valeurs extérieures à leur groupe ou à des valeurs supérieures, religieuses, morales ou historiques : leur seule conscience est locale.

Par exemple, ils sont enfermés professionnellement dans la politique étrangère, dans l’international, ce qui les prédispose à l’activisme : ils ont intérêt à ce que leur pays ait une politique ambitieuse. Plus le gouvernement est occupé à l’extérieur et plus il y a de postes à pourvoir parmi les experts en politique internationale. Plus la part de la richesse nationale consacrée à résoudre les problèmes mondiaux sera grande et plus importante sera leur influence potentielle, d’où une propension à gonfler les menaces et une obsession de la puissance militaire.

Si ces politiciens nihilistes ont intérêt à ce que ça chauffe militairement, il en est de même de la police, de l’armée et du journalisme : les journalistes qui, autrefois, adhéraient à des idéologies opposées, sont devenus des journalistes nihilistes, c’est-à-dire sont devenus le « Journalisme », avec son éthique et ses préoccupations propres et aussi sa propre préférence pour la guerre, parce que la guerre, c’est du spectacle.

Les appareils d’État sont des gigantesques et froides machines peuplées d’individus qui, pour l’essentiel, respectent le principe hiérarchique. Ces monstres bureaucratiques sont chevauchés par la petite bande de demi-intellectuels nihilistes qui dirigent.

Le nihilisme, c’est la pauvreté et la mortalité qui s’accroissent, la moralité, l’éthique de travail et le sentiment de responsabilité qui se sont évaporés, les décisions qui ont cessé d’être morales ou rationnelles, le respect des engagements qui devient une chose désuète, l’irrationalité se manifestant par l’incompréhension de la marche inexorable autant qu’absurde à la guerre. Les dirigeants sortent du réel, perdent leur self-control, préférant l’irrationalité, la violence, l’aggravation des conflits et les guerres.

 Pour les dirigeants nihilistes, peu importe l’inflation puisqu’elle ne touche que les pauvres.

Le nihilisme, c’est aussi la pulsion suicidaire, avec la destruction de l’industrie, des métiers et des existences, le renoncement à défendre les intérêts du pays, l’aspiration à la soumission par l’absence de conscience nationale et de principe directeur d’action. Ce sont les privatisations sauvages, l’externalisation des services étatiques, la baisse de l’espérance de vie et du niveau de vie, la moralité zéro.

 Le nihilisme, c’est le néolibéralisme, comme instinct d’acquisition libéré de toute morale, de toute limite. Il s’agit de faire de l’argent, la cupidité à l’état pur.

Si le nihilisme est la conversion au mal, à la pauvreté, à l’atomisation sociale, aux comportements négatifs, aux violences exercées sur les citoyens nationaux ou étrangers, à la mégalomanie, à l’obsession de l’argent et du pouvoir, à l’autodestruction et à la guerre, il est aussi – souvenons-nous en quand nous sommes actuellement soumis à la censure, à la propagande, aux mensonges et à la pensée unique – le refus de la réalité, par exemple la négation de la réalité de la guerre ou la négation de la réalité de la différence des genres masculins et féminins.

Le racisme antirusse justifie la guerre contre la Russie.

L’Occident invente la légende noire de Poutine et de la Russie.

Les surprises de la guerre.

Ce qui est surprenant, c’est l’irruption d’une guerre en Europe, c’est l’affrontement entre les États-Unis et la Russie et non entre les États-Unis et la Chine, c’est l’investissement de l’Ukraine dans la guerre, c’est la résistance économique de la Russie, c’est l’effondrement de toute volonté européenne autonome, c’est le Royaume-Uni hystériquement antirusse, c’est l’intérêt de la Scandinavie pour la guerre contre la Russie, c’est l’effondrement économique et militaire des États-Unis, c’est l’isolement de l’Occident et c’est la défaite de l’Occident.

L’État-nation et sa disparition : les États-Unis ne sont plus un État-nation.

L’État-nation est à la fois wébérien en interne et hobbésien en externe, il est ancré dans une culture et des valeurs communes, il est autonome, il possède une classe moyenne éduquée et différenciée. Il n’y a pas d’État-nation s’il y a un déficit commercial systématique, si les classes moyennes sont détruites, s’il n’y a plus de culture commune, s’il n’y a pas de projet commun. Un État n’est pas un État-nation s’il est dirigé par un groupe militaire sans culture, n’ayant comme valeurs que la puissance et la violence, avec une élite atomisée, anomique ; il est un système étatique à grande capacité de nuisance.

Une défaite en Ukraine peut ne pas être acceptée par l’espace mental des États-Unis d’aujourd’hui : la guerre contre la Russie peut être pour les États-Unis existentielle.

État impérial, État bas-impérial, État post-impérial : les États-Unis sont un État post-impérial.

Les États-Unis ne sont pas un État impérial (« l’Occident collectif ») ni un État bas-impérial (il y a la vitesse des évolutions, l’existence d’Internet, l’existence de nations géantes et la disparition du substrat chrétien), mais plutôt un État post-impérial (comme il n’y a plus de culture porteuse d’intelligence, on a des actions irréfléchies et contradictoires, avec une expansion en phase de contraction de base industrielle).

La hausse de la mortalité américaine et les dollars qui courent vers Kiev sont caractéristiques de la tendance irréversible vers le post-impérialisme, vers la disparition de la moralité sociale et du sentiment collectif, vers la désintégration du cœur du système face à l’expansion centrifuge.

L’état religieux zéro conduit à une pulsion de destruction.

L’état religieux zéro conduit à une pulsion de destruction des choses et des hommes (l’amoralisme découlant d’une absence de valeurs) et à une pulsion de destruction de la vérité, l’interdiction de toute description raisonnable du monde.

L’Occident n’existe plus, puisque, pour lui, il n’y a pas d’autre légitime.

Le système occidental actuel aspire à représenter la totalité du monde et ne reconnaît plus l’existence d’un autre légitime, il cesse par conséquent d’exister.

 La Russie, par contre, pense en termes de souveraineté et d’équivalence des nations : tenant compte de l’existence de forces hostiles, elle peut assurer sa cohésion sociale.

L’Occident est une menace.

Les déséquilibres internes de l’Occident, sa crise, ses illusions, ses mirages, ses leurres statistiques, ses manquements des médias, ses mensonges d’État, ses délires complotistes, sa violence deviennent des menaces pour la stabilité du monde.

La stabilité russe actuelle.

La stabilité russe se caractérise par les taux bas de décès par alcoolisme, de suicide, d’homicides, de mortalité infantile, de corruption, par les exportations de produits agricoles, de centrales nucléaires, par des champions nationaux d’Internet, par un système de messagerie financière russe et un système national de cartes de paiement, par le protectionnisme, par le rôle central de l’État, par le soutien populaire au régime même s’il y a des restrictions aux libertés (démocratie autoritaire), par la mise au pas de l’élite et l’attention extrême aux revendications ouvrières, par la liberté de circulation, par le nombre d’ingénieurs. La faiblesse de la Russie est sa basse fécondité.

 L’auteur ne fait pas la différence entre l’époque stalinienne, démonisée, et l’époque kroutchévienne : il n’y a pas de profondeur historique informée.

L’Ukraine.

En ce qui concerne l’Ukraine, Emmanuel Todd parle du coup d’État de Maidan, « selon les Russes » et de l’Olodomor comme fait historique. Il ne parle pas des révolutions de 2014 en Crimée et dans l’est de l’Ukraine, ni de leur répression par le régime de Kiev. L’histoire de l’Ukraine depuis 2014 n’est pas informée.

Emmanuel Todd  a l’avantage de reconnaître, contrairement à Macron, qu’il existe des nazis en Ukraine, que les assassins de Juifs sont célébrés.

 Emmanuel Todd n’est pas conscient que, dans un régime formellement démocratique, il suffit de très peu de nazis bandéristes, armés et payés par les États-Unis, pour contrôler la politique et l’armée. Dans la république de Weimar, les Corps francs et les nazis qui leur succèdent, même s’ils ne sont pas nombreux, sont financés et possèdent des armes, ce qui leur permet d’assassiner et de semer la terreur dans les villes et villages, et finalement de contrôler le cours de la politique. Marc Bloch regrette de ne pas être intervenu suffisamment tôt pour soutenir les forces démocratiques de la république de Weimar : il y a un moment où les nazis, financés par les oligarques qui ont peur de la remontée du parti communiste, contrôlent totalement par la terreur, et c’est trop tard.

 En ce qui concerne l’Europe de l’Est, Emmanuel Todd reprend la mythologie historique sur Katyn et il utilise la notion fourre-tout de totalitarisme. Pour lui, le communisme sur le plan politique se révèle plus violent que certaines des dictatures de l’entre-deux-guerres.

Le protestantisme est un facteur de développement économique.

Le protestantisme alphabétise et donc favorise l’essor économique. Le protestantisme considère les hommes comme inégaux (les élus et les damnés) et par son exigence de traduction de la Bible en langue vernaculaire, contribue à la formation des cultures nationales.

 Le protestantisme autoritaire correspond à la famille souche ; le protestantisme est libéral par la famille nucléaire absolue.

 Le catholicisme du Bassin parisien, contiguë au protestantisme, est libéral du fait de la famille nucléaire égalitaire.

Une oligarchie qui pense à tromper les classes populaires.

L’Occident a un libéralisme qui protège en priorité la minorité riche : c’est une oligarchie.

 Les classes éduquées supérieures se pensent supérieures et passent leur temps de travail, non à penser le monde, mais à tromper les classes de niveau primaire ou secondaire, qui en retour se méfient.

Du christianisme au christianisme zombie, puis à l’état zéro.

 Le christianisme devient un christianisme zombie, avec des croyances de substitution (l’État-nation, le communisme, le nazisme, etc.) qui organisent et structurent les individus.

Vient un moment où les mœurs et les valeurs héritées du religieux disparaissent, laissant place à des individus privés de toute croyance collective : l’État-nation se désintègre, la globalisation triomphe, les sociétés sont atomisées, l’éthique du travail, la moralité sociale contraignante, la capacité de sacrifice pour la collectivité disparaissent. Nous sommes incapables de penser par nous-mêmes, tout en étant capables d’intolérance. Il n’y a plus de conscience, de surmoi, d’idéal du moi qui permettent de s’élever au-dessus des désirs immédiats pour être plus que soi-même. Le rien, le néant, produit des réactions admirables, stupides ou abjectes.

L’Union européenne, nihiliste, guerrière, destructrice, menteuse, qui méprise les pauvres, qui dissout les nations et renonce à la liberté et à la puissance, se suicide en se lançant dans une guerre qu’elle n’a pas la puissance de gagner.

Les élites européennes construisent l’Europe avec des mots, enfumant les peuples.

 L’irruption du réel de la guerre provoque chez eux les sanctions, qui rendent la guerre mondiale, que seuls en Occident les États-Unis peuvent affronter : c’est la fin de l’Europe.

Pour les dirigeants européens, peu importe l’inflation, elle ne touche que les pauvres.

 Il y a aussi le nihilisme économique des dirigeants européens, avec leur destruction de l’industrie.

 Il y a la moralité zéro des dirigeants européens, avec l’agression militaire contre la Russie, leur volonté de guerre.

 Il s’agit d’une pulsion suicidaire, comme si les dirigeants européens espéraient la fin de la construction européenne, une construction européenne qu’ils considèrent plus ou moins consciemment comme moribonde, même si, provisoirement, la guerre donne du sens à cette construction européenne.

 Cette pulsion suicidaire se manifeste en particulier par la renonciation du géant allemand à la puissance et par la renonciation des élites européennes à la liberté.

 Les élites européennes n’ont pas compris que le moteur du projet européen était la dissolution des nations, avec des citoyens apathiques et atomisés, des élites irresponsables et la destruction de l’industrie.

Sans conscience nationale, sans boussole, l’Allemagne devient une machine à produire.

Dans cette dissolution des nations, l’Allemagne s’est révélée plus résistante, car la famille souche, autoritaire et inégalitaire, conserve des habitudes mentales de discipline, de travail et d’ordre.

Privée de conscience nationale, la société allemande devient une machine à produire. C’est l’obsession de l’adaptation industrielle. Cette obsession implique en particulier de compenser l’atonie démographique par un afflux massif d’immigrés. Dans le courant des années 2000, l’Allemagne agit comme une société machine, résolvant des problèmes économiques séparément les uns des autres sans que la guide la notion de véritable destin national. En 2012, de manière schizophrénique ou sans repère, elle entre dans un partenariat énergétique étroit avec la Russie (ce que les États-Unis ne veulent pas), tout en comptant sur les États-Unis pour la protéger militairement. Cette combinaison d’actes désordonnés caractérise une société dépourvue d’une conception globale de ce qu’elle fait.

Nation active (avec idéal) et nation inerte (nation-machine, etc.).

 A partir de 2000, l’Allemagne n’est plus une nation active (l’idéal national s’est évaporé, mais le peuple subsiste), elle est une nation inerte qui, hors de toute conscience d’elle-même, continue sur une trajectoire, avec une obsession économique.

En culture souche, les chefs ont un sentiment de supériorité, tout en étant anxieux.

 Dans la culture souche, les individus sont sécurisés par la présence au dessus d’eux d’une autorité quelconque, et les chefs, que ne surplombe plus aucune autorité rassurante, ressentent un malaise qui n’est pas trop grave si le pays n’est pas très puissant (si le pays n’est pas très puissant, il y aura toujours un parrain extérieur), mais qui est grave si le pays commence à dominer. L’inégalité des frères entre eux mute en inégalité des hommes et des peuples. L’autorité du père sur les fils devient droit de domination sur les peuples faibles. Cela donne : mon pays est supérieur à tous les autres et ces autres doivent obéir.

 La nation souche, puissance industrielle dominante, perd le contact avec la réalité, ce qui peut se traduire par la perte de self-control des chefs, ou bien par le renoncement à défendre les intérêts du pays, l’aspiration à la soumission, exprimant la difficulté d’être un chef en système souche quand il n’y a pas de conscience nationale et donc de principe directeur d’action (d’anxieux, le dirigeant souche devient passif).

 L’atomisation sociale produit de la fébrilité ou de la passivité (faire semblant de faire la guerre est une forme de passivité qui peut être plus efficace que la fébrilité).

L’atomisation sociale produit de la passivité chez les dominés, de l’activisme chez les dominants.

Dans le cas de l’Allemagne, il est possible que la passivité (qui peut se traduire par l’attitude de faire semblant de faire la guerre) soit supérieure à la fébrilité.

En Occident, les peuples sont dominés et sans perspective, et donc sans action collective.

En Occident, les peuples ne comptent plus, aussi bien par la faute des élites que parce que, rendus anomiques par un état religieux et idéologique zéro, aucune action collective ne peut plus les mobiliser.

En Occident, les dirigeants, tous oligarques, sont obligés de placer leurs capitaux dans des paradis fiscaux contrôlés par les États-Unis et leurs sont donc serviles.

 Les dirigeants sont des robots pilotés de l’extérieur.

Depuis 1960, le dollar est une monnaie d’échange à l’échelle internationale. Les riches oligarques thésaurisent en dollars, plaçant dans des paradis fiscaux anglo-saxons contrôlés par les États-Unis (300 000 employés sont affectés à cette surveillance), perdant ainsi leur autonomie mentale et stratégique, ce qui explique leur soumission, leur servilité.

Les États-Unis ont besoin des capacités industrielles de leur protectorat.

 Les États-Unis en déclin ont besoin des capacités industrielles de leurs derniers protectorats, qu’ils contrôlent étroitement.

Le nihilisme domine en Grande-Bretagne.

Apparaît en Grande-Bretagne une moralité zéro, la désindustrialisation, une baisse de l’espérance de vie et du niveau de vie, des privatisations sauvages, des externalisations des services étatiques.

Le néolibéralisme, c’est l’instinct d’acquisition libéré (faire de l’argent), sans morale, en détruisant les usines, les métiers, les existences.

Le néolibéralisme est la libération d’un instinct d’acquisition dissocié de toute morale, dissimulé derrière une théorie économique. C’est la cupidité. Il s’agit de manière simpliste de faire de l’argent. Il s’agit, de manière nihiliste, de détruire des usines, des métiers, des existences. C’est le protestantisme zéro.

Le nihilisme, c’est la conversion au mal, à la pauvreté, à l’atomisation sociale, aux comportements négatifs, aux violences exercées sur les citoyens nationaux ou étrangers, à l’obsession de l’argent et du pouvoir, à l’autodestruction et à la guerre, mais c’est aussi le refus de la réalité, la négation de la réalité.

Le nihilisme est un concept qui symbolise la conversion de l’Amérique du bien au mal. Les États-Unis mènent à la pauvreté et à l’atomisation sociale avec des comportements négatifs, conséquence de la décomposition du protestantisme. L’état zéro du protestantisme permet de comprendre le pourrissement interne, la mégalomanie externe, les violences exercées sur les citoyens américains sur les citoyens des autres pays. La vie politique fonctionne sans valeur, elle n’est qu’un mouvement qui tend vers la violence. C’est l’obsession de l’argent et du pouvoir, mais l’argent et le pouvoir ne sauraient être des buts en eux-mêmes, des valeurs. Le vide induit une propension à l’autodestruction, au militarisme.

Le nihilisme, ce n’est pas seulement le besoin de détruire soi et les autres, c’est aussi le refus de la réalité, la négation de la réalité.

 Comme exemple de nihilisme appliqué, il y a ces grandes entreprises pharmaceutiques, relayées par des médecins bien payés et peu scrupuleux et par le Congrès, qui mettent à la disposition des patients des médicaments qui mènent très fréquemment à une mort directe.

Comme autre exemple de nihilisme, de refus de la réalité, de négation de la réalité, il y a la religion nihiliste du genre, qui prétend qu’on peut transformer un homme en femme, réciproquement.

Le grand nombre d’éduqués supérieurs entraîne la fin de l’ethos égalitaire, du sentiment d’appartenance, des valeurs communes, de l’unité idéologique, des classes moyennes (il ne reste plus qu’une classe moyenne supérieure, 10% de la population), de la méritocratie, des capacités intellectuelles et l’essor des inégalités, des parasites des écoles de commerce et des oligarques nihilistes qui se moquent des 90%.

Le seuil de 25 pour cent d’éduqués supérieurs a été atteint aux États-Unis dès 1965. Les éduqués supérieurs considèrent alors qu’ils détiennent une supériorité intrinsèque. Au rêve d’égalité succède une légitimation de l’inégalité. Le développement de l’éducation supérieure voit s’éteindre l’ethos égalitaire que l’alphabétisation de masse avait répandue et, au-delà, tout sentiment d’appartenance à une collectivité. L’unité religieuse et idéologique vole en éclats. S’enclenche alors un processus d’atomisation sociale et d’amenuisement de l’individu, qui, cessant d’être encadré par des valeurs communes, se retrouve fragilisé. Apparaît le déclin intellectuel.

