Le consensus contre Robespierre, contre la révolution de 93 et son droit à l’existence, est toujours présent

Marc Belissa et Yannick Bosc dans « Le Média », il y a quatre ans (7 juin 2019), interrogé par Julien Théry. Yannick Bosc, Hugo Rousselle Nerini, Stéphanie Roza dans « Le Vent Se Lève », il y a un an (3 février 2023).

Nous avons vu, avec les études du linguiste et historien Grover Furr, l’analyse item par item de la vérité des affirmations sur Staline, des affirmations qui constituent ce que Domenico Losurdo appelle une légende noire, des affirmations qui constituent le paradigme antistalinien, c’est-à-dire un ensemble de mensonges et de non-dits sur Staline. Ce consensus antistalinien est complètement dominant actuellement.

On pourrait faire le même travail linguistique et historique sur toutes les affirmations, la plupart du temps négatives, concernant le communisme, les pays communistes et les pays qui ne se soumettent pas à l’impérialisme des États-Unis et des pays de l’OTAN (et particulièrement on pourrait faire le même type d’analyse sur les mensonges et les non-dits des gouvernements et des médias quant aux événements actuels en Ukraine ou en Palestine).

 On peut faire la même analyse avec les affirmations sur Robespierre d’une grande partie du monde intellectuel et médiatique, des affirmations qui, à force d’être répétées, constituent un consensus. Des universitaires ont eu le courage de faire un florilège, un bêtisier du travestissement de l’histoire de la Révolution française, avec des choses qui revenaient, puis des choses qui disparaissaient, et à chaque fois ces universitaires ont la patience d’essayer d’analyser les mensonges, les silences, les déformations, et si possible leurs causes. Le consensus contre Robespierre est fluctuant, en fonction des circonstances.

Le consensus contre Robespierre est souvent aussi le consensus contre la révolution de 93.

Le 9 thermidor, c’est l’exécution de Robespierre et de ses amis, les cadavres étant désintégrés dans la chaux, pour qu’on ne puisse pas retrouver les os (comme cela avait été fait pour le cadavre de Louis XVI), et c’est la diabolisation immédiate de Robespierre, avec destruction des archives pouvant mettre en cause cette diabolisation.

Ainsi, on repose sur le bureau de Robespierre un faux sceau avec fleur de lys pour « démontrer » que Robespierre voulait devenir roi, reprenant les rumeurs de la presse girondine qui circulaient depuis 1790 (cela fait penser à la fiole montrée aux Nations unies le 5 février 2003 « démontrant » la présence d’armes de destruction massive en Irak).

On invente un Robespierre monstre, tyran sanguinaire qui voulait renverser la Convention, écraser toute la France, une diabolisation qui permet de balayer le programme politique que Robespierre mettait en œuvre (ce qui fait penser au coup d’État sanguinaire de Kroutchev de 1953 et sa diabolisation de Staline, une diabolisation pour « justifier » les assassinats sans procès des membres du groupe Staline, l’abandon du communisme et l’adoption d’une social-démocratisation du communisme). 

La fable de Robespierre roi n’étant plus tellement crédible, on la remplace par la fable que le triumvirat Robespierre – Saint Just – Couthon (un triumvirat qui n’a jamais existé) voulait se partager la France après le massacre d’une grande partie de la population française, grâce à une guillotine à neuf têtes, un sanguiduc – un aqueduc de sang –, et des employés remuant le sang pour éviter qu’il coagule. Cette dépopulation aurait permis de niveler, de partager les terres (cela fait penser aux 40 bébés décapités le 7 octobre 2023 et au refus du gouvernement israélien d’accepter une enquête demandée par des citoyens israéliens sur ce qui s’est vraiment passé le 7 octobre).

On présente Robespierre comme un dictateur, alors que Robespierre n’a jamais eu un pouvoir personnel (le Comité de salut public était une commission renouvelée tous les mois par la Convention), à tel point qu’il n’y a eu aucun problème pour l’arrêter et l’exécuter, à la suite du changement de majorité de la Convention. Simplement, Robespierre avait une popularité extraordinaire, il exerçait donc un magistère moral (cela fait penser au Staline « dictateur », qui en fait était très populaire en URSS, même s’il était souvent en minorité dans la direction du pays, ce que Kroutchev a appelé le culte de la personnalité et la dictature ; remarquons que les dirigeants soviétiques étaient d’autant plus populaires dans les médias occidentaux qu’ils étaient impopulaires chez eux).

On présente Robespierre comme l’initiateur de la fête de l’être suprême, alors qu’en réalité, il s’agit d’une initiative de la base, une initiative des comités locaux dans toute la France, Robespierre n’étant présent qu’en tant que délégué du Comité de salut public.

On invente la vie privée de Robespierre : il a des maîtresses un peu partout, il est un incapable, un monstre sexuel, un arriviste, un hypocrite, une sale gueule. On détruit ou on falsifie les archives. On invente une biographie de Robespierre.

Cette falsification se continue au vingtième siècle, sous d’autres formes.

Ainsi Mona Ozouf, dans le livre de Pierre Nora sur la mémoire, reprend la fausse information que la devise républicaine liberté-égalité-fraternité a pour origine non Robespierre mais le club des Cordeliers, avec Danton derrière, car, pour Alphonse Aulard, professeur à la Sorbonne au début du vingtième siècle, c’est Danton qu’on doit mettre en avant, et la IIIe République se reconnaît dans Danton. On a ainsi fabriqué de fausses origines au triptyque républicain pour éviter de parler de Robespierre à un moment où il était persona non grata dans le paysage politique.

Ainsi Hannah Arendt, l’introductrice de la pensée nazie dans le monde anglo-saxon, disqualifie la révolution de 93 et met au premier plan la Révolution américaine, sans préciser quelle est une révolte des propriétaires d’esclaves et génocidaires d’Indiens contre la Grande-Bretagne qui veut abolir l’esclavage.

Ainsi, François Furet, reprenant l’interprétation de la révolution par l’historien d’extrême droite Pierre Gaxotte, voit dans la révolution de 93 les prémisses du totalitarisme.

Ainsi, du fait que les nouveaux philosophes, les antitotalitaires, les néoconservateurs ont fait de Robespierre le précurseur des totalitarismes, lors du bicentenaire de la Révolution, on ne parle pas de Robespierre (il est vrai que de nombreux historiens de l’époque s’intéressent peu aux personnages politiques et plus au paradigme économique et social de Labrousse ; Mazauric est un des seuls à travailler sur Babeuf et sur Robespierre ; Vovelle, qui a participé au bicentenaire, travaille sur les mentalités et n’a pas tellement de goût pour la politique).

Ainsi, Michel Onfray fabrique le mythe du Condorcet féministe, athée, homme de gauche (alors que Condorcet fait partie de la droite républicaine et libérale, de la Gironde, opposée à la Montagne), pour stigmatiser Robespierre comme antiféministe, catholique, religieux, tyran opposé au mouvement populaire. L’opposition assez simpliste entre les bons athées qui sont de gauche et les méchants catholiques qui sont de droite oublie que la gauche n’est pas simplement fondée sur des questions culturelles, mais d’abord sur des questions de lutte de classes. Quand on regarde du côté de la lutte des classes, c’est un peu plus compliqué : est finalement de gauche celui qui parle d’émancipation, qui parle de lutte de classes, qui parle d’exploitation économique, qui parle d’égalité réelle.

Il faut ajouter aux mensonges et déformations tous les non-dits, l’absence de référence à la révolution de 93, l’absence de rue Robespierre dans Paris (une commune dirigée par des socialistes), l’absence de référence au droit à l’existence et plus généralement aux droits naturels, l’absence de référence à l’économie fraternelle qui était portée en 1793 par le peuple en révolution, un peuple qui demandait le droit à l’existence, ce qui supposait une limitation politique du marché et du droit de propriété, la gestion du bien commun au plus près du contrôle du peuple souverain et le droit à l’insurrection en cas de tyrannie, de guerre et d’anarchie (ce qui fait penser aux dénis actuels de réalité, quand le gouvernement et les médias nous disent qu’il n’y a pas eu de coup d’État en Ukraine en 2014, qu’il n’y a pas de réhabilitation des assassins de juifs en Ukraine actuelle, qu’il n’y a pas eu de massacre de populations civiles de la part du régime de Kiev et de ses milices ultranationalistes et nazies).

1 La fabrication du consensus contre Robespierre et contre la révolution de 93.

Le consensus contre Robespierre fabrique une fausse origine au triptyque républicain, fait de Robespierre le précurseur des totalitarismes et le transforme en catholique opposé au mouvement populaire.

Les thermidoriens fabriquent la mythologie sur la fête de l’être suprême et sur la soi-disant religiosité de Robespierre.

Le consensus contre Robespierre, à qui on substitue Danton, dont le rôle historique est mineur, s’associe au consensus contre la révolution de 93 – pourtant la première révolution sociale de l’histoire, la première révolution qui cède à des revendications importantes de la population –, à laquelle on oppose la « bonne » révolution de 89, ou mieux encore, la « très bonne » Révolution américaine, « la meilleure » de toutes les révolutions selon Hannah Arendt – pourtant pas tellement une révolution mais plutôt une révolte des propriétaires d’esclaves et des génocidaires d’Indiens contre une Grande-Bretagne qui veut abolir l’esclavage.

2 Naissance historique de la première révolution sociale.

La Terreur est, dans l’histoire, la première révolution sociale, et cette révolution est menée par la fraction la plus radicale de la bourgeoisie révolutionnaire en symbiose avec l’insurrection populaire. C’est le premier gouvernement à avoir cédé à des revendications populaires importantes.

Le roi et l’aristocratie n’acceptent pas 1789, essayant en coulisse de préparer un retour en force. La tentative de fuite du roi le 2 juin 1791 fait tomber le masque. L’Assemblée nationale constituante de 1789  a peur de la destruction de la royauté et de la destruction de la propriété.

 Le 17 juillet 1791, La Fayette fait tirer sur la foule : c’est la fracture entre les monarchistes et les républicains.

