Néolibéralisme et crétinisme : Laurent Mauduit

Laurent Mauduit : interview en vidéo sur son livre « La caste, main basse sur l’État » par Aude Lancelin dans Le Média.

Le néolibéralisme appliqué par des élites dirigeantes corrompues n’est plus qu’un système idéologique dogmatique fermé sur lui-même et donc incapable de se renouveler.

L’orgie néolibérale consiste dans le pantouflage et dans le rétropantouflage au sein de ce que l’auteur appelle la caste.

Autrement dit, il n’y a plus de mur entre le privé et le public. Les politiques publiques sont de plus en plus en faveur des intérêts privés. Le statut de la fonction publique, qui défend les intérêts publics contre les intérêts privés, est mis en question.

Ce néolibéralisme s’accompagne d’une crétinisation les élites dirigeantes et de ses écoles de formation.

L’ENA, dont la philosophie est fondée par Debré et les juristes d’extrême droite, est de plus en plus coupé du pluralisme, de l’université et de la recherche pour coller à l’État autoritaire mis en place en 1958 par De Gaulle, ce qui forme de plus en plus des hauts fonctionnaires crétins par obéissance et conformisme, des hauts fonctionnaires chargés de promouvoir et d’appliquer « la seule politique possible », c’est-à-dire une politique pour la finance, pour le chômage structurel et la précarité (nécessaires à la pression sur les salaires), pour l’allégement des « charges » et des impôts des entreprises qui doivent s’orienter vers la financiarisation, pour la réduction de la dette publique (l’État, qui peut s’endetter pour « aider » les entreprises ou faire des cadeaux fiscaux, n’a pas besoin de s’endetter pour faire des investissements publics), une politique contre l’investissement des entreprises (et donc contre l’augmentation du PIB national), contre le service public, contre le pouvoir d’achat.

Le pantouflage.

Tout d’abord le pantouflage devient la règle pour les sortants de l’ENA. A partir de 1986, les gouvernements, et en particulier les gouvernements socialistes, privatisent selon le principe : un inspecteur des Finances met en œuvre la privatisation pour lui-même. Toutes les banques, BNP, Société générale, BPCE, Crédit mutuel sont dirigées par des anciens Inspecteurs des finances. Un cas particulier : Macron, ancien Inspecteur des finances, devient associé-gérant dans la banque Rothschild. Ajoutons : Mathieu Pigasse, ancien de l’ENA, dirige la banque Lazard, Stéphane Richard, ancien de l’ENA, dirige telle autre banque, etc.

Au ministère des finances, Pérol organise la fusion des Banques populaires et des Caisses d’épargne puis quitte immédiatement l’État pour prendre la tête de la fusion.

C’est ainsi que la loi sur le pantouflage, qui avait raccourci le délai pour le pantouflage de cinq à trois ans, n’est pas appliquée.

Le rétropantouflage.

Maintenant le rétropantouflage devient lui aussi courant. Il s’agit depuis cinq ou six ans de la privatisation de l’intérieur des postes-clés de la République. Le gouverneur de la Banque de France vient de la BNP. Le dirigeant de la très importante Caisse des dépôts vient de Bolloré-Bernheim. Le directeur de cabinet du ministre des finances vient de MédiaBank tandis que la direction du Trésor est occupée par un ancien de HSBC. Tous les conseillers du ministre de l’économie actuel, Bruno Le Maire, sont d’anciens directeurs ou employés de banque.

Il n’y a pas de loi sur le rétropantouflage, qui pourrait par exemple évoquer le possible favoritisme d’un ancien client privé que peut favoriser cette migration du privé au public.

Les va-et-vient entre public et privé (toujours au bénéfice du privé) : privé/public/privé ou public/privé/public.

Il n’y a plus de distinction entre les intérêts de l’État et les intérêts privés. Les va-et-vient se multiplient.

Louise Boone vient d’une banque pour entrer dans le cabinet de Hollande et pour retourner chez Axa.

Macron vient de l’inspection des finances pour aller chez Rothschild comme associé-gérant puis revient chez Hollande et finalement au poste de Président de la République.