 L’implosion du protestantisme et de son inégalitarisme métaphysique libère les Noirs du principe d’inégalité tout en désorganisant la démocratie américaine qui fixait l’inégalité sur les races inférieures, les Indiens et les Noirs (d’un côté les élus, les Blancs, et de l’autre les damnés).

 La liquidation de la classe ouvrière par la globalisation a causé le dépérissement des classes moyennes. Ne subsiste plus qu’une classe moyenne supérieure, 10% de la population peut-être, accrochée à l’oligarchie des 0,1% supérieur, et qui s’efforce de ne pas dégringoler.

 Les privilégiés sont fatigués de jouer le jeu de la méritocratie, même s’ils en sortent gagnants. Les plus riches avaient toujours été en mesure d’acheter des places à leur progéniture à Harvard, Yale ou Princeton. Les rejetons des catégories moyennes supérieures devaient subir des tests. On vient de supprimer les tests. La renonciation au principe méritocratique clôt la phase démocratique de l’histoire américaine.

Nous avons une société oligarchique. Les oligarques vivent entourés de leurs dépendants, des privilégiés eux aussi. Ensemble, ils se moquent des difficultés qu’affrontent 90% de leurs concitoyens. C’est cette oligarchie libérale, travaillée par le nihilisme, qui mène la lutte de l’Occident.

On assiste à une fuite sociale interne des cerveaux : vers le droit, la finance et les écoles de commerce, tous secteurs où les revenus peuvent être plus élevés que ceux de l’ingénierie ou de la recherche scientifique. Les études supérieures en droit, en finance ou de commerce, sans provoquer une quelconque amélioration des capacités productives ou même intellectuelles des individus concernés, leur procure toutefois, par suite de leur position sociale, une capacité supérieure de prédation de la richesse produite par le système. La multiplication de tels diplômés crée une multitude de parasites.

 Pour compenser leurs carences en travailleurs scientifiques et techniques de tous niveaux, les États-Unis en importent massivement (2,5 millions).

 Les inégalités augmentent.

Il est plus facile de produire de la monnaie que des biens : l’ingénieur ou l’industriel devient marginal.

 L’Amérique produit la monnaie du monde, le dollar, et la capacité qu’elle a de tirer de la richesse monétaire du néant la paralyse. Produire la monnaie du monde à un coût minimal ou nul rend plus rentables et par conséquent peu attirantes toutes les activités autres que la création monétaire. Les 95% de la production monétaire résultent des prêts que les banques consentent à des particuliers ou s’accordent entre elles. S’il y a une crise, la Fed, pour sauver le système, émettra plus argent, garantissant que la création monétaire par les banques et les particuliers, de fait par l’État, est sans limite.

Absence de limites aussi pour la dette publique américaine dont le plafond légal est chaque fois que c’est nécessaire relevé par le Congrès.

 Les dollars et les bons du trésor continuent d’être émis et les privilégiés de la planète continuent à les acheter.

 Difficile d’amender un tel système : il est tellement plus facile de produire de la monnaie que des biens. Et le beau métier sera bien sûr celui qui rapproche son possesseur de la création monétaire, de la source de l’opulence : banquier, avocat fiscaliste, lobbyiste au service du banquier, etc. L’ingénieur est trop éloigné de cette source prodigue, l’industriel vit avec l’obligation de réaliser un taux de profit fixé par les gens qui fabriquent de l’argent.

 Une protection aux frontières contre l’industrie étrangère ne peut suffire si la vraie concurrence vient d’une planche à billets interne, collective et démoniaque. Le mécanisme se répercute, par anticipation, sur les jeunes qui choisissent formations et métiers. C’est la fuite des cerveaux vers les métiers improductifs. Il s’agit de se rapprocher des fontaines sacrées d’où jaillit le dollar.

Les néoconservateurs, dans un climat de moralité zéro, optent pour une dynamique du pouvoir pur, avec une préférence pour la force militaire et la guerre, réagissant à des impulsions venues d’un réseau local tout à fait dénué de morale commune, un réseau sans croyance de portée nationale ou universelle, un réseau anomique, atomisé, d’individus faibles, au surmoi fragile, sans idéal du moi pour les structurer, mus par un mécanisme de régulation mimétique interne au groupe local ou professionnel auquel ils appartiennent. Les individus n’existent que les uns par rapport aux autres, ne déterminant pas leurs actes et décisions en se référant à des valeurs extérieures à leur groupe ou des valeurs supérieures (des valeurs religieuses, morales ou historiques) : leur seule conscience est locale, villageoise, enfermés professionnellement dans la politique étrangère, dans l’international, ce qui prédispose à l’activisme : ils ont intérêt à ce que les États-Unis aient une politique mondiale ambitieuse. Plus le gouvernement américain est occupé à l’extérieur et plus il y a de postes à pourvoir parmi les experts en politique internationale. Plus la part de la richesse nationale consacrée à résoudre les problèmes mondiaux sera grande et plus importante sera leur influence potentielle, d’où une propension à gonfler les menaces et une obsession de la puissance militaire. Si ces politiciens du Blob ont intérêt à ce que ça chauffe militairement, il en est de même de la police, de l’armée et du journalisme : les journalistes qui, autrefois, adhéraient à des idéologies opposées, sont devenus le « Journalisme », avec son éthique et ses préoccupations propres et aussi sa propre préférence pour la guerre, parce que la guerre, c’est du spectacle. Aux États-Unis, les appareils d’État (l’armée, marine, l’Air Force, la CIA, la NSA) sont des gigantesques et froides machines peuplées d’individus qui, pour l’essentiel, respectent le principe hiérarchique. Ces monstres bureaucratiques sont chevauchés par la petite bande de demi-intellectuels qui habitent le Blob, ce sous-village de Washington.

 On pourrait ajouter que ces néoconservateurs et les élus qui les soutiennent sont souvent d’anciens dirigeants d’industrie et de finance liés à la guerre, des lobbyistes du complexe militaro-industriel. En France, le Président de République est associé-gérant d’une banque américaine.

La fin de l’élite du pouvoir, dans un climat de moralité zéro, s’est accompagnée de la volatilisation de tout ethos commun aux groupes dirigeants. L’élite WASP indiquait une direction, des objectifs moraux, bons ou mauvais. Le groupe dirigeant actuel (je n’ose l’appeler élite) ne propose rien de tel. Ne subsiste en son sein qu’une dynamique du pouvoir pur qui, projetée sur le monde extérieur, mute en une préférence pour la puissance militaire et la guerre.

Les individus qui composent le groupe dirigeant de la plus grande puissance mondiale n’obéissent plus à un système d’idées qui le transcende mais réagissent à des impulsions venues du réseau local auquel ils appartiennent. Le village de Washington n’est plus qu’une collection d’individus tout à fait dénués de morale commune. Le groupe n’est plus soudé par une croyance de portée nationale ou universelle. Il est anomique au sens d’atomisé, selon un mécanisme purement local de régulation des croyances et des actes. Il s’agit d’individus au surmoi fragile qu’aucune croyance collective, société ou idéal du moi ne structurent ni n’encadrent. Ces individus faibles sont mus par un mécanisme de régulation mimétique interne au groupe auquel ils appartiennent localement ou professionnellement.

 L’atomisation des sociétés individualistes avancées induit des dérives centripètes de lieu ou de métier. Les individus n’existent que les uns par rapport aux autres. Ils ne déterminent plus leurs actes et décisions en se référant à des valeurs extérieures et surtout supérieures : religieuses, morales, historiques. Leur seule conscience est locale, villageoise.

Le Blob washingtonien est un groupe dirigeant dépourvu d’attache intellectuelle ou idéologique extérieure à lui-même. Alors qu’autrefois les personnes qui se consacraient à la politique étrangère avaient été formées dans d’autres disciplines, y entrant avec des vues et des préoccupations générales, les gens du Blob ne sortent jamais de leur corral, même quand ils changent de postes ou en apparence de métier.

L’effet pervers de cet enfermement dans l’international est qu’il prédispose à l’activisme. Ils ont un intérêt personnel à ce que les États-Unis aient une politique mondiale ambitieuse. Plus le gouvernement américain est occupé à l’extérieur, plus il y a de postes à pourvoir parmi les experts en politique internationale, plus la part de la richesse nationale consacrée à résoudre ses problèmes mondiaux sera grande et plus importante sera leur influence potentielle, d’où une propension à gonfler les menaces et une obsession de la puissance militaire. Il y a intérêt professionnel à ce que ça chauffe !

Dans un monde où dépérissent les idéologies, subsistent bien entendu l’État et plus encore les métiers. Ainsi les journalistes qui, autrefois, adhéraient à des idéologies opposées, sont devenus le « Journalisme », avec son éthique et ses préoccupations propres et aussi, notons le, sa propre préférence pour la guerre, parce que c’est du spectacle.

Même schéma pour la police ou l’armée.

Dans le Blob, les membres circulent en marge des partis. Comme dans n’importe quel milieu étroit, dans n’importe quel village, on voit se former des couples et se conclure des mariages.

Aux États-Unis, les appareils d’État (l’armée, marine, l’Air Force, la CIA, la NSA) sont des gigantesques et froides machines peuplées d’individus qui, pour l’essentiel, respectent le principe hiérarchique. Ces monstres bureaucratiques sont chevauchés par la petite bande de demi-intellectuels qui habitent le Blob, un sous-village de Washington.

Les occidentaux vivent comme une sorte de bourgeoisie planétaire, en exploiteurs du travail sous-payé du Reste du monde, ce qui transforme les populations du Reste en prolétariat généralisé et transforme le prolétariat européen, qui doit une partie de son niveau de vie en hausse au travail des peuples du Reste, en une plèbe de serviteurs apprivoisés, non plus engagés dans les industries agricoles et manufacturières de base, mais maintenus dans l’exécution de services personnels ou de services industriels mineurs, sous le contrôle de la nouvelle aristocratie financière. Les ouvriers occidentaux ne consomment plus ce qu’ils produisent. Les objets de consommation sont désormais produits ailleurs. Comme les prolétaires européens doivent une partie de leur niveau de vie en hausse au travail des peuples du Reste, ils peuvent négocier dans un système social plus aimable, avec des partis politiques et des syndicats devenus réformistes. Cependant, du fait que l’ablation de leur valeur en tant que producteurs les prive d’utilité sociale, les ouvriers sont en désarroi, souvent acculés à l’alcoolisme, à la drogue, au suicide, et au vote à droite : alors que les partis de gauche, sociaux-démocrates ou communistes, s’appuyaient sur des classes ouvrières exploitées, les partis populistes s’appuient sur des plèbes dont le niveau de vie dérive largement du travail sous-payé des prolétaires de Chine, du Bangladesh, du Maghreb ou d’ailleurs ; les électeurs populaires du Rassemblement national sont des extracteurs de plus-value à l’échelle mondiale : ils sont donc très normalement de droite. Si la délocalisation de nombreuses activités productives a contribué à anémier de plus en plus nos provinces et nos banlieues, le libre-échange a tenu sa promesse de favoriser le consommateur aux dépens du producteur, de transformer le producteur en consommateur, et le citoyen productif en plébéien parasite, guère désireux au fond de retrouver le chemin et la discipline de l’usine, ce qui explique la difficulté de la réindustrialisation. Mais tout cela ne concerne pas seulement les milieux populaires. C’est l’ensemble de la société qui profite du travail des ouvriers chinois et des enfants du Bangladesh, les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur mal payés comme les prolos, les électeurs de LFI comme des électeurs du RN. Ils vivent tous des surprofits de la globalisation.

Les Occidentaux n’ont pas reconnu qu’en délocalisant leur industrie ils se proposaient de vivre comme une sorte de bourgeoisie planétaire, en exploiteurs du travail sous-payé du Reste du monde. Ce rapport d’exploitation a transformé les populations du Reste en prolétariat généralisé. Les classes supérieures prélèvent ainsi d’énormes tributs au moyen desquels elles entretiennent une plèbe de serviteurs apprivoisés, non plus engagés dans les industries agricoles et manufacturières de base, mais maintenus dans l’exécution de services personnels ou de services industriels mineurs sous le contrôle d’une nouvelle aristocratie financière.

 La participation indirecte des classes ouvrières de l’Ouest aux surprofits générés par l’impérialisme s’exprime par le fait que les prolétaires européens doivent une partie de leur niveau de vie en hausse au travail des peuples du Reste, qu’ils peuvent donc négocier dans un système social qui leur devient plus aimable, avec des partis socialistes et des syndicats qui deviennent réformistes.

 Le prolétariat occidental est complètement transformé en une plèbe vivant largement du travail du Reste du monde. Les ouvriers occidentaux ne consomment plus ce qu’ils produisent : les objets de leur consommation sont désormais produits ailleurs. Le prolétariat laborieux se mue en plèbe dans les années 2000, à l’instigation des théoriciens et des praticiens de l’économie mondialisée.

Les théoriciens actuels de l’économie ne s’intéressent qu’aux consommateurs, qui doivent pouvoir acheter les biens dont ils ont besoin au prix le moins élevé. Ces apôtres théoriciens menacent sans cesse les peuples occidentaux de devoir payer plus cher leur nourriture, leurs vêtements, leur téléphone portable, leurs automobiles, leurs médicaments, les jouets de leurs enfants et leur nain de jardin s’ils s’obstinent à vouloir les fabriquer eux-mêmes. Les apôtres ont gagné, mais leur victoire a des conséquences socio-politiques qu’ils n’avaient pas anticipées.

 Nous constatons, en effet, premièrement, le désarroi moral des ouvriers que l’ablation de leur valeur en tant que producteurs a privé d’utilité sociale. Ils sont souvent acculés à l’alcoolisme, à la drogue, au suicide.

 Nous constatons, deuxièmement, le vote à droite des ouvriers. Alors que les partis de gauche, sociaux-démocrates ou communistes, s’appuyaient sur des classes ouvrières exploitées, les partis populistes s’appuient sur des plèbes dont le niveau de vie dérive largement du travail sous-payé des prolétaires de Chine, du Bangladesh, du Maghreb ou d’ailleurs ; les électeurs populaires du Rassemblement national sont des extracteurs de plus-value à l’échelle mondiale : ils sont donc très normalement de droite.

 Cette analyse permet de comprendre pourquoi il est si difficile de réindustrialiser. Si la délocalisation de nombreuses activités productives a contribué à anémier de plus en plus nos provinces et nos banlieues, le libre-échange a tenu sa promesse de favoriser le consommateur aux dépens du producteur, de transformer le producteur en consommateur, et le citoyen productif en plébéien parasite, guère désireux au fond de retrouver le chemin et la discipline de l’usine.

Mais cela ne concerne pas seulement les milieux populaires. C’est l’ensemble de la société, dans le monde occidental avancé, qui profite du travail des ouvriers chinois et des enfants du Bangladesh, les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur mal payés comme les prolos, les électeurs de LFI comme des électeurs du RN. Ils vivent tous des surprofits de la globalisation.

L’OTAN, considérant une guerre conventionnelle contre la Russie trop dangereuse, se rabat sur des opérations conventionnelles très localisées (comme l’Occident fait fabriquer ce dont il a besoin par les travailleurs des pays à bas salaires, il fait faire la guerre par l’Ukraine) et sur les sanctions, des sanctions qui donnent à la guerre une dimension mondiale et un caractère de lutte à mort entre les États-Unis et la Russie. Cependant, les sanctions ne marchent pas, car le Reste du monde a convenu d’aider la Russie, l’Occident découvrant qu’on ne l’aimait pas, ne se rendant pas compte que l’exploitation par l’Occident d’un Reste du monde où triment pour des salaires dérisoires hommes, femmes et enfants, incline le Reste vers une Russie qui ne joue pas le jeu de cette exploitation mondiale en insistant pour rester une nation souveraine et garder ses valeurs traditionnelles. De plus, la saisie illégale des avoirs russes à l’étranger a soulevé une vague de terreur parmi les classes supérieures du Reste du monde : échapper à l’État américain prédateur devient une obsession, se dégager de l’empire du dollar devient un objectif raisonnable (l’Occident pensait que les classes supérieures du Reste allaient été solidaires de l’Occident, où ils recyclent leurs dollars et utilisent leurs paradis fiscaux, dans un espace commun à tous les super-riches de la planète, dans un univers post-national authentique).

L’affrontement en Ukraine oppose la Russie aux États-Unis et à leurs alliés (ou vassaux). Cet affrontement est avant tout économique, sous forme de sanctions. En effet la doctrine militaire russe autorise désormais Moscou à user de frappes nucléaires tactiques si l’État russe est menacé. L’engagement de l’OTAN dans une guerre conventionnelle créerait une situation trop dangereuse. L’Ukraine est donc le théâtre d’opérations conventionnelles très localisées. Les Russes, en s’interdisant de mener une vraie guerre conventionnelle, ont satisfait les Occidentaux.

 L’envoi de matériel militaire à l’Ukraine, mais non d’hommes, s’inscrit bien dans la logique de la globalisation : nous avons, dans un premier temps, fait fabriquer ce dont nous avions besoin par les travailleurs des pays à bas salaires ; dans un second temps, nous faisons faire la guerre dont nous avons besoin par un pays à bas coût. Le corps humain ne vaut pas cher en Ukraine.

Dans le cas de la guerre en Ukraine, les sanctions ont surtout élargi à la planète le champ des opérations et donner à la guerre, instantanément, une dimension mondiale et un caractère de lutte à mort entre les États-Unis et la Russie. Pour fonctionner, la sanction doit abolir la neutralité des non-belligérants et obtenir leur participation. Le Reste du monde a convenu d’aider la Russie. L’Occident a découvert qu’on ne l’aimait pas : une terrible blessure narcissique. Le Reste du monde a soutenu la Russie dans son effort pour briser l’OTAN, en achetant son pétrole et son gaz, en lui fournissant les matériels et les pièces détachées dont elle avait besoin pour continuer la guerre et marcher sans trop de mal comme société civile.

L’exploitation mondiale du Reste par l’Occident constitue le contenu sémantique de la vision du Reste, où triment pour des salaires dérisoires hommes, femmes et enfants, d’où cette inclination du Reste pour cette Russie qui ne joue pas le jeu de cette exploitation mondiale mais insiste au contraire pour rester une nation souveraine, une inclination qui manifeste que l’opposition économique entre un Occident exploiteur et un Reste du monde exploité est bien une réalité (il y a aussi le fait que Poutine est contre l’homophobie et la politique du genre et qu’il promeut le christianisme orthodoxe, ce qui séduit de nombreux pays).