Le 1er octobre 1791, l’Assemblée législative commence. Le 20 avril 1792, la France déclare la guerre à l’Autriche et, avec les difficultés économiques, la fracture s’aggrave.

La Montagne est prête à prendre des mesures contre la misère du peuple, à prendre en charge ses revendications matérielles essentielles.

 A l’été 1792, l’Assemblée législative déclare la patrie en danger, la capitale est menacée de destruction et chez les sans-culottes grandit la crainte d’un complot de la cour.

Le 10 août 1792, les sans-culottes assiègent les Tuileries avec de nombreux morts, prennent le roi et le traînent devant l’Assemblée législative, qui suspend le roi. En septembre 1792, la Convention nationale commence.

Ceux qui veulent épargner le roi s’appuient sur la Constitution de 91 qui n’a pas encore été abrogée.

Saint-Just et Robespierre veulent la solidarité politique avec l’insurrection du 10 août et demandent le jugement du roi.

Avec l’exécution du roi le 21 janvier 1793, la Convention nationale se solidarise avec l’insurrection populaire sur le plan politique et, pas important supplémentaire, elle se solidarise avec l’insurrection populaire sur le plan social : expulsion des Girondins, peine de mort pour les accapareurs, maximum sur le prix des denrées de première nécessité, confiscation des biens des ennemis de la Révolution.

 La Constitution de 93 va à l’encontre des projets de Robespierre de limiter le droit de propriété par le droit à la subsistance, le droit au travail, le droit à l’assistance. Le Comité de salut public, désigné chaque mois par la Convention nationale, réprime les leaders enragés, qui veulent aller plus loin dans les entraves au droit de propriété au bénéfice des plus pauvres. L’argument de la Convention nationale est que la surenchère à gauche aurait aliéné la fraction bourgeoise qui avait accepté le compromis de la Terreur.

Il reste qu’il s’agit du premier gouvernement révolutionnaire à avoir cédé à des revendications populaires importantes.

 Philippe Buonarroti et Babeuf considèrent que ce gouvernement s’acheminait vers l’égalité parfaite. Marx admire l’audace révolutionnaire des Jacobins et en même temps critique la non-abolition du droit de propriété.

3 Le projet républicain de la Montagne demande à ce que le droit à l’existence soit le droit qui structure la république, ce qui suppose que le droit de propriété n’empiète pas sur la liberté et le droit à l’existence de tout un chacun. Ce projet, qui est proche des positions populaires, s’oppose au projet républicain de la Gironde, qui croit aboutir à l’égalité par le ruissellement des plus riches vers les plus pauvres. Le projet de la Montagne inquiète la Convention, qui exécute Robespierre et ses amis.

Le projet républicain de la Gironde est pour une république bourgeoise, une république propriétaire, une république libérale, avec liberté illimitée du commerce (le marché produit une égalisation entre les riches et les pauvres, par le jeu de l’offre et de la demande, par un effet de ruissellement) et un système représentatif dans lequel les citoyens n’interviennent qu’une fois au moment du vote. Le peuple finalement n’exerce aucun pouvoir, ses représentants l’exerçant pour lui.

 Le projet républicain de la Montagne est pour une démocratie active où le fait de voter n’est pas le seul acte du peuple souverain. Aux législatives, le peuple souverain ne délègue pas sa souveraineté, il délègue l’exercice de sa souveraineté, mais contrôle cet exercice, ne se laissant pas déposséder, restant partie prenante du législatif.

 Le projet est proche des positions populaires puisqu’il demande à ce que le droit à l’existence soit le droit qui structure la république : pour avoir droit à la liberté, il faut pouvoir exister. L’existence, c’est le droit de vivre heureux, dignement et libre, mais avec une certaine répression, car la liberté du propriétaire s’arrête où commence la liberté des autres. On ne peut laisser au marché la politique : la politique, au contraire, doit prendre en charge l’économie, et ce qu’on laisse au marché, cela doit être une décision du peuple souverain. Il n’y a de république que si les principes de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen sont mis en œuvre. La démocratie est représentative avec participation des citoyens, autrement dit la représentation est soumise au contrôle du peuple souverain : la démocratie n’est donc pas un gouvernement représentatif, puisque la démocratie implique un contrôle et une possibilité de révocation des élus.

Ainsi en juin 93, les gens ont retiré leur confiance aux girondins, et on a appelé à leur place des suppléants.

 Robespierre inquiète la Convention quand il veut lutter contre la corruption des élus, quand il est attentif à la vertu des représentants, quand il exige que le député préfère l’intérêt commun aux intérêts particuliers, quand il veut limiter le pouvoir des représentants, et pour cela quand il décentralise au maximum, avec les finances au niveau du département, le pouvoir exécutif au niveau des communes, définissant une économie politique populaire compatible avec une société républicaine.

Le neuf thermidor, la nouvelle majorité de la Convention, qui veut conserver ses privilèges de député, fait exécuter Robespierre et ses amis et commence la diabolisation de Robespierre, qui devient un monstre, un tyran sanguinaire, ce qui permet de balayer le programme politique qui commençait à être mis en œuvre, en particulier la Constitution de 93. Les archives sont falsifiées ou éliminées. On fabrique toute une mythologie noire sur Robespierre et sur la révolution de 93.

4 Le droit à l’existence est un droit naturel qui comprend le droit au travail, le droit à la sûreté, le droit la subsistance, le droit à l’assistance, mais aussi, en dernier recours, le droit à l’insurrection.

Le droit à l’existence, c’est assurer comment on nourrit la société, comment on lui garantit la santé, comment on lui garantit les secours, comment on lui garantit l’éducation, comment on lui assure du travail, et si on ne peut pas lui assurer du travail, comment on lui garantit l’assistance. Il s’agit de garantir la justice et l’ordre public.

La chose la plus précieuse qui existe chez l’homme, c’est sa vie, ce qui implique le droit à la sûreté, le droit de protéger les biens et les personnes, le droit à l’existence, qui est une façon de résister aux pressions, aux accapareurs, aux oppresseurs. Le droit à l’existence est, pour les philosophes des Lumières et pour les révolutionnaires, inhérent à la personne humaine, c’est un droit naturel : la propriété n’est donc pas un droit absolu, elle a vocation à être partagée. Ce droit à l’existence peut être réclamé, il est un dû, il est un programme, et il comprend non seulement le droit au travail, mais le droit à l’insurrection. Ce droit à l’existence correspond à une morale populaire, à des aspirations populaires qui peuvent se concrétiser dans des utopies. Il y a historiquement le droit à la subsistance, comme fondement du pacte entre le prince et la plèbe, le prince approvisionnant la ville et redistribuant les subsistances, garantissant une sorte de droit à la subsistance. Il y a historiquement aussi le droit à l’assistance, qui est assuré par l’Église, les communes, l’administration, et souvent l’assistance est coercitive, le pouvoir voulant réguler et amender les pauvres par le travail. Certains théologiens affirment que, quand le pauvre se saisit, dans une situation de nécessité, de subsistances du riche, il reprend ce qui lui appartenait dans la communauté primitive d’Adam et Ève. Il y a des moments où le peuple s’insurge, va fixer un taux maximum aux prix des substances de première nécessité et va punir les accapareurs. Le pacte de subsistance n’est pas tout à fait le droit à l’existence, dans la mesure où il est un pacte de sujétion (en échange de la protection, on doit obéissance).

Le pacte de subsistance est rompu avec les lois de libéralisation de Louis XV et Louis XVI, ce qui explique en partie la Révolution.

5 Le principe de fraternité constitue la base du système républicain de la liberté et de l’égalité. Cette économie fraternelle est portée par le peuple en révolution, qui demande le droit à l’existence, ce qui suppose une limitation politique du marché et du droit de propriété, la gestion du bien commun au plus près du contrôle du peuple souverain et le droit à l’insurrection en cas de tyrannie, de guerre et d’anarchie.

La Terreur est la mise en œuvre d’une économie fraternelle : le principe de fraternité, et non le principe de propriété, constitue la base du système républicain de la liberté et de l’égalité. La circulation libre des grains exige que les propriétaires alimentent le marché, ce qui comporte une contrainte, un dirigisme, une intervention à l’égard des propriétaires, au service de la liberté. La liberté sans frein du propriétaire entrave la libre circulation en engendrant la spéculation et les monopoles. La liberté sans frein des propriétaires ne peut pas fonder le monde social : la spéculation mercantile qui touche les biens nécessaires à la vie et qui se fait aux dépens de la vie de mon semblable, porte atteinte à la fraternité et constitue du brigandage, un fratricide.

Cette économie fraternelle n’est pas portée seulement par les Conventionnels, mais par le peuple en révolution, quand il dénonce l’accaparement, quand il oppose l’égoïsme de l’intérêt particulier au lien fraternel qui devrait unir l’ensemble des citoyens, quand il rappelle aux représentants du peuple qu’ils doivent intervenir, puisque les riches sont insensibles, puisque les riches ne regardent pas les pauvres comme des frères et qu’ils manquent donc à leur devoir de citoyen.

Au nom de son droit à l’existence, le peuple a le droit de borner l’exercice du droit de propriété, car le droit de propriété ne doit pas à nuire à autrui, car la propriété a pour borne l’étendue des besoins physiques.

 La république doit assurer à chacun les moyens de se procurer les denrées de première nécessité, sans lesquelles il ne pourrait conserver son existence au sein de l’économie fraternelle.

La propriété n’est pas le rapport d’un homme à une chose, mais le rapport des hommes avec cette chose : la propriété est un rapport social, et la liberté du propriétaire est donc conditionnée par la liberté des autres.

Tout ce qui concerne la vie, tout ce qui concerne la nécessité que j’ai de me nourrir, de travailler et d’exister ne peut être laissé au marché et au libre égoïsme des commerçants.

Les questions qui touchent à notre existence sont un bien commun qui va donc être administré en commun par l’ensemble du peuple souverain.