Paul Ricoeur, en 1968, dit que le danger majeur pour la démocratie est que la direction des affaires soit accaparée par une oligarchie de compétents associée à des puissances d’argent.

L’OPA de la finance sur l’État.

Il s’agit d’une colonisation de l’État par la finance. Après une OPA de la finance sur la vie des affaires, cela a été une OPA sur l’intérieur des postes clés de la République pour se terminer par le placement d’un des leurs à la tête de la République.

Revanche, impatience, emballement et précipitation dans une boulimie de réformes qui dorment dans les tiroirs du ministère des Finances.

Les réformes de Macron ne sont pas des inventions en matière de politique publique : ces réformes sont depuis 30 ans dans les tiroirs du ministère des Finances.

Sarkozy et Hollande étaient considérés par les hauts fonctionnaires de l’Inspection des finances comme n’allant pas assez vite.

Avec Macron, un homme du sérail à la tête de l’État, il s’agit pour la caste d’une occasion unique, l’occasion d’une revanche par rapport à la perception d’une lenteur dans les réformes des quinquennats précédents. Il faut de la précipitation, de la frénésie, de l’emballement, de la tonicité, du dynamisme, de l’énergie, du changement, de l’action, un travail acharné, pour répondre à l’impatience jusqu’à maintenant contenue des hauts fonctionnaires et des dirigeants.

La caste n’est pas hostile à la démocratie mais elle considère que la démocratie fait perdre du temps. Il ne faut pas attendre. Il faut y aller. Il faut procéder avec boulimie dans ces réformes qui sont dans les tiroirs depuis Rocard, il ne faut pas perdre du temps avec des négociations, il faut rattraper le retard, il faut aller vite.

Des politiques publiques qui servent des intérêts privés.

Ce système a des conséquences sur les politiques publiques qui désormais ne servent plus la République mais des intérêts privés.

Premier exemple : avec Jean-Marc Ayrault comme premier ministre, un ancien de la BPCE est chargé du projet de partition des banques entre les activités économiques et les activités spéculatives, ce qui aboutit à un projet-imposture.

Deuxième exemple : le livret A avait comme fonction de rémunérer l’épargne populaire et de financer le logement social. Il est désormais administré par la Caisse des dépôts dont la directeur est un ancien de la BNP, une banque qui est contre l’épargne protégée et réglementée. Un des résultats : la rémunération est de 0,75 pour cent alors que l’inflation est de 2 pour cent. C’est une spoliation.

Une ENA sans pensée et conformiste (le crétinisme par obéissance) qui colle à un État autoritaire, et par conséquent des hauts fonctionnaires et des dirigeants stupides.

Dans les années 1960, il y avait dans la haute fonction publique, des fonctionnaires de gauche et des fonctionnaires de droite. Il y avait donc pour les hommes politiques le choix entre plusieurs projets, plusieurs notes, plusieurs solutions techniquement faisables. Maintenant il s’agit de mettre en scène la seule politique possible !

Marc Bloch soulignait que la défaite de la France en 1940 était la défaite de la France sur elle-même : dès avant la défaite, les élites étaient du côté des vainqueurs. Et Marc Bloch dénonçait la création par le Front populaire de l’ENA, considérant que les fonctionnaires devaient passer par l’université et son pluralisme.

En 1945, Debré, élève de Joseph Barthélémy (qui considère que le peuple ne sait pas ce qui est bon pour lui, qu’il faut des esprits qui l’encadrent, et qui deviendra Garde des sceaux sous Vichy), crée l’ENA dans le même esprit que son maître, même si l’image qui en est donnée est de vaincre le népotisme et les grands corps.

L’ENA colle à l’image de l’État autoritaire tel que le veut De Gaulle, de l’État du coup d’État permanent.

En 1989, Bourdieu parle de la noblesse d’État, mais c’est à une époque où il y a encore une frontière entre le public et le privé. Désormais il ne faut plus parler de noblesse d’État mais de noblesse privatisée. Cette noblesse privatisée n’arrête pas de faire des recommandations de droite aux gouvernements successifs (ce qui a tué le parti socialiste).

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