Dans cette exploitation, l’Occident a laissé subsister les classes dirigeantes locales, et dans sa stratégie des sanctions, l’Occident a été inconscient que le concret de ces sanctions allait susciter dans les classes supérieures locales du Reste une peur inédite des États-Unis. Si ce sont les travailleurs du bas de l’échelle sociale qui boulonnent pour assurer le confort de l’Occident, les multiples décisions d’aider la Russie n’ont pas été prises par les travailleurs exploités, mais par les groupes dirigeants indiens, turc, saoudien, sud-africain, brésilien, argentin et tant d’autres. On aurait pu s’attendre à ce qu’ils fussent solidaires de l’Occident, où ils recyclent leurs dollars et duquel ils pourraient même s’imaginer faire partie. Les grands hôtels, les paradis fiscaux, les écoles privées américaines et anglaises où les ploutocrates de tous les pays envoient leurs enfants auraient pu, ensemble, délimiter un espace commun à tous les super-riches de la planète, dans un univers post-national authentique. Mais la saisie illégale des avoirs russes à l’étranger a soulevé une vague de terreur parmi les classes supérieures du Reste du monde. En traquant l’argent et les yachts des oligarques russes, les États-Unis (et leurs vassaux) ont, de fait, menacé dans leurs biens tous les oligarques du monde, ceux des grands comme des petits pays. Échapper à l’État prédateur américain est devenu partout une obsession et se dégager de l’empire du dollar devient pour tous un objectif raisonnable. Les sanctions ont en pratique rapproché les peuples du Reste du monde de leurs privilégiés.

En Amérique, c’est l’état zéro de la religion et de l’idéologie, la forme extrême de la postmodernité qu’est le nihilisme, c’est la pauvreté et la mortalité qui s’accroissent, la moralité, l’éthique de travail et le sentiment de responsabilité qui se sont évaporés, les décisions qui ont cessé d’être morales ou rationnelles, le respect des engagements qui devient une chose désuète, l’irrationalité dans la fusion du nihilisme américain avec le nihilisme ukrainien, l’incompréhension de la marche inexorable autant qu’absurde à la guerre, avec une phase pacifiste, suivie d’une phase guerrière, suivie d’une phase un peu moins guerrière, suivie elle-même de la situation actuelle où les États-Unis, avec Trump et Biden, sortent du réel, préférant l’irrationalité, la violence, l’aggravation des conflits et les guerres.

Après la chute de l’URSS, toutes les nations sont inertes, affectées par un mouvement vers un état zéro de la religion et de l’idéologie (c’est pourquoi Poutine veut préserver la Russie d’un engagement total dans la guerre : les Russes sont des individus modernes qui pensent d’abord à leur plaisir et à leur peine, tout en étant, il est vrai, à l’abri de la forme extrême de la postmodernité qu’est le nihilisme).

L’Amérique s’étend vers l’extérieur, alors qu’à l’intérieur la pauvreté et la mortalité s’accroissent. La moralité, l’éthique du travail et le sentiment de responsabilité se sont évaporés. Les décisions ont cessé d’être morales ou rationnelles. Le respect des engagements est considéré comme une chose désuète : trahir devient normal.

 Les dirigeants ne maîtrisent plus la séquence historique, et en particulier ne comprennent pas la marche inexorable autant qu’absurde à la guerre.

 La fusion du nihilisme américain avec le nihilisme ukrainien est la revanche ultime sur la raison en histoire.

 Dans une première phase, les États-Unis acceptent la perspective d’une paix générale, même si Brzezinski considère que la liaison de l’Allemagne et de la Russie est la menace principale et que, pour achever la Russie, il faut arracher l’Ukraine.

 Dans une deuxième phase belliciste, les États-Unis agrandissent l’OTAN, interviennent en Irak, en Afghanistan, en Ukraine (révolution orange).

Avec la crise de 2008 et l’élection de Barak Obama, dans une troisième phase relativement moins belliciste, les États-Unis se retirent l’Irak, les Allemands entraînent les États-Unis en Ukraine en 2014, les États-Unis n’interviennent pas en Crimée et en Syrie.

 Dans la quatrième phase, les États-Unis sortent du réel, Donald Trump est élu, puis Biden. Les États-Unis sont entraînés par les nihilistes ukrainiens. Les États-Unis préfèrent l’irrationalité, la violence, l’aggravation des conflits, les guerres.

L’Occident invente la légende noire de Poutine et de la Russie.

Le 24 février 2022, Poutine lance un défi à l’OTAN. Il laisse transparaître avec un réalisme cruel un rapport de force technique qui lui est favorable.

Le discours aurait mérité d’être discuté, mais s’est imposé la vision d’un Poutine incompréhensible et de Russes soit incompréhensibles, soit soumis, soit idiots.

Ce qui est surprenant, c’est l’irruption d’une guerre en Europe, c’est l’affrontement entre les États-Unis et la Russie et non entre les États-Unis et la Chine, c’est l’investissement de l’Ukraine dans la guerre, c’est la résistance économique de la Russie, c’est l’effondrement de toute volonté européenne autonome, c’est le Royaume-Uni hystériquement antirusse, c’est l’intérêt de la Scandinavie pour la guerre contre la Russie, c’est l’effondrement économique et militaire des États-Unis, c’est l’isolement de l’Occident et c’est la défaite de l’Occident.

La guerre nous fournit beaucoup de surprises. La première est l’irruption de la guerre en Europe, une vraie guerre entre deux États. La deuxième est que l’affrontement est entre les États-Unis et la Russie et non entre les États-Unis et la Chine. La troisième est que l’Ukraine trouve dans la guerre une raison de vivre, une justification de sa propre existence. La quatrième est la résistance économique de la Russie. La cinquième est l’effondrement de toute volonté européenne autonome. La sixième est le surgissement du Royaume-Uni en roquet antirusse. La septième est l’intérêt de la Scandinavie pour la guerre. La huitième est l’effondrement économique et militaire des États-Unis. La neuvième est l’isolement de l’Occident. La dixième est la défaite de l’Occident.

L’État-nation est à la fois wébérien en interne et hobbésien en externe, il est ancré dans une culture et des valeurs communes, il est autonome, il possède une classe moyenne éduquée et différenciée. Il n’y a pas d’État-nation s’il y a un déficit commercial systématique, si les classes moyennes sont détruites, s’il n’y a plus de culture commune, s’il n’y a pas de projet commun, s’il est dirigé par un groupe militaire sans culture, n’ayant comme valeurs que la puissance et la violence, avec une élite atomisée, anomique : un système à grande capacité de nuisance.

Les Russes comme les réalistes américains, qui conçoivent les relations internationales comme une combinaison de rapports de force égoïstes entre États-nations, partagent la représentation d’un monde constitué d’États-nations, détenteurs en interne du monopole de la violence légitime (État wébérien), et survivants dans un environnement extérieur où seul importent les rapports de force (État hobbésien). Ils pensent en termes d’États-nations et de souveraineté. L’État-nation n’est pas juste l’État ou la nation décrite de façon abstraite : c’est un État et une nation, ancrés dans une culture et possédant des valeurs communes. Ils tiennent compte de l’épaisseur anthropologique et historique du monde. Le monde issu des grandes vagues de décolonisation de la seconde moitié du vingtième siècle est organisé en États qui ne pouvaient imaginer autre chose que de devenir des nations.

Le concept d’État-nation présuppose l’appartenance des diverses strates de la population d’un territoire à une culture commune, au sein d’un système politique qui peut être indifféremment démocratique, oligarchique, autoritaire, totalitaire. Pour être applicable, il exige aussi que le territoire en question jouisse d’un degré minimal d’autonomie économique, une autonomie qui n’exclut pas des échanges commerciaux équilibrés.

Un déficit commercial systématique rend le concept d’État-nation caduc puisque l’entité territoriale ne peut survivre que par la perception d’un tribut ou d’une prébende venus de l’extérieur, sans contrepartie.

Un État-nation qui marche correctement suppose par ailleurs une structure de classe spécifique, incluant des classes moyennes comme centre de gravité, donc plus qu’une simple bonne entente entre l’élite dirigeante et la masse. C’est grâce à une hiérarchie urbaine concrète, peuplée d’une classe moyenne éduquée et différenciée, que peut apparaître l’État, système nerveux de la nation. La destruction des classes moyennes a contribué à la désintégration de l’État-nation américain. Partout où la classe moyenne l’emporte numériquement sur les deux extrêmes ensemble ou sur l’un des deux seuls, on peut avoir un gouvernement stable (partout, celui qui inspire le plus de confiance, c’est l’arbitre, et l’arbitre, c’est l’homme qui a une position moyenne).

Sans conscience nationale, par définition, plus d’État-nation. Dans le cas de l’Union européenne, un dépassement de la nation est au cœur du projet. Les États-Unis souffrent de la disparition d’une culture nationale partagée par la masse et les classes dirigeantes : c’est l’implosion par étapes de la culture blanche, anglo-saxonne et protestante. Les États-Unis sont un empire privé de centre et de projet, un organisme essentiellement militaire dirigé par un groupe sans culture (au sens anthropologique) qui n’a plus comme valeurs fondamentales que la puissance et la violence. Ce groupe des néoconservateurs est assez étroit mais se meut dans une classe supérieure atomisée, anomique, et il a une grande capacité de nuisance géopolitique et historique.

Une défaite en Ukraine peut ne pas être acceptée par l’espace mental des États-Unis d’aujourd’hui.

L’évolution sociale des pays occidentaux induit un rapport difficile des élites à la réalité, un espace mental nouveau qu’il faut définir.

Si on prend en compte que le système américain est devenu tout à fait autre chose qu’un État-nation, que le niveau de vie des Américains dépend d’importations que des exportations ne couvrent plus, que l’Amérique n’a plus de classe dirigeante nationale au sens classique, qu’elle n’a même plus de culture centrale bien définie mais qu’y subsiste une gigantesque mécanique étatique et militaire, il faut considérer qu’il peut y avoir d’autres issues que le simple repli d’un État-nation qui assumerait une énième défaite en Ukraine, par Ukrainiens interposés, après ses retraits du Vietnam, d’Irak et d’Afghanistan, il se peut que la question ukrainienne soit existentielle pour les États-Unis.

Les États-Unis ne sont pas un État impérial (« l’Occident collectif ») ni un État bas-impérial (il y a la vitesse des évolutions, l’existence d’Internet, l’existence de nations géantes et la disparition du substrat chrétien), mais plutôt un État post-impérial (comme il n’y a plus de culture porteuse d’intelligence, on a des actions irréfléchies et contradictoires, avec une expansion en phase de contraction de base industrielle).

Les États-Unis ne sont pas un État impérial, un système impérial pluraliste, avec un Occident collectif au sein duquel les Européens ne sont que des vassaux. En effet, il n’y a pas un centre dominant, censé posséder une culture commune des élites ainsi qu’une vie intellectuelle raisonnable, et une périphérie dominée.

Les États-Unis ne sont pas un État bas-impérial. Rome en décadence, en improvisant une première globalisation, avait liquidé sa classe moyenne par l’afflux massif de blé, de produits manufacturés et d’esclaves qui avait détruit la paysannerie et l’artisanat, comme la classe ouvrière américaine a succombé à l’afflux de produits chinois, d’où une société polarisée entre une plèbe économiquement inutile et une ploutocratie prédatrice. Mais il y a l’existence d’Internet, la vitesse des évolutions incomparables et la présence autour des États-Unis de ces nations géantes que sont la Russie et la Chine, et surtout, il y a la disparition complète du substrat chrétien qui avait fait la force économique de l’Occident, disparition qui explique la pulvérisation des classes dirigeantes américaines et les turbulences mondiales actuelles.

Les États-Unis et leurs dépendances constituent un État post-impérial : si l’Amérique conserve la machinerie militaire de l’empire, elle n’a plus en son cœur une culture porteuse d’intelligence et c’est pourquoi elle se livre en pratique à des actions irréfléchies et contradictoires telles qu’une expansion diplomatique et militaire accentuée dans une phase de contraction massive de sa base industrielle (une guerre moderne sans industrie est un oxymore).

La hausse de la mortalité américaine et les dollars qui courent vers Kiev sont caractéristiques de la tendance irréversible vers le post-impérialisme, vers la disparition de la moralité sociale et du sentiment collectif, vers la désintégration du cœur du système face à l’expansion centrifuge.

Les États-Unis étaient un État-nation géant dans leur phase impériale positive des années 1945-1990 face à l’URSS. Les processus fondamentaux ne sont pas réversibles : la séquence stade national, puis impérial puis post-impérial n’est pas réversible, de même que la séquence extinction religieuse, disparition de la moralité sociale et du sentiment collectif n’est pas réversible, de même que la séquence expansion géographique centrifuge, désintégration du cœur originel du système n’est pas réversible. La hausse de la mortalité américaine et les milliards de dollars qui courent vers Kiev sont caractéristiques de ces processus irréversibles.

L’état religieux zéro conduit à une pulsion de destruction des choses et des hommes (l’amoralisme découlant d’une absence de valeurs) et à une pulsion de destruction de la vérité, l’interdiction de toute description raisonnable du monde.

En 2002, en utilisant des représentations rationalisantes de l’histoire et de l’activité des États, on pouvait supposer aux États-Unis un objectif de puissance rationnel, interprétant l’agitation diplomatique et militaire des États-Unis comme un micro-militarisme théâtral, visant à donner, pour un coût raisonnable, l’impression que l’Amérique était indispensable au monde après la chute de l’Union soviétique. Certes, le niveau de vie, la force du dollar, les mécanismes d’exploitation, les rapports de force militaires objectifs constituent un univers à peu près rationnel en surface, et de ce point de vue la question du niveau de vie américain et du risque que lui fait courir un effondrement systémique est importante.

Mais l’hypothèse exclusive d’une raison raisonnable doit être abandonnée pour intégrer ce qui est irrationnel en l’homme, notamment ses besoins spirituels. L’homme s’est efforcé de trouver au mystère de sa condition et à son caractère difficilement acceptable une solution religieuse. L’état religieux zéro va produire dans certains cas une déification du vide, un nihilisme, c’est-à-dire, d’une part, une pulsion de destruction des choses et des hommes, d’autre part, la destruction de la notion de vérité, l’interdiction de toute description raisonnable du monde, ce qui rejoint l’amoralisme découlant d’une absence de valeurs (l’acception la plus commune du mot). Pour un scientifique, les deux couples que forment le bien et le mal, le vrai et le faux se confondent.

Le système occidental actuel aspire à représenter la totalité du monde et ne reconnaît plus l’existence d’un autre légitime, il cesse par conséquent d’exister. La Russie, par contre, pense en termes de souveraineté et d’équivalence des nations : tenant compte de l’existence de forces hostiles, elle peut assurer sa cohésion sociale.

Le réalisme stratégique des États-nations n’a pas compris que l’Occident n’est plus constitué d’États-nations. La mentalité post-impériale, émanation d’un empire en désintégration, est imperméable à l’idée de souveraineté nationale. Aucune de ces deux mentalités ne saisit toute la réalité, mais les prises sur la réalité de l’une de l’autre ne sont pas équivalentes et l’asymétrie joue en faveur de la Russie.

Les groupes humains n’existent pas en eux-mêmes, mais toujours par rapport à d’autres groupes humains équivalents. Les titres de concitoyens et des compatriotes tombent en désuétude et perdent leur signification s’ils ne s’opposent pas à ceux d’étrangers et d’halogènes. Nous aimons les individus pour leurs qualités personnelles, mais nous aimons notre pays en tant qu’il est un parti dans les divisions de l’humanité. La moralité interne d’une société a un rapport avec son immoralité externe. C’est l’hostilité à un autre groupe qui fait qu’on est solidaire du sien. On donne à la multitude d’un peuple le sentiment d’union grâce à l’hostilité envers ceux qui s’opposent à lui. Si on éteint l’émulation qui est excitée de l’étranger, on brise ou affaiblit les liens sociaux chez soi et on ferme l’activité et les vertus nationales.

Le système occidental actuel aspire à représenter la totalité du monde et ne reconnaît plus l’existence d’un autre. Si l’on ne reconnaît plus l’existence d’un autre, légitime, on cesse d’exister soi-même. La force de la Russie et de penser en termes de souveraineté et d’équivalence des nations : tenant compte de l’existence de forces hostiles, elle peut assurer sa cohésion sociale.

Les déséquilibres internes de l’Occident, sa crise, ses illusions, ses mirages, ses leurres statistiques, ses manquements des médias, ses mensonges d’État, ses délires complotistes, sa violence deviennent des menaces pour la stabilité du monde.

Partant d’une action militaire de la Russie, nous découvrirons la crise de l’Occident.

Si l’analyse de la dynamique sociale russe est simple, l’examen de l’Europe, du Royaume-Uni et plus encore des États-Unis nous fera affronter illusions, reflets et mirages : nous découvrirons des déséquilibres internes d’une ampleur telle qu’ils en deviennent des menaces pour la stabilité du monde.

. Nous devrons admettre que la guerre, expérience de la violence et de la souffrance, royaume de la sottise et de l’erreur, est aussi un test de réalité : l’idéologie, les leurres statistiques, les manquements des médias, les mensonges des États et les délires du complotisme perdent leur pouvoir et une vérité simple apparaît : la crise occidentale est le moteur de l’histoire.

La stabilité russe se caractérise par les taux de décès par alcoolisme, de suicide, d’homicides, de mortalité infantile, de corruption, par les exportations de produits agricoles, de centrales nucléaires, par des champions nationaux d’Internet, par un système de messagerie financière russe et un système national de cartes de paiement, par le protectionnisme, par le rôle central de l’État, par le soutien populaire au régime même s’il y a des restrictions aux libertés (démocratie autoritaire), par la mise au pas de l’élite et l’attention extrême aux revendications ouvrières, par la liberté de circulation, par le nombre d’ingénieurs. La faiblesse de la Russie est sa basse fécondité. L’auteur ne fait pas la différence entre l’époque stalinienne, démonisée, et l’époque kroutchévienne : il n’y a pas de profondeur historique informée.