 Les aliments nécessaires à l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable pour conserver la vie est une propriété commune à la société entière. La propriété commune est indispensable à la vie, elle doit être administrée en commun. La propriété commune est une chose publique, une chose commune, une res publica, placée au plus près possible du contrôle du peuple souverain, constamment délibérant. Il n’y a que l’excédent qui peut être une propriété individuelle et abandonné à l’industrie des commerçants.

 L’économie dirigée n’est pas aux mains d’une administration aux ordres d’un pouvoir exécutif centralisé, mais doit être contrôlée au plus près par la population : les municipalités et les comités révolutionnaires locaux ont le pouvoir exécutif des lois révolutionnaires.

 Lorsqu’au sein d’une république le droit à l’existence n’est pas garanti, les liens communautaires, dont la fraternité est l’expression, se dissolvent, et les droits ne sont plus assurés.

 Le droit à l’existence est la base du contrat social et c’est un droit naturel imprescriptible. Les droits de l’homme doivent pourvoir à la conservation de notre existence et à la liberté. Les accapareurs qui utilisent leur droit de propriété sans tenir compte d’autrui, se mettent en dehors de l’état social en bafouant le principe de fraternité qui permet de faire communauté. Ils ignorent le bien commun, ils ignorent les principes de la déclaration des droits lorsqu’ils utilisent la liberté pour attenter à la liberté des autres, devenant ainsi des ennemis de leurs frères, rompant le contrat social.

 Le principe de fraternité se définit par l’agir citoyen, par l’action et n’existe que dans l’action.

 Le principe de fraternité implique que les hommes ne forment une société, donc une république, que si et seulement si le droit à l’existence du plus faible d’entre eux est garanti. Si cette condition n’est pas effective, il n’y a pas un état social entre les hommes, il n’y a pas de république, mais un état de guerre.

 L’état de guerre est un état dans lequel le droit naturel à la liberté de chacun, qu’on pourrait appeler le droit égal à la liberté, n’est pas garanti. Dans un état de guerre, c’est la droit du plus fort, du dominant, du conquérant : on est dans une tyrannie.

 On revient alors sur cette idée du droit à l’insurrection, du droit de résistance à l’oppression, qui s’impose aux citoyens comme action en dernier recours. Les principes républicains reposent en dernier recours sur ce régulateur qu’est le droit à l’insurrection. Ce sont ces principes républicains que les thermidoriens rejettent en les qualifiant de terreur et d’anarchie.

 Alors que le consensus actuel nous fait croire que le marché renvoie à la liberté et l’État à l’égalité, l’égalité impliquant un renoncement à la liberté, puisque la réduction des inégalités interfère avec la liberté individuelle en la contraignant, la fraternité signifie qu’il ne peut y avoir de liberté sans égalité : chacun doit disposer d’un droit égal à la liberté pour qu’il y ait cette fraternité. Au sein de l’économie fraternelle, la liberté et l’égalité ne sont pas en concurrence. L’objet de cette économie fraternelle n’est pas le marché ou l’État, mais le bien commun, la chose publique, le bien public, la chose commune et donc la République.

 Le consensus dominant contre Robespierre et contre la révolution de 93 ne comprend pas cela, voyant dans le jacobinisme, d’une part, le fer de lance de la révolution bourgeoise, fondée sur la liberté économique, et d’autre part, le dirigisme, comme prémisse du totalitarisme.

La Terreur est la première révolution sociale.

1 Stéphanie Roza : le roi et l’aristocratie n’acceptent pas 1789, essayant en coulisse de préparer un retour en force. La tentative de fuite du roi le 2 juin 1791 fait tomber le masque. L’Assemblée nationale constituante de 1789  a peur de la destruction de la royauté et de la destruction de la propriété. Le 17 juillet 1791, La Fayette fait tirer sur la foule : c’est la fracture entre les monarchistes et les républicains. Le 1er octobre 1791, l’Assemblée législative commence. Le 20 avril 1792, la France déclare la guerre à l’Autriche et, avec les difficultés économiques, la fracture s’aggrave. La Montagne est prête à prendre des mesures contre la misère du peuple, à prendre en charge ses revendications matérielles essentielles. A l’été 1792, l’Assemblée législative déclare la patrie en danger, la capitale est menacée de destruction et chez les sans-culottes grandit la crainte d’un complot de la cour. Le 10 août 1792, les sans-culottes assiègent les Tuileries avec de nombreux morts, prennent le roi et le traînent devant l’Assemblée législative, qui suspend le roi. En septembre 1792, la Convention nationale commence. Ceux qui veulent épargner le roi s’appuient sur la Constitution de 91 qui n’a pas encore été abrogée. Saint-Just et Robespierre veulent la solidarité politique avec l’insurrection du 10 août et demandent le jugement du roi. Avec l’exécution du roi le 21 janvier 1793, la Convention nationale se solidarise avec l’insurrection populaire aussi sur le plan social ; expulsion des Girondins, peine de mort pour les accapareurs, maximum sur le prix des denrées de première nécessité, confiscation des biens des ennemis de la Révolution. La Constitution de 93 va à l’encontre des projets de Robespierre de limiter le droit de propriété par le droit à la substance, le droit au travail, le droit à l’assistance. Le Comité de salut public, désigné chaque mois par la Convention nationale, réprime les leaders enragés, qui veulent aller plus loin dans les entraves au droit de propriété au bénéfice des plus pauvres, avec l’argument que la surenchère à gauche aurait aliéné la fraction bourgeoise qui avait accepté le compromis de la Terreur. Il s’agit du premier gouvernement révolutionnaire à avoir cédé à des revendications populaires importantes. Philippe Buonarroti et Babeuf considèrent que ce gouvernement s’acheminait vers l’égalité parfaite. Marx admire l’audace révolutionnaire des Jacobins et en même temps critique la non-abolition du droit de propriété.

La Terreur est une révolution sociale. Il faut raisonner en termes de forces sociales. La Terreur s’interprète comme une alliance entre la bourgeoisie révolutionnaire et le peuple.

Il faut rappeler que le roi et son entourage, et plus largement l’aristocratie française, n’ont jamais accepté 1789, qu’ils ne reculent que quand ils sont contraints et forcés, qu’ils essayent en coulisse de préparer un retour en force, avant même que quiconque se pose le problème d’abolir la monarchie.

Il faut rappeler aussi l’événement qui fait tomber le masque, qui révèle les véritables intentions de la famille royale, à savoir la tentative de fuite du roi et de sa famille au matin du 2 juin 1791, pour lancer la contre-révolution armée avec l’aide des puissances européennes, et avec l’arrestation à Varennes, c’est le moment de la rupture morale entre le roi et le peuple en révolution.

Les Constituants essayent de faire croire sans y parvenir que le roi a été enlevé. Barnave le 15 juillet s’inquiète : allons-nous terminer la révolution ou allons-nous la recommencer ? Un pas de plus serait un acte funeste et coupable, un pas de plus dans la ligne de la liberté serait la destruction de la royauté et un pas de plus dans la lignée de l’égalité sera la destruction de la propriété. Le lien est fait entre préserver la monarchie et garantir la propriété privée.

Le 17 juillet, manifestation publique en faveur de la République au Champ-de-Mars. La garde nationale, qui est commandée par Lafayette, ouvre le feu : à partir de ce moment, la fracture est entre ceux qui veulent protéger la monarchie et la propriété et ceux qui veulent abolir la monarchie.

Le 20 avril 1792, avec la guerre, les premières semaines catastrophiques, les difficultés économiques, le clivage s’aggrave entre ceux qui s’accrochent au principe de liberté absolue du commerce et ceux qui réclament que le commerce soit réglementé pour subvenir aux besoins alimentaires du peuple. Les choix de politique sociale sont au cœur du débat. Pour les Girondins, la priorité est de préserver le droit absolu de propriété, donc la liberté de disposer des marchandises pour chacun des propriétaires. Pour les Montagnards et les représentants politiques de la sans-culotterie, il faut conclure une alliance ferme avec le peuple, ce qui ne peut se faire que si on prend en charge les revendications matérielles essentielles de ce peuple. Derrière le clivage entre monarchistes et républicains, il y a le clivage sous-jacent entre ceux qui veulent le statu quo social (préserver la liberté absolue du commerce et le droit absolu de propriété) et ceux qui sont prêts à prendre des mesures contre la misère du peuple.

A l’été 1792, l’assemblée déclare la patrie en danger. Le duc de Brunschvicg, dans un manifeste, menace la capitale de destruction s’il est fait le moindre mal à la famille royale. Chez les sans-culottes grandit la crainte d’un complot de la cour. Le 10 août, les sans-culottes insurgés, assiègent les Tuileries avec de nombreux morts, prennent le roi et le traînent devant l’assemblée, qui refuse la déchéance mais suspend le roi, confiant à la prochaine Convention la mission de décider (la Convention est la première assemblée élue au suffrage universel). Le débat sur le sort du roi commence en septembre. L’instruction du procès dure jusqu’au 6 décembre. Aux quatre coins du pays, il y a des discussions dans les sections et dans les clubs, avec des adresses à l’assemblée qui demandent le jugement du roi, voire sa mise à mort. Ceux qui veulent épargner le roi s’appuient sur la Constitution de 91 qui n’a pas encore été abrogée. Le 13 novembre, Saint Just considère que le roi n’a jamais fait partie de la communauté politique parce qu’il est au-dessus des lois : il n’est engagé à rien et on ne lui doit rien. Le roi n’est pas un citoyen puisqu’il n’est pas lié par un système de droits et de devoirs aux autres citoyens. C’est un ennemi pris les armes à la main, un étranger parmi nous, un rebelle, un usurpateur, parce qu’il a déjà trahi et parce qu’il présente un danger potentiel. Le droit naturel est supérieur aux lois injustes. Le 3 décembre, Robespierre considère qu’il n’y a pas de sentences prononcées, mais une mesure de salut public, une mesure politique : admettre la possibilité que le roi soit jugé, c’est mettre la révolution en litige, une marque d’hésitation dont profiteraient les ennemis de la révolution et surtout ce serait remettre en cause l’insurrection populaire du 10 août (le sang versé réclame vengeance). Ces deux députés sont ceux qui mettront en place sous la Terreur un ensemble de dispositifs de plafonnement du prix du pain, qui procéderont à une certaine redistribution en faveur des plus pauvres : l’alliance avec le peuple se joue à la fois sur le plan politique (on se solidarise de l’insurrection populaire du 10 août) et sur le plan social (en fait droit à la revendication d’un maximum).