Entre 2000 et 2020, les taux de décès par alcoolisme, de suicides, d’homicides, de mortalité infantile et de corruption baissent, le niveau de vie s’élève, le taux de chômage baisse. La Russie atteint l’autosuffisance alimentaire, devenant un des plus grands exportateurs de produits agricoles (céréales, oléagineux, viande). Les importations de produits alimentaires sont divisées par deux. La Russie est le premier exportateur de centrales nucléaires. La Russie s’appuie sur des champions nationaux présents dans tous les segments de l’Internet, tout en restant ouverte aux solutions occidentales (il y a une concurrence véritable entre les Gafa et leurs équivalents locaux). Les accords de Minsk ont été signés en vue d’être prêt à affronter un régime de sanctions maximal, avec mise en place d’un système de messagerie financière russe, un système national de cartes de paiement et un système de paiement par carte. La principale mesure de protection de l’industrie et de l’agriculture a été la très forte dépréciation du rouble, puis, avec les sanctions, le protectionnisme, qui oblige à trouver des substituts aux importations. L’appareil d’État reste central, étant donné l’importance des ressources énergétiques. La Russie est une démocratie (soutien populaire au régime) autoritaire (non-respect des droits des minorités, restrictions aux libertés de la presse et de divers groupes de la société civile). Malgré le rôle central de l’État, il y a un attachement viscéral à l’économie de marché. Si Poutine a mis au pas la haute élite, il porte une attention extrême aux revendications ouvrières, cherchant à affermir le soutien à son régime dans les milieux populaires. Poutine est attaché à la liberté de circulation : les Russes ont le droit de sortir de Russie, même en temps de guerre.

Mieux et plus qu’un PIB, une économie est une population qui travaille avec ses différents niveaux de formation et ses types de compétence. La Russie forme plus d’ingénieurs que les États-Unis, malgré la disproportion des populations (il est vrai que les États-Unis importent des ingénieurs et des scientifiques).

Il y a un rapport entre l’émergence de classes moyennes éduquées et le développement de tendances libérales, voire libertaires.

Le facteur déclenchant de la chute du communisme soviétique a été l’émergence d’une classe moyenne éduquée supérieure.

Le passage d’un seuil de 50 pour cent d’hommes alphabétisés engendre dans le monde anglo-américain un libéralisme pur aux dix-septième et dix-huitième siècles, en France un libéralisme égalitaire à partir du dix-huitième siècle, en Allemagne la social-démocratie et le nazisme aux dix-neuvième et vingtième siècles, en Russie le communisme. L’accession à l’enseignement supérieur de 20 à 25 pour cent d’étudiants par génération entraîne l’effritement des idéologies primaires associées au stade de l’alphabétisation de masse. Le rapport au texte écrit et à l’idéologie devient plus critique, les paroles cessent d’être transcendantes. La Russie atteint ce seuil entre 1985 et 1990 (les États-Unis vers 1965).

Il y a un lien entre le communisme et la famille communautaire paysanne. Ce type familial, patrilinéaire, rassemblant le père et ses fils mariés dans une exploitation agricole, véhicule des valeurs d’autorité (du père sur les fils) et d’égalité (des frères entre eux). Le principe patrilinéaire se perpétue symboliquement par le système des trois noms : prénom, nom du père, nom de famille. L’abolition du servage, l’urbanisation et l’alphabétisation affranchissent l’individu de l’étouffante famille communautaire. L’individu libéré cherche dans le parti, dans l’économie centralisée, dans le KGB, des substituts à la puissance paternelle. Les valeurs d’autorité et d’égalité ne peuvent s’éteindre en quelques années à peine.

L’Amérique d’Eisenhower était consciente d’une spécificité russe, d’un pays au tempérament communautaire pour ne pas dire communiste. Régnait alors dans les esprits l’idée que le monde n’était pas homogène. Régnait une tolérance à la diversité qui reposait sur un tempérament américain pluraliste mis en forme par une école d’anthropologie raisonnable. Les États-Unis ont connu un temps le maccarthysme, paranoïa universaliste, mais, à partir de 1960, l’intolérance se déploie, actuellement dans toute sa splendeur avec les néoconservateurs, ces héritiers triomphalistes du maccarthysme. La Russie est vue en termes généraux. Il y a un refus de tenir compte de l’existence d’une culture russe, avec l’existence d’un État fort, avec l’acceptation d’une certaine forme d’autoritarisme et d’aspiration à l’homogénéité sociale, avec très peu d’individualisme.

Les inégalités sont importantes. Les oligarques russes, contrairement aux oligarques américains, ont renoncé à intervenir dans le système politique.

La faiblesse fondamentale de la Russie est sa basse fécondité. La Russie a choisi de faire une guerre lente pour économiser les hommes. La nouvelle doctrine, tenant compte de la pauvreté en hommes, autorise des frappes nucléaires tactiques si la nation et l’État russes sont menacés. Les Russes ont cinq ans pour terminer la guerre.

En ce qui concerne l’Ukraine, l’auteur parle du coup d’État de Maidan, « selon les Russes » et de l’Olodomor comme fait historique. Il ne parle pas des révolutions de 2014 en Crimée et dans l’est de l’Ukraine, ni de leur répression par le régime de Kiev. Il n’est pas conscient que, dans un régime formellement démocratique, il suffit de très peu de nazis bandéristes, armés et payés par les États-Unis, pour contrôler la politique et l’armée. En ce qui concerne l’Europe de l’Est, l’auteur reprend la mythologie historique sur Katyn et il utilise la notion fourre-tout de totalitarisme. Pour lui, le communisme sur le plan politique se révèle plus violent que certaines des dictatures de l’entre-deux-guerres. Même l’histoire de l’Ukraine depuis 2014 n’est pas informée.

L’auteur parle du coup d’État de Maidan, « selon les Russes » et de l’Olodomor comme fait historique. Il ne parle pas des révolutions de 2014 en Crimée et dans l’est de l’Ukraine, ni de leur répression par le régime de Kiev.

L’auteur distingue une Ukraine occidentale, assez rurale, de famille nucléaire très nette, structurée par des traditions religieuses gréco-catholiques, foyer traditionnel du nationalisme (Ukraine ultranationaliste), une Ukraine centrale de religion orthodoxe, de famille nucléaire assortie d’une parenté patrilinéaire faible, de tempérament certes individualiste, qui mais qui n’a jamais réussi à accoucher d’un État (Ukraine anarchique), une Ukraine russophile, que ses classes moyennes ont déserté, qui n’a plus de forme, malgré son fonds anthropologique nucléaire et patrilinéaire fort (Ukraine anomique). L’Ukraine ultranationaliste est surreprésentée au sein des élites politiques, l’Ukraine anarchique est surreprésentée dans l’élite militairo-policière.

L’auteur note le silence des dirigeants, des journalistes et des universitaires sur le fait d’arborer des insignes SS. Ce silence dit quelque chose de terrible sur notre état moral alors que nous nous gargarisons de célébrations mémorielles.

Pour l’auteur, le nazisme sans l’antisémitisme, ça n’existe pas. Ce qui caractérise l’Ukraine, ce n’est pas l’antisémitisme mais la russophobie.

Le protestantisme alphabétise et donc favorise l’essor économique. Le protestantisme considère les hommes comme inégaux (les élus et les damnés) et par son exigence de traduction de la Bible en langue vernaculaire, contribue à la formation des cultures nationales. Le protestantisme autoritaire correspond à la famille souche, le protestantisme est libéral par la famille nucléaire absolue. Le catholicisme du Bassin parisien, contiguë au protestantisme, est libéral du fait de la famille nucléaire égalitaire.

Il y a un lien entre le protestantisme et l’essor économique de l’Europe. Le protestantisme alphabétise par principe les populations qu’ils contrôlent parce que tous les fidèles doivent accéder directement aux écritures saintes. Or, une population alphabétisée capable de développement technologique et économique. La religion protestante à modeler une force de travail supérieurement efficace.

La France est le pays catholique qui, par effet de contiguïté, a réussi à se maintenir dans la sphère la plus développée de l’Occident.

 Selon la doctrine de la prédestination, il y a des élus et des damnés. Les hommes ne sont donc pas égaux. Ceci s’oppose à l’idée catholique ou orthodoxe d’une fondamentale égalité des hommes, lavés du péché originel par le baptême.

Luther et ses disciples, en exigeant que la Bible soit traduite en langue vernaculaire, ont contribué à la formation de cultures nationales et d’États puissants, guerriers, conscients d’eux-mêmes. Les peuples, à force de trop lire la Bible, se croient élus de Dieu.

Les formes autoritaires de protestantisme s’expliquent surtout par des prédispositions anthropologiques. La famille souche allemande ressemble à la famille communautaire russe. Un seul des fils est appelé à cohabiter avec le père, et non tous les fils comme en Russie, mécanisme qui produit un ordre social plus stable. Aucune égalité des frères ne le ronge, aucune association des frères contre le père ne le menace, aucune aspiration révolutionnaire radicale contre le tsar ou Dieu ne peut l’abattre.

 L’Angleterre protestante s’est, à l’opposé, distinguée par l’épanouissement de la liberté, celle du Parlement et celle de la presse. La famille nucléaire absolue ne fait jamais cohabiter plus qu’un couple et ses enfants, lesquels quittent leurs parents dès l’adolescence, envoyés comme domestiques dans d’autres familles. Un tel système prépare les individus à la liberté, il leur insuffle même un inconscient libéral, que les colons anglais exportent en Amérique. En France, dans le Bassin parisien, la famille nucléaire est égalitaire, puisque frères et sœurs sont égaux devant l’héritage, tandis que dans le monde anglo-saxon cette règle d’égalité entre les enfants n’existe pas. Le fond nucléaire peut nourrir un libéralisme instinctif.

Les États-Unis peuvent très tôt surmonter l’absence de principe égalitaire dans la vie familiale grâce à une fixation de l’idée d’infériorité sociale sur les Indiens et sur les Noirs, mais d’égalité des Blancs entre eux se révèle un principe moins solide que l’égalité des hommes en général.

L’Occident a un libéralisme qui protège en priorité la minorité riche : c’est une oligarchie. Les classes éduquées supérieures se pensent supérieures et passent leur temps de travail, non à penser le monde, mais à tromper les classes de niveau primaire ou secondaire, qui en retour se méfient. Le christianisme devient un christianisme zombie, avec des croyances de substitution (l’État-nation, le communisme, le nazisme, etc.) qui organisent et structurent les individus. Vient un moment où les mœurs et les valeurs héritées du religieux disparaissent, laissant place à des individus privés de toute croyance collective : l’État-nation se désintègre, la globalisation triomphe, les sociétés sont atomisées, l’éthique du travail, la moralité sociale contraignante, la capacité de sacrifice pour la collectivité disparaissent. Nous sommes incapables de penser par nous-mêmes, tout en étant capables d’intolérance. Il n’y a plus de conscience, de surmoi, d’idéal du moi qui permettent de s’élever au-dessus des désirs immédiats pour être plus que soi-même. Le rien, le néant, produit des réactions admirables, stupides ou abjectes.

L’Occident est libéral puisqu’il protège les minorités. La minorité la mieux protégée en Occident est la minorité des riches. Nous avons donc non une démocratie libérale mais une oligarchie libérale.

Formellement, on a toujours une démocratie libérale, nantie du suffrage ni universel, du Parlement et parfois d’un président élu et d’une presse libre. Les mœurs démocratiques, par contre, ont disparu. Les classes supérieurs se pensent intrinsèquement supérieures et les élites se refusent à représenter le peuple, se refusant à des comportements qualifiés de populistes. Le peuple doit être tenu à l’écart de la gestion économique et de la répartition de la richesse, en un mot : trompé. C’est du travail pour la classe politique, c’est même devenu le travail auquel elle se consacre en priorité. De là l’hystérisation des problèmes raciaux ou ethniques et les bavardages sans effet sur des sujets pourtant sérieux : l’écologie, le statut des femmes ou le réchauffement climatique. Tout cela a un rapport négatif avec la géopolitique, la diplomatie et la guerre. Accaparés par leur nouveau métier – gagner des élections qui ne sont plus que des pièces de théâtre et demandent, comme le vrai théâtre, des compétences spécifiques et du travail –, les membres des classes politiques occidentales n’ont plus le temps de se former à la gestion des rapports internationaux. Habitués à triompher chez eux des moins éduqués, laborieusement mais le plus souvent avec succès (c’est leur boulot), se pensant par là-même confirmés dans leur supériorité intrinsèque, ils se trouvent en présence de vrais adversaires, qu’ils n’impressionnent guère et qui ont eu le temps de penser le monde et n’ont pas eu à dépenser autant d’énergie dans la préparation des élections russes ou dans les rapports de force internes au parti communiste chinois. Nous commençons à apercevoir la réelle infériorité technique de Biden ou de Macron face à Poutine ou Xi Jinping.

La nouvelle stratification éducative a créé des éduqués supérieurs qui méprisent les éduqués de niveaux primaires et secondaires, lesquels, en retour, se méfient d’eux. La dégénérescence des démocraties libérales ne se résume cependant pas à une guerre du haut de la société contre le bas.

 La stratification éducative a fait exploser les croyances et des forces collectives. Le christianisme a été la matrice religieuse originelle de toutes nos croyances collectives ultérieures (la nation, la classe, le socialisme, le communisme, le gaullisme, le travaillisme, le conservatisme, la social-démocratie, le nazisme, la démocratie chrétienne). L’affaissement de la pratique et de l’encadrement religieux amène à un premier état, zombie, de la sécularisation, dans lequel l’essentiel des mœurs et des valeurs de la religion disparue subsistent, notamment l’aptitude à l’action collective. Apparaissent les croyances de substitution, généralement des idéologies politiques fortes qui organisent et  structurent les individus comme le faisait la religion. Les sociétés restent cohérentes et capables d’action. L’État-nation est typiquement la manifestation d’un état zombie de la religion. L’État-nation est une religion nationale et ses pasteurs sont des fonctionnaires.

Arrive enfin le moment où les mœurs et les valeurs héritées du religieux s’étiolent ou explosent, et disparaissent enfin. Apparaît le vide religieux absolu, avec des individus privés de toute croyance collective de substitution. Un état zéro de la religion. C’est à ce moment-là que l’État-nation se désintègre et que la globalisation triomphe, dans des sociétés atomisées où l’on ne peut même plus concevoir que l’État puisse agir efficacement. L’état religieux zéro fait disparaître le sentiment national, l’éthique du travail, la notion d’une moralité sociale contraignante, la capacité de sacrifice pour la collectivité, toutes ces choses dont l’absence fait la fragilité de l’Occident dans la guerre.

L’individu ne peut être grand que dans une communauté et par L. Nous devenons une multitude de nains mimétiques qui n’osent plus penser par eux-mêmes – mais se révèle quand même tout aussi capable d’intolérance que les croyants d’autrefois.

Les croyances collectives ne sont pas seulement des idées que partagent des individus et qui leur permettent d’agir ensemble. Elles les structurent. En leur inculquant des règles morales approuvées par d’autres, elles les transforment. Cette société à l’œuvre à l’intérieur même de l’individu, c’est la conscience qui implique l’existence des autres (écouter sa conscience, faire son examen de conscience), c’est le surmoi, l’idéal du moi, qui permet à l’individu de s’élever au-dessus de ses désirs immédiats, pour être mieux et plus que lui-même. L’état religieux zéro traduit un vide, une déficience du surmoi. Il définit du rien, du néant, mais pour un être humain qui malgré tout ne cesse pas d’exister et continue d’éprouver l’angoisse de la finitude humaine. Ce rien, ce néant, va donc quand même produire quelque chose, une réaction, dans toutes les directions : certaines admirables, d’autres stupides, d’autres abjectes. Le nihilisme, qui idolâtre le rien, semble la plus banale des réactions.

Les élites européennes construisent l’Europe avec des mots, enfumant les peuples. L’irruption du réel de la guerre provoque chez eux les sanctions, qui rendent la guerre mondiale, que seuls en Occident les États-Unis peuvent affronter : c’est la fin de l’Europe. Peu importe l’inflation, elle ne touche que les pauvres. Il y a aussi leur nihilisme économique, avec la destruction de l’industrie, leur moralité zéro, avec l’agression militaire contre la Russie et leur pulsion suicidaire, espérant la fin de la construction européenne moribonde (provisoirement, la guerre donne du sens à cette construction européenne), avec la renonciation du géant allemand à la puissance et la renonciation des élites européennes à la liberté. Les élites européennes n’ont pas compris que le moteur du projet européen était la dissolution des nations, avec des citoyens apathiques et atomisés, des élites irresponsables et la destruction de l’industrie. L’Allemagne s’est révélée plus résistante, car la famille souche, autoritaire et inégalitaire, conserve des habitudes mentales de discipline, de travail et d’ordre. Privée de conscience, la société allemande devient une machine à produire. C’est l’obsession de l’adaptation industrielle qui implique de compenser l’atonie démographique par un afflux massif d’immigrés. Dans le courant des années 2000, l’Allemagne agit comme une société machine, résolvant des problèmes économiques séparément les uns des autres sans que la guide la notion de véritable destin national. En 2012, elle entre dans un partenariat énergétique étroit avec la Russie (ce que les États-Unis ne veulent pas), tout en comptant sur les États-Unis pour la protéger militairement. Cette combinaison d’actes désordonnés caractérise une société dépourvue d’une conception globale de ce qu’elle fait. A partir de 2000, l’Allemagne n’est plus une nation active (l’idéal national s’est évaporé, mais le peuple subsiste), elle est une nation inerte qui, hors de toute conscience d’elle-même, continue sur une trajectoire, avec une obsession économique. Dans la culture souche les individus sont sécurisés par la présence au dessus d’eux d’une autorité quelconque, et les chefs, que ne surplombe plus aucune autorité rassurante, ressentent un malaise qui n’est pas trop grave si le pays n’est pas très puissant (il y aura un parrain extérieur), mais qui est grave si le pays commence à dominer. L’inégalité des frères entre eux mute en inégalité des hommes et des peuples. L’autorité du père sur les fils devient droit de domination sur les peuples faibles : mon pays est supérieur à tous les autres et ces autres doivent obéir. La nation souche, puissance industrielle dominante perd le contact avec la réalité, ce qui peut se traduire par la perte de self-control des chefs, ou bien par le renoncement à défendre les intérêts du pays, le renoncement, l’aspiration à la soumission, exprimant la difficulté d’être un chef en système souche quand il n’y a pas de conscience nationale et donc de principe directeur d’action (d’anxieux, le dirigeant souche devient passif). L’atomisation sociale produit de la passivité chez les dominés, de l’activisme chez les dominants. Il est possible que la passivité (faire semblant de faire la guerre) soit supérieure à la fébrilité.

L’Europe se trouve engagée dans une guerre contraire à ses intérêts, autodestructrice. L’union européenne disparaît derrière l’OTAN. L’axe Berlin Paris est supplanté par un axe Londres Varsovie Kiev piloté de Washington, renforcé par les pays scandinaves et baltes devenus des satellites directs de la Maison-Blanche et du Pentagone. En Europe, les responsables politiques, les journalistes, les universitaires construisaient l’Europe avec des mots, en enfumant leurs peuples. L’irruption du réel provoqua immédiatement chez eux une réaction absurde, les sanctions.