L’exécution du roi le 21 janvier 1793 est une victoire pour les sans-culottes parce qu’elle signifie que la Convention se solidarise avec l’insurrection populaire et que le despotisme est vaincu. Les Montagnards vont être fidèles : expulsion des Girondins, peine de mort pour les accapareurs, maximum sur le prix des denrées de première nécessité, confiscation des biens des ennemis de la révolution au profit d’un certain nombre de patriotes indigents. Cependant, la version finale de la Constitution de 93 va à l’encontre des projets de Robespierre de limiter le droit de propriété par le droit à la subsistance. Il y a donc une tension dans cette Constitution avec d’un côté la garantie du droit à la subsistance, du droit au travail et du droit à l’assistance, mais en même temps le droit de propriété est maintenu dans sa forme la plus absolue. Il s’agit d’un compromis social et politique entre la bourgeoisie et le peuple, un compromis qui va tenir par la répression des aristocrates et des ennemis de la révolution, mais aussi la répression des contestataires internes, notamment les contestataires de gauche : le Comité de salut public fait exécuter les leaders enragés, qui représentaient la tendance à vouloir aller plus loin dans les entraves au droit de propriété au bénéfice des plus pauvres. L’argument des Montagnards est que la surenchère à gauche aurait aliéné à la Révolution la fraction bourgeoise qui avait accepté le compromis de la Terreur. En bref, on passe un compromis entre les intérêts bourgeois et les intérêts du peuple.

Malgré ses limites, la Terreur reste dans la mémoire des militants républicains radicaux jusqu’au babouvisme, donc jusqu’au collectivisme, comme un épisode glorieux. Le gouvernement révolutionnaire reste le premier gouvernement de l’histoire à avoir cédé à des revendications populaires importantes. Philippe Buonarroti et Babeuf considèrent que la Terreur est un acheminement vers l’égalité parfaite. A l’intérieur de cette mémoire positive, il y a des discussions, des divisions internes : il faut aller plus loin que la Montagne sur la voie de l’égalité sociale. Marx admirait l’audace révolutionnaire des Jacobins et en même temps critiquait les limites de l’émancipation politique, qui l’oppose à l’émancipation humaine, qui est l’émancipation politique plus l’abolition du droit de propriété.

2 Marc Belissa et Yannick Bosc : le consensus contre Robespierre fabrique une fausse origine au triptyque républicain, fait de Robespierre le précurseur des totalitarismes et le transforme en catholique opposé au mouvement populaire.

Nous avons vu, avec les études du linguiste et historien Grover Furr, l’analyse item par item de la vérité des affirmations sur Staline, des affirmations qui constituent ce que Domenico Losurdo appelle une légende noire, des affirmations qui constituent un paradigme antistalinien, un consensus antistalinien, complètement dominant actuellement. On pourrait faire le même travail linguistique et historique sur toutes les affirmations, la plupart du temps négatives, concernant le communisme et les pays communistes.

 On peut faire la même analyse avec les affirmations sur Robespierre d’une grande partie du monde intellectuel et médiatique, des affirmations qui, à force d’être répétées, constituent un consensus. Deux universitaires ont eu le courage de faire un florilège, un bêtisier du travestissement de l’histoire de la Révolution française, avec des choses qui revenaient, puis des choses qui disparaissaient, et à chaque fois ces universitaires ont la patience d’essayer d’analyser les mensonges, les silences, les déformations, et si possible leurs causes. Le consensus contre Robespierre est fluctuant, en fonction des circonstances. Le consensus contre Robespierre est souvent aussi le consensus contre la révolution de 93.

Ainsi Mona Osouf, dans le livre de Pierre Nora sur la mémoire, reprend la fausse information que la devise républicaine liberté-égalité-fraternité a pour origine non Robespierre mais le club des Cordeliers, avec Danton derrière, car, pour Alphonse Aulard, professeur à la Sorbonne au début du vingtième siècle, c’est Danton qu’on doit mettre en avant, et la IIIe République se reconnaît dans Danton. On a ainsi fabriqué de fausses origines au triptyque républicain pour éviter de parler de Robespierre à un moment où il était personna none gratta dans le paysage politique.

Ainsi, récemment, « les nouveaux philosophes » (Bernard Henri Lévy, Glucksmann), les antitotalitaires (Hannah Arendt), les néoconservateurs (François Furet, qui s’inspire de l’historien extrême droite Pierre Gaxotte, considère la machine « totale » des Jacobins), ont fait de Robespierre le précurseur des totalitarismes, et du coup, lors du bicentenaire de la révolution, on ne parle pas de Robespierre (il est vrai que de nombreux historiens de l’époque s’intéressent peu aux personnages politiques et plus au paradigme économique et social de Labrousse ; Mazauric est un des seuls à travailler sur Babeuf et sur Robespierre ; Vovelle travaille sur les mentalités).

Michel Onfray fabrique le mythe du Condorcet féministe, athée, figure même de l’homme de gauche (alors que Condorcet fait partie de la droite républicaine et libérale, de la Gironde, opposée à la Montagne), pour stigmatiser Robespierre comme antiféministe, catholique, religieux, tyran opposé au mouvement populaire. L’opposition assez simpliste entre les bons athées qui sont de gauche et les méchants catholiques qui sont de droite oublie que la gauche n’est pas simplement fondée sur des questions culturelles, mais d’abord sur des questions de lutte de classes. Quand on regarde du côté de la lutte des classes, c’est un peu plus compliqué : est finalement de gauche celui qui parle d’émancipation, qui parle de lutte de classes, qui parle d’égalité réelle.

La fabrication de la mythologie sur la fête de l’être suprême et sur la soi-disant religiosité de Robespierre.

 En fait, le culte de l’être suprême se fait dans le respect de la liberté de conscience et de culte. Ce n’est pas un culte qui se substitue à d’autres cultes. C’est un moment de fête dans lequel l’idée principale est de faire en sorte que le peuple souverain prenne conscience de sa souveraineté, prenne conscience qu’il est lui-même acteur de ce qui se passe, que ce n’est pas Dieu qui est acteur. De plus, il se trouve que Robespierre n’est pas l’initiateur de cette fête de l’être suprême : il est là parce qu’il préside la Convention à ce moment-là, et l’initiation a été proposée par le Comité d’instruction publique. La fête de l’être suprême est une œuvre collective, elle se déroule dans plusieurs endroits dans toute la France. Cette fête est une initiative de la base. La Convention montagnarde donne simplement un cadre légal à ces initiatives de la base. Le peuple français reconnaît l’être suprême et l’immortalité de l’âme : cela traduit une vision objective de la religion qui se trouve être une nécessité ou un besoin naturel ou un sentiment. Le seul culte qu’on doit devoir à l’être suprême, c’est le respect des droits de l’homme. Le seul devoir à l’égard de l’être suprême, c’est le respect des droits de l’homme. Les droits de l’homme ont une forme de transcendance. Par ailleurs, Robespierre est contre la déchristianisation, dans la mesure où cela fabrique de la contre-révolution. Robespierre avec son frère Augustin fait libérer des prêtres. Ce n’est pas le républicanisme anticlérical du dix-neuvième siècle, avec Blanqui et d’autres.

Robespierre ne parle jamais de Dieu. En revanche il est attentif à la dimension sociale de la question du clergé et du bas clergé : il demande le mariage des prêtres en 90 – ce qui fait scandale –, il demande qu’on augmente les pensions des pauvres prêtres et qu’on diminue les pensions des évêques. Robespierre considère que la religion est un sentiment consolateur. Le fondement des droits humains est une transcendance, une transcendance qui peut se nommer être suprême ou nature.

Pour Robespierre, celui qui veut empêcher les autres de dire la messe est aussi fanatique que celui qui veut imposer la messe. Le temps fera son œuvre. Il ne faut pas heurter les préjugés.

Le consensus contre Robespierre, à qui on substitue Danton, s’associe au consensus contre la révolution de 93, à laquelle on oppose la bonne révolution de 89, ou mieux encore, la très bonne « Révolution » américaine.

Il faut associer à ce consensus contre Robespierre, le consensus contre la révolution de 93. Ainsi, Edgar Quinet et Jules Ferry, renouant avec les thermidoriens, bazarde la révolution de 93 pour lui opposer la bonne révolution de 89. Ce sera la ligne de la IIIe République, et celle de la Ve République (voir les manuels scolaires). Le retrait de la figure de Robespierre est concomitant avec la mise en avant de la figure de Danton, représentant la pulsion de vie, opposée à celle de Robespierre, représentant la pulsion de mort, par les positivistes et Auguste Comte, une position qui n’a jamais existé, une construction absolue (Robespierre et Danton sont d’accord sur plein de trucs, et ils n’avaient pas la même stature). On a ainsi utilisé une pièce de théâtre d’un écrivain allemand, on a fait de Danton un héros républicain et on l’a statufié.

Il faut attendre le parti communiste français pour réhabiliter la révolution de 93 et Robespierre, au moment du Front populaire. Staline devient le Robespierre de la révolution russe.

Rappelons-nous Hannah Arendt, l’introductrice de la philosophie nazie dans le monde anglo-saxon, qui minimise aussi bien 89 que 93 au profit de la Révolution américaine : elle ne dit pas que celle-ci n’est pas une révolution, mais une révolte des génocidaires d’Indiens et des propriétaires d’esclaves contre une Grande-Bretagne qui veut abolir l’esclavage. N’oublions pas que c’est l’Américain Lafayette, comme commandant de la garde nationale, qui fait tirer sur la foule parisienne, faisant de nombreux morts, un événement qui est à l’origine de la radicalisation de la révolution de 89 en la révolution de 93. Le mal aux États-Unis est tellement profond qu’il faudra attendre les années 1950 pour que commence à disparaître la ségrégation raciale.

Le projet républicain de la Gironde est pour une république bourgeoise, une république propriétaire, une république libérale, avec liberté illimitée du commerce (le marché produit une égalisation entre les riches et les pauvres, par le jeu de l’offre et de la demande, par un effet de ruissellement) et un système représentatif dans lequel les citoyens n’interviennent qu’une fois au moment du vote. Le peuple finalement n’exerce aucun pouvoir, ses représentants l’exerçant pour lui. Le projet républicain de la Montagne et pour une démocratie active où le fait de voter n’est pas le seul acte du peuple souverain. Aux législatives, le peuple souverain ne délègue pas sa souveraineté, il délègue l’exercice de sa souveraineté mais contrôle cet exercice, ne se laissant pas déposséder, restant partie prenante du législatif. Le projet est proche des positions populaires puisqu’il demande à ce que le droit à l’existence soit le droit qui structure la république : pour avoir droit à la liberté, il faut pouvoir exister. L’existence, c’est le droit de vivre heureux, dignement et libre, mais avec une certaine répression, car la liberté du propriétaire s’arrête où commence la liberté des autres. On ne peut laisser au marché la politique : la politique, au contraire, doit prendre en charge l’économie, et ce qu’on laisse au marché, cela doit être une décision du peuple souverain. Il n’y a de république que si les principes de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen sont mis en œuvre. La démocratie est représentative avec participation des citoyens, autrement dit la représentation est soumise au contrôle du peuple souverain : la démocratie n’est donc pas un gouvernement représentatif, puisque la démocratie implique un contrôle et une possibilité de révocation des élus. Ainsi en juin 93, les gens ont retiré leur confiance aux girondins, et on a appelé à leur place des suppléants. Robespierre inquiète la Convention quand il veut lutter contre la corruption des élus, quand il est attentif à la vertu des représentants, quand il exige que le député préfère l’intérêt commun aux intérêts particuliers, quand il veut limiter le pouvoir des représentants, et pour cela quand il décentralise au maximum, avec les finances au niveau du département, le pouvoir exécutif au niveau des communes, définissant une économie politique populaire compatible avec une société républicaine.

Dans la Constituante qui cherche à verrouiller l’été 1789 pour éviter que le peuple n’entre vraiment en scène, avec des tentatives de verrouillage systématique de l’activité populaire, les députés Grégoire et Robespierre ciblent la limitation de la citoyenneté et rappellent que le peuple est souverain, qu’on ne peut pas limiter son activité, et que les mandataires qui sont dans l’assemblée ne sont que des mandataires du peuple, qu’un peuple qui a retrouvé la liberté les armes à la main sait ce qu’est la liberté et est capable de la définir, est capable d’avoir des comportements de patriote. Ce discours va avoir un poids important dans la mesure où c’est le moment où on voit apparaître dans la presse royaliste les prolégomènes de la légende noire de Robespierre (on parle de Robespierre comme un populomane, un anarchiste, qui veut récupérer le trône de Louis XVI, qui a un tempérament un peu sanguinaire, qui est un descendant de Robert Damien qui a voulu assassiner Louis XV, qui a des amitiés crapuleuses, qui a la volonté de devenir dictateur, etc.).

Lors de la dernière séance de l’assemblée constituante, le 11 septembre 1791, d’après le journaliste Marat, dans « l’Ami du peuple », Robespierre, Pétion et Grégoire sont acclamés par la foule, les seuls incorruptibles.

De septembre 1791 à août 1792, Robespierre fonde un premier journal qui s’appelle « Le défenseur de la Constitution ». Le 10 août 1791, la Convention proclame la République et élabore une nouvelle Constitution pour remplacer la Constitution monarchiste de 1991.

Le premier projet républicain de société est celui de la Gironde qui est pour une république bourgeoise, une république propriétaire, une république libérale qui est pour la liberté illimitée du commerce, pour le système représentatif dans lequel les citoyens votent une fois tous les ans ou tous les deux ans sans qu’ils puissent intervenir par ailleurs. Il faut développer le marché et au bout du marché, il y aura une égalisation naturelle entre les riches et les pauvres, par le jeu de l’offre et de la demande, par le ruissellement, un marché qui régule les inégalités : c’est un horizon républicain, puisque c’est un horizon d’égalité.

 Le deuxième projet républicain de société est celui de la Montagne, qui est pour une démocratie active où le fait de voter n’est pas le seul acte du peuple souverain. Le peuple souverain ne délègue pas sa souveraineté aux législatives. Il délègue l’exercice de sa souveraineté mais contrôle cet exercice. Le peuple ne se laisse pas déposséder, il est partie prenante du législatif. C’est un projet qui est proche des positions populaires dans la mesure où il demande à ce que le droit à l’existence soit le droit qui structure la république. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de droit qu’il n’y a pas de république : il y a république quand les principes de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen sont mis en œuvre. On vit dans un régime où chacun a un droit égal à la liberté, mais pour avoir un droit à la liberté il faut pouvoir exister. La république est là pour garantir l’existence des plus démunis. L’existence, c’est le droit de vivre heureux, de vivre dignement, de laisser le commerce à une entière liberté avec une contrepartie martiale qui réprime ceux qui ne sont pas d’accord, car la liberté du propriétaire ou du spéculateur s’arrête là où commence la liberté des autres. Il faut appliquer l’idée de liberté avec la contrainte qu’il y a face à vous la liberté d’autres personnes. Il faut appliquer cela à ceux qui spéculent sur la vie des gens. On ne peut pas laisser au marché la politique. Au contraire, la politique doit prendre en charge l’économie. Ce qu’on laisse au marché, cela doit être une décision du peuple souverain, de l’assemblée, d’où l’importance que ce peuple soit acteur concrètement de la politique.

Le terme démocratie directe, qui vient d’une opposition entre démocratie directe et démocratie représentative, n’a aucun sens à l’époque. La démocratie de 93 est représentative avec la participation des citoyens. Démocratie et république, c’est la même chose. Il y a dans le mot démocratie l’idée que la représentation est soumise au contrôle. Ce n’est pas ou représentation ou contrôle. Dans l’idée de représentation, il y a l’idée de contrôle : quand moi je désigne un représentant, c’est moi qui garde le pouvoir, parce que moi je suis le peuple souverain, que je confie une mission à un fidéocommis. Je fais confiance à un tel et je l’élis comme délégué, mais je peux très bien retirer ma confiance, et une fois que j’ai retiré ma confiance, il n’est plus mon délégué. Donc, dans la conception révolutionnaire de la démocratie, il n’y a pas d’opposition entre démocratie directe et démocratie représentative. La démocratie représentative de maintenant, c’est ce qu’on appellait non une république, mais un gouvernement représentatif. Pour Robespierre, la démocratie implique un contrôle et une possibilité de révocation des élus. Le mouvement populaire à défendu à partir de 89 l’idée que la démocratie implique un contrôle et une possibilité de révocation des élus par les mandants. De ce point de vue, Robespierre est au diapason de ce mouvement populaire. Certains estiment que les représentants ont trahi leur mission, qu’ils n’ont pas été éliminé suffisamment rapidement : Robespierre peut être là-dessus légèrement en décalage, parce qu’il peut estimer, du point de vue tactique, qu’à tel moment on n’a pas intérêt à changer de représentants, parce qu’on est dans une situation de guerre extérieure et interne. Mais l’idée que les mandataires du peuple peuvent être révoqués à tout moment, c’est quelque chose que défend parfaitement Robespierre. On parle de l’élimination des girondins en juin 93 : ils ne sont pas éliminés, ils sont rappelés, c’est-à-dire que les gens qui les ont élus leur retirent leur confiance et on appelle à leur place des suppléants. À l’époque, le débat est : est-ce qu’on veut une démocratie représentative où le peuple se laisse guider par plus intelligent que lui, ou est-ce qu’on veut une république démocratique et sociale dans laquelle le peuple conserve l’intégralité de l’exercice de sa souveraineté, y compris le droit de rappeler ses députés ? L’opposition n’est pas entre démocratie directe et démocratie représentative, mais entre deux formes de démocratie représentative.

Pourquoi la Convention élimine Robespierre et ses amis ? La Convention sent peser sur elle un certain nombre de risques, quand Robespierre dit que le problème dans le système, c’est la représentation, c’est le député.

Robespierre redit : on a fait beaucoup pour réprimer le peuple, pour le traiter d’anarchiste, et on n’a pas fait grand-chose pour empêcher que ses représentants ne soient corrompus. Le principal ennemi du peuple, c’est son gouvernement. Il faut être attentif à la vertu des représentants. Cette vertu n’est pas une question de vie familiale vertueuse, mais une question de conception de la politique dans laquelle le député doit préférer l’intérêt commun aux intérêts particuliers. Chacun préfère son intérêt particulier, et ce qui oblige à être vertueux, c’est le peuple souverain, qui ne doit pas lâcher la bride. Il faut faire attention à ce que vont faire les représentants, il faut éviter qu’ils aient trop de pouvoir.

 Il faut décentraliser au maximum, il faut les finances au niveau du département, il faut que le pouvoir exécutif soit au niveau des communes, il faut que l’argent soit géré en dehors de Paris et du centre, pour éviter la manipulation de l’opinion.

Robespierre essaye de définir une économie politique populaire, pour une société républicaine.

 À droite, il y a des députés qui essayent de mettre en œuvre un système représentatif dans lequel des sociétés populaires et les assemblées dans les sections seront dissoutes en dehors des élections. Le peuple doit être dans un rapport de délégation de sa souveraineté, et non pas d’exercice de sa souveraineté. Le peuple doit accepter de se déposséder de sa souveraine (ce que le peuple a refusé pendant la Terreur).