Ils ont été incapables de prévoir que les sanctions rendaient la guerre mondiale. Seuls, du côté occidental, les États-Unis pouvaient mener une guerre mondiale. Les sanctions signaient la fin de l’Europe. Le caractère autodestructeur des sanctions se traduit par une hausse des taux d’inflation en Europe. Pour la tranquillité d’esprit oligarchique et libérale, ce sont les faibles qui souffrent de l’inflation de guerre.

 Mais aussi, l’industrie est menacée. Le solde commercial de la zone euro passe d’une valeur positive à une valeur négative. Il faut payer aussi la fermeture des filiales européennes en Russie. C’est du nihilisme économique.

Malgré le sabotage de Nord Stream, les Allemands et les Français envoient des armes en Ukraine. L’Europe supporte le poids économique principal de la guerre, une guerre dont l’objectif officiel est moralement douteux. Poutine ne fait peser aucune menace sur l’Europe occidentale, sachant ne pas avoir les moyens démographiques et militaires d’une expansion vers l’ouest. La Russie mène une guerre défensive contre un monde occidental offensif, l’Europe de la paix. Cela montre en Europe occidentale une moralité zéro.

L’Europe est poussée par la conscience que le projet européen est mort. Un sentiment de vide sociologique et historique envahit nos élites et nos classes moyennes. Poutine redonne du sens à la construction européenne : l’union européenne avait besoin d’un ennemi extérieur pour se ressouder et repartir de l’avant. Ce discours cache le fait que l’union est une usine à gaz, ingérable et irréparable, avec des institutions qui tournent à vide, une monnaie unique entraînant des déséquilibres internes irréversibles. La réaction de l’Europe manifeste une pulsion suicidaire, l’espoir inavouable que cette guerre sans fin fasse tout exploser. Nos élites pourraient alors se défausser sur la Russie. Leur obscur désir serait que la guerre débarrasse l’Europe d’elle-même. Poutine serait leur sauveur, un Satan rédempteur.

Les États-Unis, affaiblis, ridicules, inquiétants, dispense à l’Union européenne une mort militairement assistée.

Le suicide européen se manifeste par la renonciation du géant allemand à la puissance et par la renonciation des élites européennes à la liberté.

L’Allemagne de 2007 pouvait jouer le rôle de leader en Europe et se distinguer des États-Unis lors de la guerre d’Irak. Sa dégringolade morale et politique se produit en même temps que celle de toutes les autres nations européennes. Les dirigeants n’ont pas compris que le moteur sociologique profond du projet européen était la dissolution spontanée des nations, avec des agrégats atomisés, peuplé de citoyens apathiques et d’lit irresponsable. Le premier nihilisme européen a pris la forme d’une négation des peuples et des nations et d’un démantèlement des appareils industriels périphériques.

L’Allemagne s’est révélée plus résistante, car la famille souche, autoritaire et inégalitaire, conserve des habitudes mentales de discipline, de travail et d’ordre. Mais l’Allemagne ne sort pas indemne du processus, qui prend la forme singulière de l’obsession de l’efficacité économique pour elle-même. Privée de conscience, la société allemande devient une machine à produire. C’est l’obsession de l’adaptation industrielle qui implique de compenser l’atonie démographique par un afflux massif d’immigrés. Dans le courant des années 2000, l’Allemagne agit comme une société machine, résolvant des problèmes économiques séparément les uns des autres sans que la guide la notion de véritable destin national. En 2012, elle entre dans un partenariat énergétique étroit avec la Russie (ce que les États-Unis ne veulent pas), tout en comptant sur les États-Unis pour la protéger militairement. Cette combinaison d’actes désordonnés caractérise une société dépourvue d’une conception globale de ce qu’elle fait.

A partir de 2000, l’Allemagne n’est plus une nation active (l’idéal national s’est évaporé, mais le peuple subsiste), elle est une nation inerte qui, hors de toute conscience d’elle-même, continue sur une trajectoire, avec une obsession économique.

Alors que dans un pays de culture individualiste, arriver au pouvoir est une apothéose (l’individu chef, c’est l’individu réalisé, absolu, heureux d’être chef), dans la culture souche de type allemand on japonais les individus placés à tous les niveaux de la hiérarchie sont sécurisés par la présence au dessus d’eux d’une autorité quelconque, et les chefs, que ne surplombe plus aucune autorité rassurante, ressentent un malaise qui n’est pas trop grave si le pays n’est pas très puissant (il y aura un parrain extérieur), mais qui est grave si le pays commence à dominer son environnement. L’inégalité des frères entre eux mute en inégalité des hommes et des peuples. L’autorité du père sur les fils devient droit de domination sur les peuples faibles : mon pays est supérieur à tous les autres et ces autres doivent obéir.

Alors que dans la famille communautaire russe ou chinoise l’autoritarisme est corrigé par l’égalitarisme (l’inégalité des frères devient égalité des hommes et des peuples, selon l’universalisme communiste ou le souverainisme généralisé qui propose la vision d’un monde multipolaire où chaque pôle est égal aux autres, autoritaire dans sa sphère), la nation souche, première puissance industrielle, dominante, dominatrice, perd le contact avec la réalité. La perte de self-control des hommes placés au sommet de la pyramide peut être qualifiée de mégalomanie structurellement induite par la société souche.

Cela ne s’est pas produit. Les élites allemandes ont renoncé à défendre dans l’immédiat les intérêts de leur pays. On a l’impression d’observer en action, en inaction plutôt, la classe dirigeante d’une société souche naine, secondaire, qui refuse l’autonomie et qui aspire à la soumission. La véritable raison de ce refus de grandir tient à la difficulté d’être un chef en système souche quand il n’y a pas de conscience nationale et donc de principe directeur d’action. D’anxieux, le dirigeant souche devient passif. Dans les sociétés individualistes et dominantes avec absence de projet national, résultant d’un vide, d’une décomposition des forces collectives, la réaction n’est pas la passivité, mais un activisme fébrile, manœuvré par des bandes plutôt que par des chefs de parti structurés par des doctrines : l’atomisation sociale produit de la passivité chez les dominés, de l’activisme chez les dominants. Il est possible que la passivité (faire semblant de faire la guerre) est supérieure à la fébrilité.

En Occident, les peuples ne comptent plus, aussi bien par la faute des élites que parce que, rendus anomiques par un état religieux et idéologique zéro, aucune action collective ne peut plus les mobiliser. Les dirigeants sont des robots pilotés de l’extérieur. Depuis 1960, le dollar est une monnaie d’échange à l’échelle internationale. Les riches oligarques thésaurisent en dollars, plaçant dans des paradis fiscaux anglo-saxons contrôlés par les États-Unis, perdant ainsi leur autonomie mentale et stratégique, ce qui explique leur soumission, leur servilité. Les États-Unis en déclin ont besoin des capacités industrielles de leurs derniers protectorats, qu’ils contrôlent étroitement.

Le traité de Lisbonne, qui remet en cause les référendums néerlandais et français, marque un renforcement du principe oligarchique en Europe. Les peuples ne comptent plus, pas seulement par la faute des élites, mais parce que, rendus anomiques par un état religieux et idéologique zéro, aucune action collective ne peut plus les mobiliser.

La guerre d’Ukraine révèle que personne en Europe n’a de pensée ni d’action autonomes. Les dirigeants se transforment en robots pilotés de l’extérieur. Cette robotisation s’explique parce que l’Europe, simultanément oligarchique et anomique, est envahie par les mécanismes souterrains de la globalisation financière, phénomène dirigé et contrôlé par les États-Unis.

Dans un système oligarchique, économique autant que politique, la richesse s’accumule en haut de la structure sociale. Cette richesse doit aller quelque part. Comment mettre son argent à l’abri et le faire travailler ? L’un des phénomènes fondamentaux des dernières décennies a été l’extension du dollar comme monnaie refuge et des paradis fiscaux sous contrôle américain comme lieu de refuge des avoirs européens.

L’émergence du dollar comme monnaie d’échange à l’échelle internationale, en dehors du territoire américain, remonte aux années 1960. La banque d’Angleterre commence par autoriser les banques établies dans la City à utiliser le dollar comme monnaie et à consentir des prêts dans cette devise. Le Trésor américain perd certes son contrôle exclusif et direct mais la sphère d’action des États-Unis s’étend. A la fin des années 1960, plus d’une centaine de filiales de banques étrangères opèrent dans la City. L’eurodollar est en fait un dollar « monnaie du monde ». La monnaie de l’État américain devient l’instrument de réserve et de spéculation de tous les riches de la planète, et l’État américain, de fait, l’État de tous les riches du monde. Les vrais riches perdent la confiance dans l’euro et préfèrent thésauriser en dollars, et la conversion en dollars des avoirs des riches soutient la valeur du dollar. Les paradis fiscaux sont tous soumis à des degrés divers aux États-Unis (à partir de 1980, le placement en Suisse de l’argent des riches diminue) : briser la Suisse est essentiel pour tenir les oligarchies européennes). Le contrôle final est totalement américain. Avec la création de sociétés-écrans enchâssées les unes dans les autres, les paradis fiscaux édifient un monde invisible mais partie non négligeable du monde réel. Si une grande partie de l’argent des riches européens fructifie sous l’œil bienveillant d’autorités supérieures situées aux États-Unis, on peut considérer que les classes supérieures européennes ont perdu leur autonomie mentale et stratégique.

Mais le pire, leur surveillance par la NSA, reste à venir. Internet a d’abord incarné un rêve de liberté, suscitant un sentiment grisant : liberté de rencontrer des personnes auxquelles auparavant on n’aurait jamais pu parler, liberté de circulation de l’information, liberté d’envoyer des photos d’un bout à l’autre de la planète, liberté de la pornographie, liberté de réserver sur simple impulsion son billet d’hôtel, d’examiner à tout instant son compte en banque, de faire circuler son argent. Dans un second temps, on s’est rendu compte qu’Internet, c’est aussi l’enregistrement de tout, absolument tout ce qu’on y fait, et la possibilité de mettre sous surveillance la totalité des actions, présentes et passées, financières et sexuelles, qui s’y déroulent. Les riches qui ont commencé à déposer leur argent dans les paradis fiscaux anglo-saxons n’ont pas compris tout de suite qu’ils se plaçaient sous l’œil et le contrôle des autorités américaines. La surveillance concerne en particulier les oligarchies du monde. L’asile accordé à Snowden, qui a révélé en 2013 le programme d’espionnage à grande échelle mise au point par le gouvernement américain (300 000 personnes font partie du contrôle), est l’une des choses que les Américains n’ont pas pardonnées à Poutine. Cela explique la soumission des élites européennes. On ne peut savoir dans quelle mesure les données collectées permettent de tenir les élites occidentales, jusqu’à quel degré les comptabilités privées sont atteintes, mais il suffit que les élites européennes croient se sentent surveillées pour se montrer très prudentes dans leurs rapports avec le maître américain. La peur fait partie de l’explication de la servilité européenne envers les États-Unis. Elle n’est pas le seul facteur d’alignement, mais ce système de pouvoir absolument étanche, avec un taux d’obéissance proche de 100 pour cent, fait songer qu’une ambiance totalitaire doit régner dans les hautes sphères.

Les classes supérieures de l’Europe oligarchique en construction ont été séduites par la globalisation financière et piégées par l’enregistrement universel des données. Si la prise américaine initiale sur ses protectorats européens et asiatiques date de 1945, Internet l’a énormément renforcé. On constate effectivement que depuis le milieu des années 2000, le contrôle américain de l’Europe occidentale s’est alourdi.

Nous devons souligner le décalage entre les perceptions des États-Unis par les Européens (l’OTAN se renforce, l’Amérique est indispensable) et par le reste du monde (la production des États-Unis régresse). À mesure que le système américain se rétracte dans l’ensemble du monde, il pèse de plus en plus sur ses protectorats initiaux, qui restent sa base ultime de puissance. Il s’agit pour les États-Unis de contrôler l’Europe et l’Asie extrême orientale, car les États-Unis ont besoin de leurs capacités industrielles. Les puces électroniques sont fabriqués à Taiwan, en Corée ou au Japon. Ce qui reste d’activités industrielles se trouve au Japon, en Corée, en Allemagne et en Europe de l’Est. L’inconscient de l’OTAN, de sa mécanique militaire, idéologique et psychologique, c’est non de protéger l’Europe occidentale, mais de la contrôler. Dans sa structure productive globale, l’Occident n’est pas symétrique : on voit apparaître des rapports d’exploitation systémique de la périphérie par le centre américain.

Apparaît en Grande-Bretagne une moralité zéro, la désindustrialisation, une baisse de l’espérance de vie et du niveau de vie, des privatisations sauvages, des externalisations des services étatiques. Le néolibéralisme est la libération d’un instinct d’acquisition dissocié de toute morale, dissimulé derrière une théorie économique. C’est la cupidité. Il s’agit de manière simpliste de faire de l’argent. Il s’agit, de manière nihiliste, de détruire des usines, des métiers, des existences. C’est le protestantisme zéro.

Le Brexit découle d’une implosion de la nation britannique.

Les minorités ethniques accèdent à l’enseignement supérieur et donc à la politique en forte proportion. Les Indiens ou les Chinois ont des structures familiales verticales (communautaires mais qui réservent une place particulière à l’aîné) ainsi que des traditions de respect pour l’éducation, alors que la famille nucléaire absolue des Anglais n’encadre pas ses rejetons aussi efficacement, et le protestantisme zéro d’aujourd’hui ne véhicule plus le potentiel éducatif du protestantisme actif ou du protestantisme zombie.

On voit se profiler une moralité zéro quand on veut déporter des immigrés aux Rwandais quand on livre à l’Ukraine des munitions à uranium appauvri, quand on emprisonne Julian Assange. La moitié des médecins ne sont pas britanniques. Les enfants anglais sont chétifs. Les salaires sont bloqués, les retraites diminuées, l’inflation importante, les taux d’intérêt des emprunts immobiliers augmentent, l’espérance de vie stagne, la désindustrialisation est plus importante qu’ailleurs. On a privatisé jusqu’à l’absurde : les chemins de fer, l’eau. On externalisée des tâches qui incombent à l’État : le secteur privé gère les prisons, les allocations de logement, les services fiscaux, le nettoyage des rues, les écoles, les contrats informatiques. Les organisations caritatives gèrent les services sociaux des personnes âgées des handicapés. On baisse les impôts. On forme très peu d’ingénieurs. Il suffit de se débarrasser des mots, qui organisent le conscient, pour observer les faits, qui sont l’inconscient en action. La révolution conceptuelle néolibérale apparaît alors comme la simple libération d’un instinct d’acquisition dissocié de toute morale. C’est la cupidité. On peut faire de l’argent en bradant les biens d’État, en rançonnant les citoyens par l’externalisation. Tony Blair incarne la cupidité de l’inconscient : depuis qu’il n’est plus premier ministre, il s’occupe à faire de l’argent, beaucoup d’argent. Le néolibéralisme fonde un capitalisme non wébérien, dont l’esprit serait libéré de l’éthique protestante. Au-delà de son simplisme intellectuel, la révolution néolibérale trahit une déficience morale. La fièvre de destruction des usines, des métiers, des existences individuelles, exprime un instinct de destruction dissimulé derrière la théorie économique. C’est du nihilisme. La vérité cachée du néolibéralisme, quand il dit que la société n’existe pas, est la négation pure et simple de la réalité, à moins qu’il ne formule le souhait de la destruction de la société.

Le vide religieux est la vérité ultime du néolibéralisme, de la disparition de la moralité sociale, du nihilisme.

Le protestantisme se distingue par une plongée en lui-même de l’individu sous le prétexte de dialoguer avec Dieu. Il implique un degré d’intériorisation presque inconnu jusqu’à son avènement. Mais, dans le même temps, il entraîne un renforcement de la conscience collective. L’individu qui intériorise est également surveillé par la collectivité avec une précision inédite. La Réforme ne signifie pas l’élimination de la domination de l’Église. Elle constitue plutôt la substitution d’une nouvelle forme de domination, le remplacement d’une autorité relâchée par une autre qui pénètre tous les domaines de la vie publique ou privée, imposant une réglementation de la conduite pesante et sévère, représentant une forme insupportable de contrôle ecclésiastique sur l’individu. Le protestantisme exige que les masses soient alphabétisées, ce qui explique l’avance les pays réformés en matière d’instruction mais aussi en ce qui concerne le décollage économique. Professant que chaque fidèle est lui-même prêtre, le protestantisme dénote une composante égalitaire démocratique. Mais, à un niveau plus profond, on trouve l’opposé : la prédestination (certains sont élus et d’autres damnés). Le protestantisme est une éthique du travail : nous sommes sur terre pour travailler et épargner. Il y a aussi le puritanisme sexuel.

Avec Benjamin Franklin, Tomas Paine, Tomas Jefferson, les Lumières écossaises, David Hume, Adam Smith et Adam Ferguson s’exprime un relâchement de la foi protestante dans les classes moyennes supérieures.

La Révolution française et la révolution industrielle font surgir le sentiment d’une menace et une peur renouvelée de la damnation : un regain protestant enfièvre l’Angleterre et l’Écosse entre 1780 et 1840. L’Angleterre du sud-est est à domination anglicane. L’Angleterre du Nord, le pays de Galles, la Cornouaille et les zones industrielles ouvrières sont dominées par les sectes protestantes non-conformistes, les méthodistes en particulier.

Ce protestantisme bicéphale s’effondre entre 1870 et 1930. Privée de son encadrement protestant, la Grande-Bretagne découvre le nationalisme qui associe l’Angleterre et l’Écosse dans une entité commune, supérieure à leurs diverses Églises, et participe à la boucherie de la première guerre mondiale. Ce protestantisme zombie permet à la Grande-Bretagne, entre 1939 et 1945, de rester une collectivité solidaire, efficace, morale.

Le retour du religieux parcourt l’ensemble du monde occidental et la Grande-Bretagne en particulier au lendemain de la deuxième guerre mondiale, avec des valeurs de décence et de conformisme familial constituant le substrat du baby-boom, et avec l’État social, apothéose du christianisme zombie.

Le passage à l’état zéro de la religion se produit à partir des années 1960 avec le développement de l’éducation supérieure et l’atomisation sociale. Le néolibéralisme émancipe la finance et procède à la destruction de l’appareil productif. Sur son marché pur et parfait s’agitent des hommes sans moralité, simplement cupides, le protestant zéro, l’homme idéal du néolibéralisme.