Aujourd’hui, on nous a vendu une conception de la représentation qui est une falsification du terme de représentation, on nous a vendu une représentation qui est devenue hégémonique à la fin du dix-huitième siècle, au moment du Directoire, une représentation dans laquelle finalement le peuple n’exerce aucun pouvoir, et où ses représentants exercent ce pouvoir pour lui.

 Il faut que nous donnions un sens plus subversif au concept de représentation. Quand on nous parle de démocratie directe, n’est-on pas en train de dire qu’on ne peut pas faire confiance à nos représentants, qu’il faut les tenir à la culotte, faire en sorte qu’ils soient vertueux, qu’on puisse les révoquer, qu’ils aient des mandats impératifs ? La politique est une lutte pour le sens des mots.

Le neuf thermidor, la nouvelle majorité de la Convention, qui veut conserver ses privilèges de député, fait exécuter Robespierre et ses amis et commence la diabolisation de Robespierre, qui devient un monstre, un tyran sanguinaire, ce qui permet de balayer le programme politique qui commençait à être mis en œuvre, en particulier la Constitution de 93. Les archives sont falsifiées ou éliminées. On fabrique toute une mythologie noire sur Robespierre et sur la révolution de 93.

Ce projet est minoritaire, jusqu’au moment où les contradictions de la politique de la Gironde et les nécessités de la survie de la révolution vont trouver une majorité au sein de la Convention, même si la Montagne n’est qu’une minorité.

Cette majorité vole en éclats le 9 thermidor, avec l’exécution immédiate de Robespierre et de 80 de ses amis, les cadavres étant désintégrés dans la chaux, pour qu’on ne puisse pas retrouver les os (comme cela avait été fait pour le cadavre de Louis XVI), et avec la diabolisation immédiate de Robespierre.

Pour cela, on repose sur son bureau un faux sceau avec fleur de lys pour montrer que Robespierre voulait devenir roi, reprenant les rumeurs de la presse girondine qui circulaient depuis 1790. On fait de Robespierre un monstre, un tyran sanguinaire qui voulait renverser la Convention, écraser toute la France, ce qui permet de balayer le programme politique qui était mis en œuvre. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne doit plus être un programme politique, mais simplement un ensemble de principes généraux. La Constitution de 93, qui n’a pas été élaborée par la Convention, mais pas Robespierre, doit être éliminée.

La fable de Robespierre roi n’est plus tellement crédible, on la remplace par la fable que le triumvirat Robespierre – Saint Just – Couthon voulait se partager la France après le massacre d’une grande partie de la population française grâce à une guillotine à neuf têtes, une dépopulation qui permettrait de niveler, pour partager les terres. On invente la vie privée de Robespierre : il a des maîtresses un peu partout, il est un incapable, un monstre sexuel, un arriviste, un hypocrite, une sale gueule. On détruit ou on falsifie les archives. On invente une biographie de Robespierre.

3 Hugo Rousselle : le droit à l’existence, c’est assurer comment on nourrit la société, comment on lui garantit la santé, comment on lui garantit les secours, comment on lui garantit l’éducation, comment on lui assure du travail, et si on ne peut pas lui assurer du travail, comment on lui garantit l’assistance. Il s’agit de garantir la justice de l’ordre public. La chose la plus précieuse qui existe chez l’homme, c’est sa vie, ce qui implique le droit à la sûreté, le droit de protéger les biens et les personnes, le droit à l’existence, qui est une façon de résister aux pressions, aux accapareurs, aux oppresseurs. Le droit d’existence est, pour les philosophes des Lumières et pour les révolutionnaires, inhérent à la personne humaine, c’est un droit naturel : la propriété n’est donc pas un droit absolu, elle a vocation à être partagée. Ce droit à l’existence peut être réclamé, il est un dû, il est un programme, et il comprend non seulement le droit au travail, mais le droit à l’insurrection. Ce droit à l’existence correspond à une morale populaire, à des aspirations populaires qui peuvent se concrétiser dans des utopies. Il y a historiquement le droit à la subsistance, comme fondement du pacte entre le prince et la plèbe, le prince approvisionnant la ville et redistribuant les subsistances, garantissant une sorte de droit à la subsistance. Il y a historiquement aussi le droit à l’assistance, qui est assuré par l’Église, les communes, l’administration, et souvent l’assistance est coercitive, le pouvoir voulant réguler et amender les pauvres par le travail. Certains théologiens affirment que, quand le pauvre se saisit, dans une situation de nécessité, de subsistances du riche, il reprend ce qui lui appartenait dans la communauté primitive d’Adam et Ève. Il y a des moments où le peuple s’insurge, va fixer un taux maximum aux prix des substances de première nécessité et va punir les accapareurs. Le pacte de subsistance n’est pas tout à fait le droit à l’existence, dans la mesure où il est un pacte de sujétion (en échange de la protection, on doit obéissance). Le pacte de subsistance est rompu avec les lois de libéralisation de Louis XV et Louis XVI, ce qui explique en partie la Révolution.

Le droit à l’existence est la matrice de ce qu’on appelle les droits créances, cette logique du « droit à », qui est dans la Constitution, l’article 21 de la Déclaration des droits de l’homme de 1793, et qui repose sur une tradition très ancienne. Les questions que pose le droit à l’existence sont des questions inhérentes à toutes les sociétés : comment on la nourrit, comment on lui assure du travail, comment, quand on ne peut pas lui assurer du travail, on lui garantit l’assistance, comment on lui garantit la santé, comment on lui garantit les secours, et aussi comment on lui garantit l’éducation (le pain du corps et le pain de l’esprit).

Ces questions se posent toujours pour garantir la justice ou au moins pour garantir l’ordre public.

La chose la plus précieuse qui existe chez l’homme, c’est sa vie, ce qui implique, d’une part, le droit à la sûreté, qui est proclamé dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789, le droit de protéger les biens et les personnes, et d’autre part, le droit à l’existence, qui est aussi une façon de résister aux éventuelles oppressions, aux agioteurs, aux accapareurs, aux spéculateurs, aux aristocrates qui oppriment le peuple par des mécanismes qui ne sont pas forcément des mécanismes politiques, mais plutôt des mécanismes économiques ou sociaux.

Cette question est déjà traitée par la question du droit à la subsistance, déjà présente chez certains philosophes des Lumières, mais aussi plus anciennement : dans l’empire romain, le droit à la subsistance est un fondement du pacte politique, le pacte entre le prince et la plèbe, où la plèbe nomme le prince dictateur des subsistances, le prince garantissant la fonction d’approvisionner la ville (les producteurs assurent la fonction nourricière) puis, de concert avec le Sénat, redistribuant dans un pacte avec la plèbe les subsistances, garantissant ainsi une sorte de droit à la subsistance avant l’heure, même si cela relève plus du privilège de la loi privée que du droit naturel à l’existence, d’où une série de mécanismes assurés par l’empereur en concertation avec le Sénat, jusqu’à ce que le Sénat soit devenu une institution obsolète.

À partir de Constantin un nouveau pacte apparaît entre l’empereur et l’Église. L’Église ne se charge pas tellement du droit à la subsistance, mais du droit à l’assistance, qui est aussi une conséquence du droit à l’existence. Universalisant ce qui n’existait que dans la cité, il s’agit de garantir à chacun ce qui deviendra le droit à l’existence. Les théologiens du droit naturel, après les prophètes, après les Pères de l’église, au onzième et douzième siècle, se posent la question : quels sont les droits du pauvre ? Est-ce que le pauvre a des droits sur la propriété du riche ? Est-ce que le pauvre a des droits sur le superflu du riche et jusqu’à quel moment le superflu est légitime ? Est-ce que, lorsque les personnes n’ont pas le droit au nécessaire, n’ont pas accès au nécessaire, le superflu est légitime ? Certains théologiens considèrent que lorsque le pauvre se saisit de subsistances sur le terrain du riche, lorsqu’il est dans une situation de nécessité, il ne commet pas un vol, simplement il reprend ce qui lui appartenait initialement, puisqu’il y a une communauté primitive qui existait avec Adam et Ève. Dans les situations d’urgence, on peut revenir à cette communauté primitive, à cet âge d’or.

Ce pacte va ensuite se traduire à travers la fonction du roi père des pauvres : Charlemagne édicte des ordonnances sur l’école et sur les subsistances, y compris des lois du maximum (avant lui, Dioclétien avait fait une loi qui bloquait les prix et les salaires). Il y a la figure de Saint-Louis, le roi rituel, ritualisant le rapport du roi aux pauvres et au peuple. Il y a aussi Louis XII, qu’on appelle le père du peuple. Il existe donc un pacte de subsistance entre le roi et le peuple, un pacte de subsistance qui est à la fois une prémisse du droit à l’existence et pas tout à fait le droit à l’existence de 1789-1793, car il est un pacte de sujétion : en échange de cette protection que le roi garantit et assure dans sa fonction aux petits, ces derniers lui doivent obéissance.

Une des raisons de la Révolution française, c’est que ce pacte a été rompu sous Louis XV avec les grandes lois de libéralisation, les tentatives de libéralisation de 1763 et qui reviennent à plusieurs reprises, et qu’on va retrouver aussi sous Louis XVI avec les tentatives de réforme de Turgot, même si Turgot se réclame du droit à l’existence pour mettre en place ses réformes de libéralisation du travail et du commerce des grains.

Le droit à la subsistance est garanti non seulement par le prince mais par d’autres institutions. L’Église se charge plutôt du côté de l’assistance aux pauvres : pendant très longtemps elle joue cette fonction, pendant presque un millénaire. Des exemptions fiscale de Constantin jusqu’au concile de Vienne en 1311, c’est l’Église, les évêques puis ensuite les monastères qui ont la main sur l’assistance. À partir du concile de Vienne, on commence à ouvrir aux bourgeoisies municipales qui vont bientôt capter cette fonction assistancielle.