Le nihilisme est un concept qui symbolise la conversion de l’Amérique du bien au mal. Les États-Unis mènent à la pauvreté et à l’atomisation sociale avec des comportements négatifs, conséquence de la décomposition du protestantisme. L’état zéro du protestantisme permet de comprendre le pourrissement interne, la mégalomanie externe, les violences exercées sur les citoyens américains sur les citoyens des autres pays. La vie politique fonctionne sans valeur, elle n’est qu’un mouvement qui tend vers la violence. C’est l’obsession de l’argent et du pouvoir, mais l’argent et le pouvoir ne sauraient être des buts en eux-mêmes, des valeurs. Le vide induit une propension à l’autodestruction, au militarisme. Le nihilisme, ce n’est pas seulement le besoin de détruire soi et les autres, c’est aussi le refus de la réalité, la négation de la réalité. Comme exemple de nihilisme appliqué, il y a ces grandes entreprises pharmaceutiques, relayées par des médecins bien payés et peu scrupuleux et par le Congrès, qui mettent à la disposition des patients des médicaments qui mènent très fréquemment à une mort directe. Il y a la religion nihiliste du genre, qui prétend qu’on peut transformer un homme en femme, réciproquement. Le seuil de 25 pour cent d’éduqués supérieurs a été atteint aux États-Unis dès 1965. Les éduqués supérieurs considèrent alors qu’ils détiennent une supériorité intrinsèque. Au rêve d’égalité succède une légitimation de l’inégalité. Le développement de l’éducation supérieure voit s’éteindre l’ethos égalitaire que l’alphabétisation de masse avait répandue et, au-delà, tout sentiment d’appartenance à une collectivité. L’unité religieuse et idéologique vole en éclats. S’enclenche alors un processus d’atomisation sociale et d’amenuisement de l’individu, qui, cessant d’être encadré par des valeurs communes, se retrouve fragilisé. Apparaît le déclin intellectuel.

 L’implosion du protestantisme et de son inégalitarisme métaphysique libère les Noirs du principe d’inégalité tout en désorganisant la démocratie américaine qui fixait l’inégalité sur les races inférieures, les Indiens et les Noirs (d’un côté les élus, les Blancs, et de l’autre les damnés). La liquidation de la classe ouvrière par la globalisation a causé le dépérissement des classes moyennes. Ne subsiste plus qu’une classe moyenne supérieure, 10% de la population peut-être, accrochée à l’oligarchie des 0,1% supérieur, et qui s’efforce de ne pas dégringoler. Les privilégiés sont fatigués de jouer le jeu de la méritocratie, même s’ils en sortent gagnants. Les plus riches avaient toujours été en mesure d’acheter des places à leur progéniture à Harvard, Yale ou Princeton. Les rejetons des catégories moyennes supérieures devaient subir des tests. On vient de supprimer les tests. La renonciation au principe méritocratique clôt la phase démocratique de l’histoire américaine. Nous avons une société oligarchique. Les oligarques vivent entourés de leurs dépendants, des privilégiés eux aussi. Ensemble, ils se moquent des difficultés qu’affrontent 90% de leurs concitoyens. C’est cette oligarchie libérale, travaillée par le nihilisme, qui mène la lutte de l’Occident.

On assiste à une fuite sociale interne des cerveaux : vers le droit, la finance et les écoles de commerce, tous secteurs où les revenus peuvent être plus élevés que ceux de l’ingénierie ou de la recherche scientifique. Les études supérieures en droit, en finance ou de commerce, sans provoquer une quelconque amélioration des capacités productives ou même intellectuelles des individus concernés, leur procure toutefois, par suite de leur position sociale, une capacité supérieure de prédation de la richesse produite par le système. La multiplication de tels diplômés crée une multitude de parasites. Pour compenser leurs carences en travailleurs scientifiques et techniques de tous niveaux, les États-Unis en importent massivement (2,5 millions). Les inégalités augmentent. L’Amérique produit la monnaie du monde, le dollar, et la capacité qu’elle a de tirer de la richesse monétaire du néant la paralyse. Produire la monnaie du monde à un coût minimal ou nul rend plus rentables et par conséquent peu attirantes toutes les activités autres que la création monétaire. Les 95% de la production monétaire résultent des prêts que les banques consentent à des particuliers ou s’accordent entre elles. S’il y a une crise, la Fed, pour sauver le système, émettra plus argent, garantissant que la création monétaire par les banques et les particuliers, de fait par l’État, est sans limite. Absence de limites aussi pour la dette publique américaine dont le plafond légal est chaque fois que c’est nécessaire relevé par le Congrès. Les dollars et les bons du trésor continuent d’être émis et les privilégiés de la planète continuent à les acheter. Difficile d’amender un tel système : il est tellement plus facile de produire de la monnaie que des biens. Et le beau métier sera bien sûr celui qui rapproche son possesseur de la création monétaire, de la source de l’opulence : banquier, avocat fiscaliste, lobbyiste au service du banquier, etc. L’ingénieur est trop éloigné de cette source prodigue, l’industriel vit avec l’obligation de réaliser un taux de profit fixé par les gens qui fabriquent de l’argent. Une protection aux frontières contre l’industrie étrangère ne peut suffire si la vraie concurrence vient d’une planche à billets interne, collective et démoniaque. Le mécanisme se répercute, par anticipation, sur les jeunes qui choisissent formations et métiers. C’est la fuite des cerveaux vers les métiers improductifs. Il s’agit de se rapprocher des fontaines sacrées d’où jaillit le dollar.

La fin de l’élite du pouvoir, dans un climat de moralité zéro, s’est accompagnée de la volatilisation de tout ethos commun aux groupes dirigeants. L’élite WASP indiquait une direction, des objectifs moraux, bons ou mauvais. Le groupe dirigeant actuel (je n’ose l’appeler élite) ne propose rien de tel. Ne subsiste en son sein qu’une dynamique du pouvoir pur qui, projetée sur le monde extérieur, mute en une préférence pour la puissance militaire et la guerre.

Les individus qui composent le groupe dirigeant de la plus grande puissance mondiale n’obéissent plus à un système d’idées qui le transcende mais réagissent à des impulsions venues du réseau local auquel ils appartiennent. Le village de Washington n’est plus qu’une collection d’individus tout à fait dénués de morale commune. Le groupe n’est plus soudé par une croyance de portée nationale ou universelle. Il est anomique au sens d’atomisé, selon un mécanisme purement local de régulation des croyances et des actes. Il s’agit d’individus au surmoi fragile qu’aucune croyance collective, société ou idéal du moi ne structurent ni n’encadrent. Ces individus faibles sont mus par un mécanisme de régulation mimétique interne au groupe auquel ils appartiennent localement ou professionnellement. L’atomisation des sociétés individualistes avancées induit des dérives centripètes de lieu ou de métier. Les individus n’existent que les uns par rapport aux autres. Ils ne déterminent plus leurs actes et décisions en se référant à des valeurs extérieures et surtout supérieures : religieuses, morales, historiques. Leur seule conscience est locale, villageoise.

Le Blob washingtonien est un groupe dirigeant dépourvu d’attache intellectuelle ou idéologique extérieure à lui-même. Alors qu’autrefois les personnes qui se consacraient à la politique étrangère avaient été formées dans d’autres disciplines, y entrant avec des vues et des préoccupations générales, les gens du Blob ne sortent jamais de leur corral, même quand ils changent de postes en apparence de métier. L’effet pervers de cet enfermement dans l’international et qui prédispose à l’activisme. Ils ont un intérêt personnel à ce que les États-Unis et une politique mondiale ambitieuse. Plus le gouvernement américain est occupé à l’extérieur, plus il y a de postes à pourvoir parmi les experts en politique internationale, plus la part de la richesse nationale consacrée à résoudre ses problèmes mondiaux sera grande et plus importante sera leur influence potentielle, d’où une propension à gonfler les menaces et une obsession de la puissance militaire. Il y a intérêt professionnel à ce que ça chauffe !

Dans un monde où dépérissent les idéologies, subsistent bien entendu l’État et plus encore les métiers. Ainsi les journalistes qui, autrefois, adhéraient à des idéologies opposées, sont devenus le « Journalisme », avec son éthique et ses préoccupations propres et aussi, notons le, sa propre préférence pour la guerre, parce que c’est du spectacle. Même schéma pour la police ou l’armée.

Dans le Blob, les membres circulent en marge des partis. Comme dans n’importe quel milieu étroit, dans n’importe quel village, on voit se former des couples et se conclure des mariages.

Aux États-Unis, les appareils d’État (l’armée, marine, l’Air Force, la CIA, la NSA) sont des gigantesques et froides machines peuplées d’individus qui, pour l’essentiel, respectent le principe hiérarchique. Ces monstres bureaucratiques sont chevauchés par la petite bande de demi-intellectuels qui habitent le Blob, un sous-village de Washington.

Les États-Unis risquent beaucoup dans la conjoncture actuelle. Leur dépendance économique au reste du monde est devenue immense. Leur société se décompose. Perdre le contrôle de leurs ressources extérieures provoquerait une chute du niveau de vie de la population, qui n’est déjà pas brillant. Les États-Unis ne réussissent pas à séparer dans leur évolution ce qui est interne et ce qui est externe : il faut partir de la dynamique interne de la société, de sa régression, pour comprendre la politique extérieure.

Le nihilisme est un concept qui symbolise la conversion de l’Amérique du bien au mal. Les États-Unis d’aujourd’hui tracent la voie qui mène à la pauvreté et à l’atomisation sociale. Les valeurs et le comportement de la société américaine sont aujourd’hui foncièrement négatifs. Cette négativité est le produit d’une décomposition du protestantisme.

 La phase zombie du protestantisme américain a été massivement positive. Elle va de la présidence de Roosevelt à celle d’Eisenhower, et elle a vu s’édifier un État social, des universités prodiguant un enseignement de masse et de qualité, se répandre une culture optimiste qui a séduit le monde. Cette Amérique avait récupéré les valeurs positives du protestantisme (haut niveau éducatif, égalitarisme entre les Blancs) et tentait de se débarrasser de ses valeurs négatives (racisme, puritanisme).

 La crise actuelle correspond, en revanche, à l’atterrissage dans l’état zéro du protestantisme, qui permet de comprendre le pourrissement interne, la mégalomanie externe, les violences exercées sur les citoyens américains et sur les citoyens des autres pays. La dynamique actuelle a pour moteur le vide. La vie politique fonctionne sans valeur, elle n’est qu’un mouvement qui tend vers la violence. Au plan de la pensée et des idées, c’est l’état de vide, avec comme obsession résiduelle l’argent et le pouvoir. L’argent et le pouvoir ne sauraient être des buts en eux-mêmes, des valeurs. Ce vide induit une propension à l’autodestruction, au militarisme, à une négativité endémique, en somme, au nihilisme. Il y a aussi le refus de la réalité : le nihilisme ne traduit pas seulement un besoin de détruire soi et les autres. Plus en profondeur, quand il se transforme en une sorte de religion, il tend à nier la réalité.

Comme exemple de nihilisme appliqué, il y a l’augmentation de la mortalité aux États-Unis par alcoolisme, suicide et addiction aux opioïdes. La chute de l’espérance de vie a été précédée par un ralentissement de la croissance, à partir de 1980, durant les années néolibérales. La hausse de la mortalité, en particulier de la mortalité infantile, va de pair avec les dépenses de santé les plus élevés au monde. Une partie de ces dépenses de santé est consacrée à la destruction de la population : de grandes entreprises pharmaceutiques, relayées par des médecins bien payés et peu scrupuleux, ont mis à la disposition des patients des antidouleur dangereux, addictifs, menant très fréquemment à une mort directe, à l’alcoolisme ou au suicide. Certaines catégories supérieures de la population dévastent donc une partie de la population. Nous sommes en pleine moralité zéro. En 2016, le Congrès, tenu par ces lobbys, a interdit aux autorités sanitaires de suspendre l’usage de ces médicaments, autrement dit une loi autorisant l’industrie pharmaceutique à continuer à assassiner. C’est du nihilisme.

Il y a eu l’Amérique de Roosevelt, celle qui décidait de surtaxer les riches et qui instituait un contre-pouvoir syndical, pour intégrer la classe ouvrière dans les classes moyennes et rendre possible la mobilisation démocratique pendant la guerre.

 Il y a eu l’Amérique d’Eisenhower qui se focalisait sur l’éducation, avec une élite blanche anglo-saxonne protestante, avec l’Église épiscopale, dont le protestantisme tolèrait une bonne dose de hiérarchie et d’autorité sociale. Cette élite était porteuse d’une morale et d’une exigence.

Nous sommes actuellement à l’état zéro du christianisme, un état qui mène au nihilisme, et même à sa forme la plus achevée : le déni de la réalité. C’est en particulier la révolution du « genre » : un individu peut changer de genre selon son goût, par simple déclaration à l’État civil, changer de sexe par le port de vêtements significatifs, l’ingestion d’hormones ou une opération chirurgicale. La génétique nous dit que l’on ne peut pas transformer un homme (chromosomes X Y) en femme (chromosomes X X), et réciproquement. Prétendre le faire, c’est affirmer le faux, un acte intellectuel typiquement nihiliste. Ce besoin d’affirmer le faux, de lui rendre un culte et de l’imposer comme la vérité, c’est une religion nihiliste.

Le seuil de 25 pour cent d’éduqués supérieurs a été atteint aux États-Unis dès 1965. Les éduqués supérieurs considèrent alors qu’ils détiennent une supériorité intrinsèque. Au rêve d’égalité succède une légitimation de l’inégalité. Le développement de l’éducation supérieure voit s’éteindre l’ethos égalitaire que l’alphabétisation de masse avait répandue et, au-delà, tout sentiment d’appartenance à une collectivité. L’unité religieuse et idéologique vole en éclats. S’enclenche alors un processus d’atomisation sociale et d’amenuisement de l’individu, qui, cessant d’être encadré par des valeurs communes, se retrouve fragilisé.

Apparaît alors un déclin intellectuel à tous les niveaux, avec une baisse du niveau éducatif, de l’intensité des études et du quotient intellectuel.

Dans l’Amérique heureuse et protestante zombie d’Eisenhower, les Noirs ne sont pas inclus dans la démocratie. Les États-Unis sont devenus une démocratie, en dépit de l’inégalitarisme métaphysique protestant, parce qu’ils ont fixé l’inégalité sur les races inférieures, les Indiens puis les Noirs. D’un côté les élus, les Blancs, et de l’autre les damnés, les Noirs (au départ, les Indiens).

L’éducation supérieure a fait imploser le protestantisme et ainsi libéré les Noirs du principe d’inégalité. La libération des Noirs a désorganisé la démocratie américaine (il n’y a pas seulement la montée des inégalités de revenus et l’effacement du rôle des citoyens non diplômés). Le racisme américain classique est bel et bien mort. Cependant, les Noirs demeurent piégés : leur émancipation est intervenue tandis que s’opérait la stratification éducative, qui accroissait l’inégalité économique, diminuait le niveau scolaire, le niveau de vie et la mobilité sociale. L’émancipation des Noirs s’accomplit alors qu’ils sont en bas de la pyramide sociale, ce qui leur rend très difficile d’échapper à leurs conditions objectives. Concentrés dans la strate inférieure, ils ont acquis la citoyenneté dans une société où s’était évanoui l’idéal de citoyens égaux. Ils deviennent des individus semblables aux autres au moment où l’individu rapetisse.

La liquidation de la classe ouvrière par la globalisation a causé le dépérissement des classes moyennes. Ne subsiste plus qu’une classe moyenne supérieure, 10% de la population peut-être, accrochée à l’oligarchie des 0,1% supérieur, et qui s’efforce de ne pas dégringoler. C’est cette classe moyenne supérieure qui s’oppose à la résurgence d’une taxation progressive, davantage que la classe la plus élevée, dont le capital échappe largement à l’impôt.

On a une société libérale, qui défend la démocratie contre l’autocratie russe, qui détient le plus fort taux d’incarcération au monde, où les fusillades de masse se multiplient.

L’obésité révèle un manque d’autodiscipline, d’autant plus nette quand elle touche les riches qui ont les moyens de se procurer des aliments de qualité : le taux d’obésité est un indicateur du contrôle que les individus parviennent à exercer sur eux-mêmes. Le taux américain trahit une déficience du surmoi à l’échelle de la société tout entière.

Les privilégiés sont fatigués de jouer le jeu de la méritocratie, même s’ils en sortent gagnants. Les plus riches avaient toujours été en mesure d’acheter des places à leur progéniture à Harvard, Yale ou Princeton. Les rejetons des catégories moyennes supérieures devaient subir des tests. On vient de supprimer les tests. La renonciation au principe méritocratique clôt la phase démocratique de l’histoire américaine. Nous avons une société oligarchique. Les oligarques vivent entourés de leurs dépendants, des privilégiés eux aussi. Ensemble, ils se moquent des difficultés qu’affrontent 90% de leurs concitoyens. C’est cette oligarchie libérale, travaillée par le nihilisme, qui mène la lutte de l’Occident. Elle ne se rend pas compte qu’elle règne sur une économie en décomposition et largement fictive.

Les points forts de l’économie américaine – les Gafa et le gaz, la Silicon Valley et le Texas – sont situés aux deux pôles du spectre des activités humaines : les lignes de code informatique tendent vers l’abstraction, l’énergie est une matière première. Les difficultés de l’économie américaine remplissent le reste du spectre : la fabrication des objets, c’est-à-dire l’industrie au sens traditionnel du mot.

La proportion de la production industrielle américaine par rapport à celle du monde, la proportion de la fabrication américaine de machines outils par rapport à celle du monde, l’exportation des produits agricoles diminuent. Les importations ne sont pas couvertes par des exportations, mais par l’émission de dollars : l’Amérique finance son déficit commercial en émettant des bons du trésor, qui permettent aux gens les plus riches de thésauriser leur argent dans les paradis fiscaux. Le déficit commercial s’accroît malgré la réorientation protectionniste officielle. On assiste à une fuite sociale interne des cerveaux : vers le droit, la finance et les écoles de commerce, tous secteurs où les revenus peuvent être plus élevés que ceux de l’ingénierie ou de la recherche scientifique. Les études supérieures en droit, en finance ou de commerce, sans provoquer une quelconque amélioration des capacités productives au même intellectuelles des individus concernés, leur procure toutefois, par suite de leur position sociale, une capacité supérieure de prédation de la richesse produite par le système. La multiplication de diplômés crée une multitude de parasites. Pour compenser leurs carences en travailleurs scientifiques et techniques de tous niveaux, les États-Unis en importent massivement (2,5 millions).