Le droit à la subsistance est aussi attaché à une morale populaire. Le peuple a la possibilité en cas d’urgence de procéder à des taxations : il va sur les marchés et il a la possibilité de fixer le taux maximum du prix du pain, du prix des subsistances de première nécessité. Il y a des moments où le peuple s’insurge, ainsi, sous Louis XVI, avec la guerre des farines : comme il y a une dérégulation des prix, on estime qu’il faut procéder à la taxation et à la punition des responsables accapareurs.

À côté du droit à la subsistance, il y a le droit à l’assistance, c’est-à-dire la gestion des hôpitaux et des hospices qui, au départ, incombe à l’Église, mais qui progressivement bascule dans les mains des pouvoirs municipaux, avec des tentatives de contrôle administratif de la monarchie, sans qu’on puisse parler ni de centralisation ni de nationalisation (ce que les révolutionnaires voudront réaliser). Le roi et les bourgeoisies municipales ou la noblesse de robe essayent de mettre la main sur le système assistanciel pour mettre en place une assistance coercitive par le travail : on considère qu’il ne s’agit pas de droits inhérents à la personne humaine, mais plutôt une nécessité pour le pouvoir de réguler les corps ou plutôt de s’assurer une sorte d’ordre social, en essayant d’amender les pauvres, de les rediriger sur le plan moral vers le travail.

Les philosophes des Lumières évoquent le droit à l’existence en partant de cette prémisse qu’il y a un droit à l’existence inhérent à la personne humaine, ce qui implique que l’on peut attenter à la propriété, que la propriété n’est pas un droit absolu, qu’elle doit être accessible à tous, qu’elle a vocation à être partagée.

Avec les décrets de ventôse, on tente de rendre la propriété accessible aux patriotes indigents pour les attacher à la république, pour en faire de bons citoyens.

 Il y a l’idée que tout le monde doit avoir accès soit au travail pour pourvoir à son existence soit, s’il ne peut pas travailler, avoir accès au droit à l’assistance.

La Révolution utilise les mécanismes de l’Ancien régime et aussi met en place des comités de mendicité avec La Rochefoucauld, au nom du droit à l’existence, que l’on ne considère pas simplement comme une dette sacrée, mais comme un droit inhérent à l’humanité. Ce droit à l’existence n’est pas simplement une dette, il tend à être un dû qui peut être réclamé, selon un certain mécanisme.

 Il y a un mécanisme qu’on peut utiliser, mais ce mécanisme va en 1848 générer de l’effroi, quand on reviendra sur cette question des droits créances et notamment du droit au travail et surtout du droit à l’insurrection du peuple. Toute référence au droit naturel disparaît en 1795 : exit le droit à l’existence, exit le droit à l’insurrection du peuple.

Ce droit à l’existence, ce n’est pas seulement une expression constitutionnelle, des textes, des gens qui réfléchissent en chambre. En mai 68 il y avait les trois M Mao Marcuse et Marx. À l’époque il y avait aussi les trois M Meslier, Mably, Morelly qui avaient pensé des mécanismes et des cités utopiques, qui sont peut-être des choses abstraites, mais qui en réalité correspondent à des aspirations du peuple, à une morale populaire, et c’est avec cette morale populaire que les Montagnards vont tenter de renouer et essayer de rendre à ce droit-programme une réalité sociale, et donc d’aller vers la révolution sociale.

4 Yannick Bosc. La Terreur est la mise en œuvre d’une économie fraternelle : le principe de fraternité, et non le principe de propriété, constitue la base du système républicain de la liberté et de l’égalité. La circulation libre des grains exige que les propriétaires alimentent le marché, ce qui comporte une contrainte, un dirigisme, une intervention à l’égard des propriétaires, au service de la liberté. La liberté sans frein du propriétaire entrave la libre circulation en engendrant la spéculation et les monopoles. La liberté sans frein des propriétaires ne peut pas fonder le monde social : la spéculation mercantile qui touche les biens nécessaires à la vie et qui se fait aux dépens de la vie de mon semblable, porte atteinte à la fraternité est constitue du brigandage, un fratricide. Cette économie fraternelle n’est pas portée seulement par les Conventionnels, mais par le peuple en révolution, quand il dénonce l’accaparement, quand il oppose l’égoïsme de l’intérêt particulier au lien fraternel qui devrait unir l’ensemble des citoyens, quand il rappelle aux représentants du peuple qu’ils doivent intervenir, puisque les riches sont insensibles, puisque les riches ne regardent pas les pauvres comme des frères et qu’ils manquent donc à leur devoir de citoyen. Au nom de son droit à l’existence, le peuple a le droit de borner l’exercice du droit de propriété, car le droit de propriété ne doit pas à nuire à autrui, car la propriété a pour borne l’étendue des besoins physiques. La république doit assurer à chacun les moyens de se procurer les denrées de première nécessité, sans lesquelles il ne pourrait conserver son existence au sein de l’économie fraternelle. La propriété n’est pas le rapport d’un homme à une chose, mais le rapport des hommes avec cette chose : la propriété est un rapport social, et la liberté du propriétaire est donc conditionnée par la liberté des autres. Tout ce qui concerne la vie, tout ce qui concerne la nécessité que j’ai de me nourrir, de travailler et d’exister ne peut être laissé au marché et au libre égoïsme des commerçants. Les questions qui touchent à notre existence sont un bien commun qui va donc être administré en commun par l’ensemble du peuple souverain. Les aliments nécessaires à l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable pour conserver la vie est une propriété commune à la société entière. La propriété commune est indispensable à la vie, elle doit être administrée en commun. La propriété commune est une chose publique, une chose commune, une res publica, placée au plus près possible du contrôle du peuple souverain, constamment délibérant. Il n’y a que l’excédent qui peut être une propriété individuelle et abandonné à l’industrie des commerçants. L’économie dirigée n’est pas aux mains d’une administration aux ordres d’un pouvoir exécutif centralisé, mais doit être contrôlée au plus près par la population : les municipalités et les comités révolutionnaires locaux ont le pouvoir exécutif des lois révolutionnaires. Lorsqu’au sein d’une république le droit à l’existence n’est pas garanti, les liens communautaires, dont la fraternité est l’expression, se dissolvent, et les droits ne sont plus assurés. Le droit à l’existence est la base du contrat social et c’est un droit naturel imprescriptible. Les droits de l’homme doivent pourvoir à la conservation de notre existence et à la liberté. Les accapareurs qui utilisent leur droit de propriété sans tenir compte d’autrui, se mettent en dehors de l’état social en bafouant le principe de fraternité qui permet de faire communauté. Ils ignorent le bien commun, ils ignorent les principes de la déclaration des droits lorsqu’ils utilisent la liberté pour attenter à la liberté des autres, devenant ainsi des ennemis de leurs frères, rompant le contrat social. Le principe de fraternité se définit par l’agir citoyen, par l’action et n’existe que dans l’action. Le principe de fraternité implique que les hommes ne forment une société, donc une république, que si et seulement si le droit à l’existence du plus faible d’entre eux est garanti. Si cette condition n’est pas effective, il n’y a pas un état social entre les hommes, il n’y a pas de république, mais un état de guerre. L’état de guerre est un état dans lequel le droit naturel à la liberté de chacun, qu’on pourrait appeler le droit égal à la liberté, n’est pas garanti. Dans un état de guerre, c’est la droit du plus fort, du dominant, du conquérant : on est dans une tyrannie. On revient alors sur cette idée du droit à l’insurrection, du droit de résistance à l’oppression, qui s’impose aux citoyens comme action en dernier recours. Les principes républicains reposent en dernier recours sur ce régulateur qu’est le droit à l’insurrection. Ce sont ces principes républicains que les thermidoriens rejettent en les qualifiant de terreur et d’anarchie. Alors que le consensus actuel nous fait croire que le marché renvoie à la liberté et l’État à l’égalité, l’égalité impliquant un renoncement à la liberté, puisque la réduction des inégalités interfère avec la liberté individuelle en la contraignant, la fraternité signifie qu’il ne peut y avoir de liberté sans égalité : chacun doit disposer d’un droit égal à la liberté pour qu’il y ait cette fraternité. Au sein de l’économie fraternelle, la liberté et l’égalité ne sont pas en concurrence. L’objet de cette économie fraternelle n’est pas le marché ou l’État, mais le bien commun, la chose publique, le bien public, la chose commune et donc la République. La consensus dominant contre Robespierre et contre la révolution de 93 ne comprend pas cela, voyant dans le jacobinisme, d’une part, le fer de lance de la révolution bourgeoise, fondée sur la liberté économique, et d’autre part, le dirigisme, prémice du totalitarisme.

La Terreur, première révolution sociale, est la mise en œuvre d’une économie fraternelle.

Ce sont les hommes de droite que constituent les Thermidoriens qui ont construit fin août 1794 la catégorie de Terreur, au sens d’un système politique de terreur. Il s’agit de disqualifier les acteurs de l’An II : la Terreur, c’est la violence, la justice expéditive, la guillotine en général, et c’est désormais ce qu’on doit retenir.

 Il y a un écart quand on regarde les sources et qu’on les compare avec ce que disent les thermidoriens qui ont fabriqué la notion de Terreur. Les thermidoriens et François Antoine de Boissy d’Anglas considèrent que la Constitution de 1793 est le produit de ce système politique institué qu’ils appellent Terreur. Pour eux, cette Terreur a non seulement engendré la guillotine, mais un peuple constamment délibérant. L’anarchie est une caractéristique de cette Terreur. Avec la Terreur, le riche devient le principal suspect, la principale victime de la violence terroriste instituée. La tyrannie de Robespierre a favorisé la masse séditieuse des sans-culottes, une masse constamment délibérante et donc prête à tous les forfaits. Cette tyrannie était dirigée contre les riches et contre les propriétaires. La politique du Comité de salut public visait à réaliser cette chimère du nivellement, la sans-culottisation générale, par l’extinction des richesses et la ruine du commerce.