Les inégalités augmentent. L’Amérique produit la monnaie du monde, le dollar, et la capacité qu’elle a de tirer de la richesse monétaire du néant la paralyse. Produire la monnaie du monde à un coût minimal ou nul rend plus rentables et par conséquent peu attirantes toutes les activités autres que la création monétaire. Les 95% de la production monétaire résultent des prêts que les banques consentent à des particuliers ou s’accordent entre elles. S’il y a une crise, la Fed, pour sauver le système, émettra plus argent, garantissant que la création monétaire par les banques et les particuliers, de fait par l’État, est sans limite. Absence de limites aussi pour la dette publique américaine dont le plafond légal est chaque fois que c’est nécessaire relevé par le Congrès. Les dollars et les bons du trésor continu d’être émis et les privilégiés de la planète continuent à les acheter. Difficile d’amender un tel système : il est tellement plus facile de produire de la monnaie que des biens. Et le beau métier sera bien sûr celui qui rapproche son possesseur de la création monétaire, de la source de l’opulence : banquier, avocat fiscaliste, lobbyiste au service du banquier, etc. L’ingénieur est trop éloigné de cette source prodigue, l’industriel vit avec l’obligation de réaliser un taux de profit fixé par les gens qui fabriquent de l’argent. Une protection aux frontières contre l’industrie étrangère ne peut suffire si la vraie concurrence vient d’une planche à billets interne, collective et démoniaque. Le mécanisme se répercute, par anticipation, sur les jeunes qui choisissent formations et métiers. C’est la fuite des cerveaux vers les métiers improductifs. Il s’agit de se rapprocher des fontaines sacrées d’où jaillit le dollar.

Quel est la tribu aux mœurs singulières qui, par ses goûts et ses décisions, mène l’Occident aux portes de la Russie ? On étudie une communauté primitive dans son milieu naturel : ce sera la ville de Washington. Nous nous intéressons plus particulièrement à l’établissement géopolitique américain, qu’on appelle le « Blob », du nom d’un micro-organisme inquiétant (organisme unicellulaire d’aspect visqueux que l’on rencontre en forêt, où il se multiplie en absorbant les bactéries et les champignons qui l’environnent ; il est dénué de cerveau). L’élite du pouvoir WASP a disparu. L’état zéro de la religion a balayé non seulement les différences religieuses, mais aussi des différences de race et d’éducation. Quelle différence entre un catholique zéro et un protestant zéro, la différence entre un Blanc et un Noir dans une ambiance de protestantisme zéro et de damnation zéro ? La vaporisation du protestantisme a entraîné celle du racisme américain traditionnel.

L’avenir des classes dirigeantes se lit dans les universités. La disparition du protestantisme, avec son exigence éducative et son culte de l’effort, sur fond anthropologique d’une famille nucléaire absolue qui encadre peu ses enfants, a dévasté les capacités scolaires de la population blanche, faisant converger des descendants des protestants et des catholiques dans une même baisse du niveau. La surreprésentation des Asiatiques à l’université résulte d’un dynamisme éducatif supérieur. Les enfants d’immigrés japonais, coréens, chinois et vietnamiens ont été protégés, pendant deux générations, par des structures familiales autoritaires et par la tradition qui sacralise l’éducation, tradition greffée sur la transmission familiale (famille souche c’est chez les Japonais et les Coréens, communautaire chez les Chinois et les Vietnamiens, nuance souche au sud-est de la Chine et au nord du Vietnam, nuance nucléaire au sud du Vietnam).

La fin de l’élite du pouvoir, dans un climat de moralité zéro, s’est accompagnée de la volatilisation de tout ethos commun aux groupes dirigeants. L’élite WASP indiquait une direction, des objectifs moraux, bons ou mauvais. Le groupe dirigeant actuel (je n’ose l’appeler élite) ne propose rien de tel. Ne subsiste en son sein qu’une dynamique du pouvoir pur qui, projetée sur le monde extérieur, mute en une préférence pour la puissance militaire et la guerre.

Les individus qui composent le groupe dirigeant de la plus grande puissance mondiale n’obéissent plus à un système d’idées qui le transcende mais réagissent à des impulsions venues du réseau local auquel ils appartiennent. Le village de Washington n’est plus qu’une collection d’individus tout à fait dénués de morale commune. Le groupe n’est plus soudé par une croyance de portée nationale ou universelle. Il est anomique au sens d’atomisé, selon un mécanisme purement local de régulation des croyances et des actes. Il s’agit d’individus au surmoi fragile qu’aucune croyance collective, société ou idéal du moi ne structurent ni n’encadrent. Ces individus faibles sont mus par un mécanisme de régulation mimétique interne au groupe auquel ils appartiennent localement ou professionnellement. L’atomisation des sociétés individualistes avancées induit des dérives centripètes de lieu ou de métier. Les individus n’existent que les uns par rapport aux autres. Ils ne déterminent plus leurs actes et décisions en se référant à des valeurs extérieures et surtout supérieures : religieuses, morales, historiques. Leur seule conscience est locale, villageoise.

Le Blob washingtonien est un groupe dirigeant dépourvu d’attache intellectuelle ou idéologique extérieure à lui-même. Alors qu’autrefois les personnes qui se consacraient à la politique étrangère avaient été formées dans d’autres disciplines, y entrant avec des vues et des préoccupations générales, les gens du Blob ne sortent jamais de leur corral, même quand ils changent de postes en apparence de métier. L’effet pervers de cet enfermement dans l’international et qui prédispose à l’activisme. Ils ont un intérêt personnel à ce que les États-Unis et une politique mondiale ambitieuse. Plus le gouvernement américain est occupé à l’extérieur, plus il y a de postes à pourvoir parmi les experts en politique internationale, plus la part de la richesse nationale consacrée à résoudre ses problèmes mondiaux sera grande et plus importante sera leur influence potentielle, d’où une propension à gonfler les menaces et une obsession de la puissance militaire. Il y a intérêt professionnel à ce que ça chauffe !

Dans un monde où dépérissent les idéologies, subsistent bien entendu l’État et plus encore les métiers. Ainsi les journalistes qui, autrefois, adhéraient à des idéologies opposées, sont devenus le « Journalisme », avec son éthique et ses préoccupations propres et aussi, notons le, sa propre préférence pour la guerre, parce que c’est du spectacle. Même schéma pour la police ou l’armée.

Dans le Blob, les membres circulent en marge des partis. Comme dans n’importe quel milieu étroit, dans n’importe quel village, on voit se former des couples et se conclure des mariages.

Aux États-Unis, les appareils d’État (l’armée, marine, l’Air Force, la CIA, la NSA) sont des gigantesques et froides machines peuplées d’individus qui, pour l’essentiel, respectent le principe hiérarchique. Ces monstres bureaucratiques sont chevauchés par la petite bande de demi-intellectuels qui habitent le Blob, un sous-village de Washington.

Binken et Nuland sont d’origine juive. Leur indifférence au passé peut s’expliquer de deux façons.

D’abord la plus vraisemblable. L’état zéro de la religion est aussi un État zéro de la mémoire. Une absence complète de conscience historique peut expliquer pourquoi le passé de l’Ukraine ne les importune pas. Ces deux responsables politiques ne seraient plus que des Américains sans mémoire, absolument indifférents donc au passé antisémite de l’Ukraine et au néonazisme symbolique du nationalisme ukrainien actuel. Seuls les inspireraient la grandeur de l’empire américain.

Une autre interprétation serait plus angoissante, et surtout pour les Ukrainiens. Cette guerre va détruire la nation ukrainienne. La police militaire ukrainienne empêche les hommes valides de fuir en Roumanie ou en Pologne. Pourquoi ces Américains d’origine juive ukrainienne qui, avec le gouvernement de Kiev, copilotent cette boucherie, ne ressentent-t-ils pas cela comme une juste punition infligée à ce pays qui a tant fait souffrir leurs ancêtres ?

Les Occidentaux n’ont pas reconnu qu’en délocalisant leur industrie ils se proposaient de vivre comme une sorte de bourgeoisie planétaire, en exploiteurs du travail sous-payé du Reste du monde. Ce rapport d’exploitation a transformé les populations du Reste en prolétariat généralisé. Les classes supérieures prélèvent ainsi d’énormes tributs au moyen desquels elles entretiennent une plèbe de serviteurs apprivoisés, non plus engagés dans les industries agricoles et manufacturières de base, mais maintenus dans l’exécution de services personnels ou de services industriels mineurs sous le contrôle d’une nouvelle aristocratie financière. La participation indirecte des classes ouvrières de l’Ouest aux surprofits générés par l’impérialisme s’exprime par le fait que les prolétaires européens doivent une partie de leur niveau de vie en hausse au travail des peuples du Reste, qu’ils peuvent donc négocier dans un système social qui leur devient plus aimable, avec des partis socialistes et des syndicats qui deviennent réformistes. Le prolétariat occidental est complètement transformé en une plèbe vivant largement du travail du Reste du monde. Les ouvriers occidentaux ne consomment plus ce qu’ils produisent : les objets de leur consommation sont désormais produits ailleurs. Le prolétariat laborieux se mue en plèbe dans les années 2000, à l’instigation des théoriciens et des praticiens de l’économie mondialisée. Les théoriciens actuels de l’économie ne s’intéressent qu’aux consommateurs, qui doivent pouvoir acheter les biens dont ils ont besoin au prix le moins élevé. Ces apôtres théoriciens menacent sans cesse les peuples occidentaux de devoir payer plus cher leur nourriture, leurs vêtements, leur téléphone portable, leurs automobiles, leurs médicaments, les jouets de leurs enfants et leur nain de jardin s’ils s’obstinent à vouloir les fabriquer eux-mêmes. Les apôtres ont gagné, mais leur victoire a des conséquences socio-politiques qu’ils n’avaient pas anticipé. Nous constatons en effet, d’une part, le désarroi moral des ouvriers que l’ablation de leur valeur en tant que producteurs a privé d’utilité sociale (ils sont souvent acculés à l’alcoolisme, à la drogue, au suicide) et d’autre part, leur vote à droite (alors que les partis de gauche, sociaux-démocrates ou communistes, s’appuyaient sur des classes ouvrières exploitées, les partis populistes s’appuient sur des plèbes dont le niveau de vie dérive largement du travail sous-payé des prolétaires de Chine, du Bangladesh, du Maghreb ou d’ailleurs ; les électeurs populaires du Rassemblement national sont des extracteurs de plus-value à l’échelle mondiale : ils sont donc très normalement de droite). Cette analyse permet de comprendre pourquoi il est si difficile de réindustrialiser. Si la délocalisation de nombreuses activités productives a contribué à anémier de plus en plus nos provinces et nos banlieues, le libre-échange a tenu sa promesse de favoriser le consommateur aux dépens du producteur, de transformer le producteur en consommateur, et le citoyen productif en plébéien parasite, guère désireux au fond de retrouver le chemin et la discipline de l’usine. Mais cela ne concerne pas seulement les milieux populaires. C’est l’ensemble de la société, dans le monde occidental avancé, qui profite du travail des ouvriers chinois et des enfants du Bangladesh, les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur mal payés comme les prolos, les électeurs de LFI comme des électeurs du RN. Ils vivent tous des surprofits de la globalisation.

L’affrontement en Ukraine oppose la Russie aux États-Unis et à leurs alliés (ou vassaux). Cet affrontement est avant tout économique, sous forme de sanctions. En effet la doctrine militaire russe autorise désormais Moscou à user de frappes nucléaires tactiques si l’État russe est menacé. L’engagement de l’OTAN dans une guerre conventionnelle créerait une situation trop dangereuse. L’Ukraine est donc le théâtre d’opérations conventionnelles très localisées. Les Russes, en s’interdisant de mener une vraie guerre conventionnelle, ont satisfait les occidentaux. L’envoi de matériel militaire à l’Ukraine, mais non d’hommes, s’inscrit bien dans la logique de la globalisation : nous avons, dans un premier temps, fait fabriquer ce dont nous avions besoin par les travailleurs des pays à bas salaires ; dans un second temps, nous faisons faire la guerre dont nous avons besoin par un pays à bas coût. Le corps humain ne vaut pas cher en Ukraine.

Dans le cas de la guerre en Ukraine, les sanctions ont surtout élargi à la planète le champ des opérations et donner à la guerre, instantanément, une dimension mondiale et un caractère de lutte à mort entre les États-Unis et la Russie. Pour fonctionner, la sanction doit abolir la neutralité des non-belligérants et obtenir leur participation. Le Reste du monde a convenu d’aider la Russie. L’Occident a découvert qu’on ne l’aimait pas. Une terrible blessure narcissique. Le Reste du monde a soutenu la Russie dans son effort pour briser l’OTAN, en achetant son pétrole et son gaz, en lui fournissant les matériels et les pièces détachées dont elle avait besoin pour continuer la guerre et marcher sans trop de mal comme société civile.

L’exploitation mondiale du Reste par l’Occident est la vision du Reste, où triment pour des salaires dérisoires hommes, femmes et enfants, d’où cette inclination du Reste pour cette Russie qui ne joue pas le jeu de l’exploitation mondiale mais insiste au contraire pour rester une nation souveraine, une inclination qui manifeste que l’opposition économique entre un Occident exploiteur et un Reste du monde exploité est bien une réalité (il y a aussi le fait que Poutine est contre l’homophobie et la politique du genre et qu’il promeut le christianisme orthodoxe, ce qui séduit de nombreux pays).

Dans cette exploitation, l’Occident a laissé subsister les classes dirigeantes locales, et dans sa stratégie des sanctions, l’Occident a été inconscient que le concret de ces sanctions allait susciter dans les classes supérieures locales du Reste une peur inédite des États-Unis. Si ce sont les travailleurs du bas de l’échelle sociale qui boulonnent pour assurer le confort de l’Occident, les multiples décisions d’aider la Russie n’ont pas été prises par les travailleurs exploités, mais par les groupes dirigeants indiens, turc, saoudien, sud-africain, brésilien, argentin et tant d’autres. On aurait pu s’attendre à ce qu’ils fussent solidaires de l’Occident, où ils recyclent leurs dollars et duquel ils pourraient même s’imaginer faire partie. Les grands hôtels, les paradis fiscaux, les écoles privées américaines et anglaises où les ploutocrates de tous les pays envoient leurs enfants auraient pu, ensemble, délimiter un espace commun à tous les super riches de la planète, dans un univers post-national authentique. Mais la saisie illégale des avoirs russes à l’étranger a soulevé une vague de terreur parmi les classes supérieures du Reste du monde. En traquant l’argent et les yachts des oligarques russes, les États-Unis (et leurs vassaux) ont, de fait, menacé dans leurs biens tous les oligarques du monde, ceux des grands comme des petits pays. Échapper à l’État prédateur américain est devenu partout une obsession et se dégager de l’empire du dollar devient pour tous un objectif raisonnable. Les sanctions ont en pratique rapproché les peuples du Reste du monde de leurs privilégiés.

Les Occidentaux n’ont pas reconnu qu’en délocalisant leur industrie ils se proposaient de vivre comme une sorte de bourgeoisie planétaire, en exploiteurs du travail sous-payé du Reste du monde. Ce rapport d’exploitation a transformé les populations du Reste en prolétariat généralisé tout en laissant subsister, avec une certaine inconscience, les classes dirigeantes locales.

En 1902, pour John Hobson, il y a comme une fédération de grandes puissances qui, loin de faire avancer la cause de la civilisation mondiale, introduit le péril d’un parasitisme occidental, d’un groupe de nations industrielles avancées, dont les classes supérieures prélèvent d’énormes tributs en Asie et en Afrique, au moyen desquels elles entretiennent de grandes masses de serviteurs apprivoisés, non plus engagés dans les industries agricoles et manufacturières de base, mais maintenus dans l’exécution de services personnels ou de services industriels mineurs sous le contrôle d’une nouvelle aristocratie financière. En soumettant par exemple la Chine au contrôle économique de groupes similaires de financiers, d’investisseurs et de responsables politiques et commerciaux, on draîne le plus grand réservoir potentiel de profits que le monde ait jamais connu, afin de les consommer en Europe. C’est comme l’empire romain finissant, précipité dans l’abîme par une classe dirigeante parasitaire qui faisait la chasse aux esclaves et transformait le peuple romain en une plèbe assistée, et en route pour sa désintégration féodale. Cette prédiction aura dû attendre, pour se réaliser, l’épuisement des nations européennes dans deux guerres mondiales, le glissement du centre de gravité de l’Occident vers les États-Unis et surtout la décomposition endogène de l’Amérique et de l’Europe par l’éducation supérieure, la dissolution des croyances collectives, l’atomisation mentale de leur peuple et de leurs élites. Wells, dans La Machine à explorer le temps, décrit les bourgeois, consommant la nourriture produite par les ouvriers de l’industrie, bêtes souterraines et anthropophages, avant d’être dévorés eux-mêmes.

L’entrée de la Chine dans l’organisation mondaine du commerce, en 2001, marque le basculement de l’Occident dans le paradigme de Hobson.

Engels, en 1892, et Lénine, en 1117, établissent un lien entre le réformisme social-démocrate et la participation indirecte des classes ouvrières de l’Ouest au surprofit générés par l’impérialisme. Les prolétaires européens devaient déjà une partie de leur niveau de vie en hausse au travail des colonies. Ils étaient donc à même de négocier dans un système social qui leur devenait plus aimable. Ce que ne pouvait imaginer Engels ou Lénine, mais que Hobson avait entrevu, c’est que le prolétariat occidental pourrait être complètement transformé en une plèbe vivant largement du travail des Chinois et d’autres peuples du monde. Ce monde est advenu par la grâce de la globalisation, qui a mené la société de consommation à son stade final. Jusque vers 1980, les ouvriers occidentaux consommaient pour l’essentiel ce qu’ils produisaient : ce fut la première société de consommation, issue des 30 Glorieuses. Mais la délocalisation des usines occidentales a transformé les peuples. Les objets de leur consommation sont désormais produits ailleurs. Le prolétariat laborieux des années 1950 se mue en plèbe dans les années 2000, à l’instigation des théoriciens et des praticiens de l’économie mondialisée. Les théoriciens actuels de l’économie ne s’intéressent qu’aux consommateurs, qui doit pouvoir acheter les biens dont il a besoin au prix le moins élevé. Ces apôtres menacent sans cesse les peuples occidentaux de devoir payer plus cher leur nourriture, leurs vêtements, leur téléphone portable, leurs automobiles, leurs médicaments, les jouets de leurs enfants et leur nain de jardin s’ils s’obstinent à vouloir les fabriquer eux-mêmes. Les apôtres ont gagné, mais leur victoire a des conséquences socio-politiques qu’ils n’avaient pas anticipé.

Nous constatons le désarroi moral des ouvriers américains que l’ablation de leur valeur en tant que producteurs a privé d’utilité sociale et acculés à l’alcoolisme, à la drogue ou au suicide, la majorité votant à droite.

Pourquoi les populations qui ont survécu au démantèlement de leur industrie sont-elles maintenant de droite ? Les partis de gauche, sociaux-démocrates aux communistes, s’appuyaient sur des classes ouvrières exploitées. Les partis populistes,, s’appuient sur des plèbes dont le niveau de vie dérive largement du travail sous-payé des prolétaires de Chine, du Bangladesh, du Maghreb ou d’ailleurs. Les électeurs populaires du Rassemblement national sont des extracteurs de plus-value à l’échelle mondiale : ils sont donc très normalement de droite.

Cette analyse cruelle permet de comprendre pourquoi il est si difficile de réindustrialiser. Si la délocalisation de nombreuses activités productives a contribué à anémier de plus en plus nos provinces et nos banlieues, le libre-échange a tenu sa promesse de favoriser le consommateur aux dépens du producteur, de transformer le producteur en consommateur, et le citoyen productif en plébéien parasite, guère désireux au fond de retrouver le chemin et la discipline de l’usine.

Mais cela ne concerne pas seulement les milieux populaires. C’est l’ensemble de la société, dans le monde occidental avancé, qui profite du travail des ouvriers chinois et des enfants du Bangladesh, les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur mal payés comme les prolos, les électeurs de LFI comme des électeurs du RN. Ils vivent tous des surprofits de la globalisation.

Cette vision est celle du Reste du monde, où triment pour des salaires dérisoires hommes, femmes et enfants, d’où cette inclination pour cette Russie qui ne joue pas le jeu de l’exploitation mondiale mais insiste au contraire pour rester une nation souveraine, extérieure au système. L’opposition économique entre un Occident exploiteur et un Reste du monde exploité est une réalité.

La stratégie occidentale des sanctions a radicalisé l’antagonisme latent de l’Ouest et du Reste de deux manières : en sommant le Reste de choisir l’Occident contre la Russie et en suscitant dans les classes supérieures du Reste une peur inédite des États-Unis.

L’affrontement en Ukraine oppose la Russie aux États-Unis et à leurs alliés (ou vassaux). Cet affrontement est avant tout économique. Les Russes possèdent des missiles hypersoniques, les Américains non. Leur doctrine militaire autorise désormais Moscou à user de frappes nucléaires tactiques si l’État russe est menacé. L’engagement de l’OTAN dans une guerre conventionnelle créerait une situation trop dangereuse. L’Ukraine est donc le théâtre d’opérations conventionnelles très localisées. Les Russes, en s’interdisant de mener une vraie guerre conventionnelle, ont satisfait les occidentaux. L’envoi de matériel militaire à l’Ukraine, mais non d’hommes, s’inscrit bien dans la logique de la globalisation nous avons, dans un premier temps, fait fabriquer ce dont nous avions besoin par les travailleurs des pays à bas salaires ; dans un second temps, nous faisons faire la guerre dont nous avons besoin par un pays à bas coût. Le corps humain ne vaut pas cher en Ukraine, nous l’avons remarqué à propos de la gestation pour autrui. Le grand nombre d’amputés en Ukraine semble avoir relancé l’industrie des prothèses en Allemagne.

L’Occident a accepté de mener une guerre exclusivement économique, nous disant que la guerre économique était moins violente que la guerre tout court. Elle ne n’est pas quand elle affame des populations. Dans le cas de la guerre en Ukraine, les sanctions ont  surtout élargi à la planète le champ des opérations et donner à la guerre, instantanément, une dimension mondiale et un caractère de lutte à mort entre les États-Unis et la Russie. Remarquons que les sanctions sont inspirées par le blocus mis en œuvre par les alliés contre les empires centraux pendant le conflit de 1914, un blocus qui avait fait des centaines de milliers de morts de faim ou de maladie et qui avait joué un rôle décisif dans la victoire des alliés. Mais pour fonctionner, la sanction doit abolir la neutralité des non-belligérants et obtenir leur participation. Une guerre conventionnelle se joue entre deux acteurs, devant un monde extérieur transformé en un immense public. Ces matchs meurtriers ne sont plus possibles dans un régime de sanctions. Pour que celui-ci soit efficace, le Reste du monde doit l’appliquer. Le Reste du monde a convenu d’aider la Russie. L’Occident a découvert qu’on ne l’aimait pas. Une terrible blessure narcissique. Le Reste du monde a soutenu la Russie dans son effort pour briser l’OTAN, en achetant son pétrole et son gaz, en lui fournissant les matériels et les pièces détachées dont elle avait besoin pour continuer la guerre et marcher sans trop de mal comme société civile.

Soumettre la Russie à un blocus opérationnel était, dès le départ, un projet saugrenu qui ne pouvait résulter que du narcissisme otanien, de l’étroitesse de taille et d’esprit de la petite bande de Washington, leader opérationnel du camp occidental.

Considérons la dualité peuple – classe dirigeante dans les pays du Reste du monde. Ce sont les travailleurs du bas de l’échelle sociale qui boulonnent pour assurer le confort de l’Occident. Mais les multiples décisions d’aider la Russie, dans le Reste du monde, ce ne sont pas les travailleurs exploités qui les ont prises, mais les groupes dirigeants indiens, turc, saoudien, sud-africain, brésilien, argentin et tant d’autres. On aurait pu s’attendre à ce qu’ils fussent solidaires de l’Occident, où ils recyclent leurs dollars et duquel ils pourraient même s’imaginer faire partie. Les grands hôtels, les paradis fiscaux, les écoles privées américaines et anglaises où les ploutocrates de tous les pays envoient leurs enfants auraient pu, ensemble, délimiter un espace commun à tout les super riches de la planète, dans un univers post-national authentique. Mais la saisie illégale des avoirs russes à l’étranger a soulevé une vague de terreur parmi les classes supérieures du Reste du monde. En traquant l’argent et les yachts des oligarques russes, les États-Unis (et leurs vassaux) ont, de fait, menacé dans leurs biens tous les oligarques du monde, ceux des grands comme des petits pays. Échapper à l’État prédateur américain est devenu partout une obsession et se dégager de l’empire du dollar devient pour tous un objectif raisonnable. Les sanctions ont en pratique rapproché les peuples du Reste du monde de leurs privilégiés.

Il y a aussi le fait que les valeurs occidentales déplaisent. L’Occident est de parenté bilatérale, les ascendants et collatéraux du père, d’une part, ceux de la mère, d’autre part, pèsent d’un poids égal dans la détermination du statut social de l’enfant ; la famille, centrée sur le couple, est nucléaire. Ce système anthropologique a conduit à la démocratie libérale parce que la famille faisait préexister dans la population un tempérament libéral. Dans la phase récente qui a vu l’enseignement supérieur se développer, ce système a provoqué le surgissement du féminisme radical. Les phases ultimes de cette révolution culturelle ont été l’émancipation de l’homosexualité, le développement d’une bisexualité féminine et enfin l’idéologie transgenre. Le Reste du monde est patrilinéaire. Le statut social de l’enfant est défini par la parenté du père seulement. Le principe patrilinéaire cohabite souvent avec un système familial communautaire, peu ou pas du tout individualiste. Le principe patrilinéaire et plus ou moins intense. Si on trouve des ménages nucléaires, les valeurs anciennes, patrilinéaire, communautaire, réfractaire un féminisme radical, n’ont pas disparu pour autant les cultures patrilinéaires n’ignore pas l’émancipation des femmes, mais celle-ci n’y prend pas la forme extrême du féminisme typique du monde occidental. En Iran, il n’y a une répression des femmes, mais les femmes font désormais plus d’études que les hommes.

La carte de l’homophobie ressemble à celle de la patrilinéarité. Les Occidentaux condamnent comme arriéré tout pays hostile à l’idéologie FGTB. Ils se rendent ainsi suspects au monde patrilinéaire, homophobe et de fait opposé à la révolution occidentale des mœurs. La Russie sait que sa politique homophobe et antitransgenre séduit beaucoup de pays. Poutine surjoue le rôle de la religion orthodoxe. Cela explique le rapprochement avec l’Iran, avec la Turquie, avec l’Arabie Saoudite.

Après la chute de l’URSS, toutes les nations sont inertes,  affectées par un mouvement vers un état zéro de la religion et de l’idéologie (c’est pourquoi Poutine veut préserver la Russie d’un engagement total dans la guerre : les Russes sont des individus modernes qui pensent d’abord à leur plaisir et à leur peine, tout en étant, il est vrai, à l’abri de la forme extrême de la postmodernité qu’est le nihilisme). L’Amérique s’étend vers l’extérieur, alors qu’à l’intérieur la pauvreté et la mortalité s’accroissent. La moralité, l’éthique du travail et le sentiment de responsabilité se sont évaporés. Les décisions ont cessé d’être morales ou rationnelles. Le respect des engagements est considéré comme une chose désuète : trahir devient normal. Les dirigeants ne maîtrisent plus la séquence historique, et en particulier ne comprennent pas la marche inexorable autant qu’absurde à la guerre. La fusion du nihilisme américain avec le nihilisme ukrainien est la revanche ultime sur la raison en histoire. Dans une première phase, les États-Unis acceptent la perspective d’une paix générale, même si Brzezinski considère la liaison de l’Allemagne et de la Russie comme la menace principale et que, pour achever la Russie, il faut arracher l’Ukraine. Dans une deuxième phase, les États-Unis agrandissent l’OTAN, interviennent en Irak, en Afghanistan, en Ukraine (révolution orange). Avec la crise de 2008 et l’élection de Barak Obama, les États-Unis se retirent l’Irak, les Allemands entraînent les États-Unis en Ukraine en 2014, les États-Unis n’interviennent pas en Crimée et en Syrie. Dans la quatrième phase, les États-Unis sortent du réel, Donald Trump est élu, puis Biden. Les États-Unis sont entraînés par les nihilistes ukrainiens. Les États-Unis préfèrent l’irrationalité, la violence, l’aggravation des conflits, les guerres.

L’idéologie nihiliste occidentale transforme le principe du respect des engagements en une chose désuète, négative. Trahir devient normal.

La chute de l’URSS a remis l’histoire en mouvement. Elle a créé un vide qui a aspiré le système occidental, principalement américain, alors qu’il était lui-même en crise et s’atrophiait en son centre. Un double mouvement s’est déclenché : une vague d’expansion de l’Amérique vers l’extérieur, alors même que dans l’intérieur des États-Unis se produisait un accroissement de la pauvreté et de la mortalité. Tous les acteurs de la guerre, Russie comprise, sont affectés par le même mouvement vers un état zéro de la religion. Il ne se manifeste pas toujours par l’apparition d’un état d’esprit nihiliste, qui nie la réalité du monde et tend vers la guerre, mais partout les populations semblent incapables de se reproduire. Toutes les nations, Russie comprise, sont inertes. Aucun sentiment collectif puissant ne les anime, pour restaurer leur grandeur par des prouesses économiques, par la guerre ou tout autre projet qui unirait les citoyens dans un fervent effort commun. Là où prédominaient des formes familiales complexes, intégratrices de l’individu au groupe, subsiste un résidu de collectivité qui permet au gouvernement de mener une action plus efficace. L’Allemagne est une société machine. La Russie est aussi une nation inerte, et c’est pourquoi Poutine veut la préserver d’un engagement total dans la guerre : les Russes sont des individus postmodernes qui pensent d’abord à leurs plaisirs et à leurs peines, tout en étant à l’abri de la forme extrême de la postmodernité, à savoir le nihilisme. L’Amérique d’aujourd’hui n’est plus un État-nation. Elle a perdu sa classe dirigeante et sa capacité à fixer une direction. Le pays n’est plus structuré par ses valeurs originelles protestantes, et la moralité, l’éthique du travail et le sentiment de responsabilité se sont évaporés. Les décisions de Washington ont cessé d’être morales ou rationnelles. On ne peut donner des États-Unis l’image paranoïaque classique d’un système manipulateur efficace.

La conscience historique des acteurs occidentaux est à son plus bas. Nos gouvernements prennent des décisions mais leur vision des rapports de force planétaire et de leur évolution est fantasmatique. Leur non-conscience, et l’absence d’un projet réel qui en découle, justifie une approche chronologique : c’est l’examen des décisions concrètes des acteurs, dans d’une séquence historique qu’ils n’ont pas maîtrisée, qui permet de comprendre la marche à la guerre, inexorable autant qu’absurde. L’existence d’une composante nihiliste aux États-Unis et d’une autre en Ukraine exclut a priori une interprétation rationnelle de l’histoire. La fusion des deux nihilismes conduit à une défaite, revanche ultime de la raison dans l’histoire.

Le pourcentage du PIB consacré aux dépenses militaires est un indicateur mesurant l’intérêt des États-Unis pour la chose militaire.

Dans la première phase, dans les années qui suivent la chute de l’URSS, les États-Unis acceptent la perspective d’une paix générale. Pendant 10 ans, les États-Unis ne nourrissent pas de projet de domination mondiale.

Brzezinski considère en 1197 l’association de l’Allemagne et de la Russie comme la menace principale. Pour achever la Russie, il faut lui arracher l’Ukraine.

Dans la deuxième phase, se déroulent dix années d’hubris. La fraction du PIB consacré aux dépenses militaires remonte. Les États-Unis se mettent à rêver d’une emprise absolue sur le monde. Les échecs en Irak et en Afghanistan se succèdent. En 1999, la Pologne, la Tchéquie et la Hongrie intègrent l’OTAN et l’OTAN bombarde la Serbie, tandis que Poutine arrive. Les organisations pseudo non-gouvernementale et les hommes d’affaires américains essayent de prendre le contrôle de tout ce qui peut l’être en Russie. En 2001 c’est l’invasion de l’Afghanistan, en 2003 l’invasion de l’Irak, avec le nihilisme de Pauwel, un nihilisme qui nie la réalité et la vérité et voue un culte aux mensonges. En 2001, la Chine entre à l’OMC. La Chine décime l’industrie américaine, la Russie se redresse. Poutine gagne la deuxième guerre de Tchétchénie. En 2004, l’OTAN intègre la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie, la Slovénie, la Bulgarie, la Roumanie. La ruée vers l’est continue : c’est la révolution orange en Ukraine de novembre 2004 à janvier 2005. La russophobie apparaît en 2005 : la mise au pas des oligarques russes choque aux États-Unis, alors qu’aux États-Unis, les oligarques sont en train de l’emporter sur l’État, et surtout, ce qui inquiète, c’est le front commun germano-franco-russe contre la guerre d’Irak. En 2007, Poutine dit que la Russie n’acceptera pas un monde unipolaire. Les États-Unis parlent d’intégrer dans l’OTAN l’Ukraine et la Géorgie. En 2008, les Russes annexent l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie aux dépens de la Géorgie.

La troisième phase est le temps du repli, avec la crise de 2008 des subprimes et l’élection de Barak Obama, président pacifique d’instinct. Les dépenses militaires régressent. En 2012, la Russie entre à l’OMC. Obama refuse d’armer l’Ukraine, parvient à un accord avec l’Iran, retire des forces de l’Irak en 2011. En 2009 l’OTAN intègre la Croatie. En 2010, l’espérance de vie des Américains blancs de 45 à 54 ans commence à baisser en 2011 éclatent des révolutions en Tunisie, en Algérie, en Jordanie, en Égypte, au Yémen, à Bahreïn, en Libye, au Maroc et en Syrie. Les Américains se laissent entraîner dans une intervention en Libye. En 2013 la Russie accorde l’asile politique à Snowden. L’Allemagne abandonne le nucléaire et construit Nord stream. L’Allemagne accueille 1 000 000 de réfugiés syriens. En 2014, les Allemands entraînent des États-Unis en Ukraine. La Russie récupère la Crimée. En 2015, la Russie intervient en Syrie. Les Américains ne bougent pas.

La quatrième phase correspond à une sortie totale du réel de la part des États-Unis, qui tombent dans le piège de la guerre d’Ukraine. Les dépenses militaires augmentent de manière insignifiante. Le rêve nihiliste des nationalistes ukrainiens a appâté les États-Unis. En 2016, Royaume-Uni se prononce en faveur du Breaksit et Donald Trump est élu président des États-Unis. Nous allons assister à des décisions stratégiques dépourvues de logique. Des aléas purs. Il n’y a pas de cohérence dans la politique extérieure. Trump arme les ukrainiens. Les néoconservateurs ne parviennent pas à s’identifier à Trump. Le protectionnisme ne peut aboutir : les États-Unis ne parviennent pas à développer une industrie de substitution aux importations. De toute façon la main-d’œuvre qualifiée nécessaire n’existe plus. Trump reconnaît Jérusalem comme capitale d’Israël. Il dénonce l’accord avec l’Iran, prend des sanctions contre le Venezuela, signe avec les talibans un accord de retrait, menace de quitter l’OTAN. L’OTAN s’élargit en absorbant le Monténégro en 2017 et la Macédoine du Nord en 2020.

Biden est élu en novembre 2020. Les troupes américaines se retirent d’Afghanistan en août 2021. L’État américain se scinde en divers organes – l’armée, la police, la marine, les services de renseignements, etc. –, lesquelles agissent sans contrôle ni coordination. Les États-Unis sont entraînés malgré eux en Europe. Le gouvernement de Kiev poursuit son rêve impossible, nihiliste, de récupérer le Donbass et la Crimée et d’asservir des populations russes en leur interdisant l’usage de leur langue. La résistance efficace de Kiev crée l’illusion d’une victoire, tournant la tête des néoconservateurs. Le nihilisme américain se met à vibrer en phase avec le nihilisme ukrainien. Les éphémères succès militaires du nationalisme ukrainien lancent les États-Unis dans une surenchère d’où ils ne peuvent sortir sous peine de subir une défaite globale, militaire, économique et idéologique. La défaite, ce serait le rapprochement germano-russe, la dédollarisation du monde, la fin des importations payées sur la planche à billets collective interne, une grande pauvreté. L’état sociologique zéro de l’Amérique nous interdit toute prédiction raisonnable quant aux décisions ultimes que prendront ses dirigeants : le nihilisme rend tout possible.

30 septembre 2023.

Dans la guerre qui tue surtout des civils en Palestine, on voit la préférence de Washington pour la violence, pour l’aggravation du conflit : déplacement d’un porte-avions, visite de Biden, refus de voter la trêve humanitaire. L’engagement irréfléchi et sans nuance du côté d’Israël est un symptôme suicidaire. La Russie apparaît comme une force de paix : pour le monde arabe, elle est désormais le seul bouclier possible contre la violence renouvelée des États-Unis. La préférence de Washington pour la guerre nous incite à imaginer qu’un jour les Israéliens se tourneront finalement vers la Russie. Il n’y a plus de rationalité en États-Unis. Ils ne sont pas à la recherche de gains, en évaluant des coûts. Dans le village de Washington, pays des fusillades de masse, à l’heure de la religion zéro, la pulsion première est un besoin de violence.

30 octobre 2023.

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