Robespierre faisait briller l’espoir du partage des terres afin de s’attacher le petit peuple et favoriser la masse séditieuse toujours prête à tous les forfaits contre les riches et les propriétaires. Robespierre voulait léguer à la multitude le droit de vie et de mort sur tous les propriétaires. Les Jacobins ont créé le crime de négociantisme, c’est-à-dire tous les hommes intelligents et laborieux sont jugés suspects et contre-révolutionnaires. Il s’agit de mettre les propriétés au pillage et de boire le sang humain, donc la terreur contre les riches et la répression. Les juges du tribunal révolutionnaire avec des listes envoyées par le gouvernement avaient pour mot d’ordre l’anéantissement de toutes les propriétés, pour le dire en un mot, la fin du monde social en France et peut-être en Europe. Les partisans de la Terreur sont qualifiés de terroristes, et leur économie fraternelle est qualifiée d’économie terroriste.

Si on abandonne la légende noire de la révolution de 93 et de Robespierre, si on revient à la réalité, on constate que l’économie de la Terreur est dite fraternelle parce que le principe de fraternité, et non le principe de propriété, constitue la base du système républicain. La fraternité n’est pas à côté de la liberté et de l’égalité. Elle est à la base du système. Certes, il faut une circulation libre des grains, il faut que les grains soient mis sur le marché, mais il faut lutter contre l’accaparement, contre la spéculation, il faut contraindre les propriétaires afin qu’ils alimentent le marché, les pousser à alimenter le marché. Ici, le dirigisme, l’intervention, est au service de la liberté. La liberté sans frein du propriétaire ne favorise pas la libre circulation, mais au contraire entrave la libre circulation, en engendrant la spéculation et les monopoles. S’ils ne sont pas hostiles à la propriété, les révolutionnaires ne veulent pas laisser aux propriétaires toute latitude dans l’usage de leur propriété. La liberté sans frein du propriétaire ne peut pas fonder le monde social. La spéculation porte atteinte à la fraternité, lorsque cette spéculation touche les biens nécessaires à la vie. Toute spéculation mercantile que je fais aux dépens de la vie de mon semblable n’est pas du commerce, c’est un brigandage, un fratricide. Ce n’est pas la spéculation en elle-même qui est fratricide, mais la liberté illimitée du propriétaire au nom de laquelle celui-ci peut spéculer sur les biens nécessaires à l’existence de ses semblables. L’économie fraternelle n’est pas portée seulement par les Conventionnels, mais par le peuple en révolution, quand il dénonce l’accaparement, une constante des mobilisations populaires qui opposent l’égoïsme de l’intérêt particulier au lien fraternel qui devrait unir l’ensemble des citoyens. Dans les adresses à la Convention, on rappelle leurs obligations aux représentants du peuple pour qu’ils interviennent, puisque les riches sont insensibles, puisqu’ils ne regardent pas les pauvres comme des frères et qu’ils manquent donc à tous leurs devoirs de citoyen.

Le peuple a le droit de borner l’exercice du droit de propriété au nom de son droit à l’existence. Cette limite mise à l’exercice du droit de propriété est justifiée par le fait de ne pas nuire à autrui.

Si on fixe le prix des denrées, des matières premières, des salaires et du profit, les aristocrates diront que c’est porter atteinte à la propriété, qui doit être sacrée et inviolable, mais les aristocrates ignorent que la propriété n’a de borne que l’étendue des besoins physiques : nul n’a le droit de faire ce qui peut nuire à autrui. La république doit assurer à chacun les moyens de se procurer les denrées de première nécessité, la quantité sans laquelle il ne pourrait conserver son existence au sein de cette économie fraternelle.

La propriété n’est pas conçue comme le rapport d’un homme à une chose qui serait l’expression d’un droit individuel inaliénable et sacré, mais comme le rapport entre des hommes et cette chose. La propriété est donc conçue comme un rapport social.

La liberté du propriétaire est donc conditionnée par la liberté d’autrui.

Robespierre, en décembre 1792, dénonce la Gironde fratricide parce qu’elle veut que les monopoleurs soient des bienfaiteurs de l’humanité : c’est une politique fondée sur l’intérêt particulier et sur l’idée que l’intérêt particulier participe nécessairement de l’intérêt général (la théorie du ruissellement : l’enrichissement des plus riches ruisselle).

Cette politique de la Gironde ne tient pas compte du droit à l’existence.

Tout ce qui concerne la vie, tout ce qui concerne la nécessité que j’ai de me nourrir et de travailler et d’exister ne peut être laissé au marché et au libre égoïsme des commerçants.

Ces questions qui touchent à notre existence sont un bien commun qui doit être conçu et administré comme n’importe quel bien commun, c’est-à-dire administré en commun par l’ensemble du peuple souverain.

 Les aliments nécessaires à l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable pour la conserver est une propriété commune à la société entière.

 Il n’y a que l’excédent qui soit une propriété individuelle et qui soit abandonnée à l’industrie des commerçants.

 La propriété commune est indispensable à la vie, elle doit donc être administrée en commun. La propriété commune est une chose publique, une res publica, une chose commune, placée au plus près possible du contrôle du peuple souverain, d’un peuple constamment délibérant.

 La loi du 4 décembre 1793 qui institue le gouvernement révolutionnaire attribue aux municipalités et aux comités révolutionnaires locaux le pouvoir exécutif des lois révolutionnaires, donc en particulier le pouvoir exécutif de la loi du maximum.

Cela veut dire que l’économie dite dirigée est en fait une économie qui est contrôlée au plus près par la population. Elle n’est pas une économie aux mains d’une administration qui serait aux ordres d’un pouvoir exécutif centralisé, mais aux mains de ce peuple constamment délibérant.

Lorsqu’au sein d’une république le droit à l’existence n’est pas garanti, les liens communautaires dont la fraternité est l’expression se dissolvent et donc les droits ne sont plus assurés.

 Le droit à l’existence est ici la base du contrat social, ce n’est pas quelque chose qui est en plus, c’est le fondement même du contrat social.

Dans le projet de déclaration de Robespierre de 93, dans l’article 1, le but de toute association politique est le maintien des droits naturels imprescriptibles de l’homme et l’article 2 précise que les principaux droits de l’homme sont celui de pourvoir à la conservation de son existence et à la liberté.

Les accapareurs qui utilisent leur droit de propriété sans tenir compte d’autrui se mettent en dehors de l’état social en bafouant le principe de fraternité qui permet de faire communauté. Dans une pétition de mars 93, on dénonce les accapareurs et les spéculateurs de la commune qui ignorent le bien commun, qui ignorent les principes de la Déclaration des droits, lorsqu’ils utilisent la liberté pour attenter à la liberté des autres, devenant ainsi des ennemis de leurs frères et rompant ainsi le contrat social.

 Quand un Conventionnel met en avant le principe de fraternité qui est à la base du système républicain, il se réfère lui aussi à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et aux principes du droit naturel qui fixent le cadre des normes républicaines. La fraternité consiste ici à prendre au sérieux l’article 4 de la déclaration de 89 et donc à le mettre en œuvre.

 La liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas à autrui.

Le principe de fraternité n’est pas la projection de futurs possibles, une espèce de plus dans le contrat social. Le principe de fraternité se définit directement par ce qu’on peut appeler l’agir citoyen. La fraternité consiste dans l’action, elle n’existe que dans l’action et non dans un futur possible dans lequel on pourrait se projeter.

 Le principe de fraternité implique que les hommes ne forment une société donc une république que si et seulement si le droit à l’existence du plus faible d’entre eux est garanti. C’est la définition que l’on pourrait donner d’une économie fraternelle et si cette condition n’est pas effective, il n’y a pas un état social entre les hommes, il n’y a pas de république, mais un état de guerre.

 L’état de guerre est un état dans lequel le droit naturel à la liberté de chacun, qu’on pourrait appeler le droit égal à la liberté, le droit naturel à la liberté de chacun, n’est pas garanti. On est dans un état de guerre où domine le droit du plus fort, du dominant, du conquérant, on est dans une tyrannie.

On revient alors sur cette idée du droit à l’insurrection, du droit de résistance à l’oppression, puisqu’il s’impose aux citoyens comme action en dernier recours. Ce sont justement ces principes républicains et le fait qu’ils reposent en dernier recours sur ce régulateur qui est le droit à l’insurrection, ce sont ces principes républicains que rejettent les thermidoriens en les qualifiant de terreur et d’anarchie.

Le libéralisme et le socialisme, qui organisent les représentation politique depuis deux siècles, nous ont habitués à penser l’économie à partir du marché ou à partir de l’État, et dans ce schéma, le marché renvoie souvent à la liberté et l’État à l’égalité, la liberté et l’égalité étant ainsi conçues comme des notions antagonistes : l’égalité impliquerait un renoncement à la liberté, puisque la réduction des inégalités interférerait avec la liberté individuelle en la contraignant.

La fraternité signifie qu’il ne peut y avoir de liberté sans égalité : chacun doit disposer d’un droit égal à la liberté pour qu’il y ait cette fraternité. C’est la raison pour laquelle Robespierre associe les trois termes qui doivent être pensés ensemble lorsqu’il invente la devise républicaine liberté-égalité-fraternité.

Les interprétations qui sont fondées sur l’antagonisme de la liberté et de l’égalité, du marché et de l’État, ne permettent pas de comprendre la spécificité de cette économie républicaine, puisqu’elle échappe à ces oppositions. En s’enfermant dans ce modèle explicatif inapproprié, on popularise l’idée qu’il y aurait une contradiction dans le jacobinisme, qui serait à la fois fer de lance de la révolution bourgeoise, fondée sur la liberté économique, et en même temps contrainte établissant une économie dirigée, compte tenu de la guerre, un dirigisme dans lequel des historiens libéraux ont vu les prémices du totalitarisme.

Au sein de l’économie fraternelle, la liberté et l’égalité ne sont pas en concurrence. L’objet de cette économie fraternelle n’est pas le marché ou l’État : son objet est le bien commun, la chose publique, le bien public, la res publica, la chose publique, la chose commune et donc la République elle-même.

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